Accueil Talent à suivre Jacques Duparc et Marc Forno — Nettoyage de printemps à L’Auberge du Cheval Blanc

Jacques Duparc et Marc Forno — Nettoyage de printemps à L’Auberge du Cheval Blanc

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Dominique Trottein, Jacques Duparc et Marc Forno ©DR
Dominique Trot­tein, Jacques Duparc et Marc Forno ©DR

JACQUES DUPARC
L’Auberge du Cheval Blanc, Jacques Duparc con­nait bien. Avant de la met­tre en scène, il a sou­vent inter­prêté les rôles de Célestin et de Léopold. Une oppor­tu­nité de saisir à quel point l’ou­vrage avait besoin d’être revu. « Je trou­vais la pièce sym­pa­thique mais souf­frant de longueurs et du poids de la tra­di­tion. Quand on m’a pro­posé de la mon­ter, je me suis dit que c’é­tait l’oc­ca­sion d’en faire quelque chose qui cor­re­sponde plus aux attentes actuelles vis-à-vis du spec­ta­cle musi­cal. Aujour­d’hui, je ne sais pas ce que c’est que l’opérette. Ce mot fait peur, il a pris une con­no­ta­tion vieil­lote et les jeunes auteurs et com­pos­i­teurs ne veu­lent plus en écrire. Il ne faut donc plus faire des opérettes mais des comédies musi­cales ». Une injonc­tion qu’il applique en pre­mier lieu à lui-même puisque ce Vendéen de nais­sance et de coeur a écrit, com­posé et dirigé Charette ou la vic­toire des vain­cus, « une comédie musi­cale dra­ma­tique qui tient plus des Mis­érables que de L’Auberge ». Après cette his­toire qui pre­nait place pen­dant la tour­mente de la Révo­lu­tion française, il en a achevé une sec­onde qu’il espère mon­ter très prochaine­ment sur un « per­son­nage, tou­jours vendéen mais beau­coup plus uni­versel », Clé­menceau ou la foi du Dia­ble.

En atten­dant, il ne boude pas le plaisir qu’il a pris à dépous­siér­er L’Auberge. Il a partagé sa vision de cette célèbre vien­nois­erie avec une équipe jeune aus­si bien sur scène que dans les couliss­es. « C’est vrai qu’aux tra­di­tion­nels chanteurs d’opérette, j’ai préféré des comé­di­ens chanteurs. Nous avons voulu mon­ter le spec­ta­cle que nous avions envie de voir et non ce qui avait déjà été fait — et sou­vent bien — il y a des années de cela ». La cure d’a­maigrisse­ment a prin­ci­pale­ment touché le livret. « J’ai coupé à peu près une heure sur les 3 heures 30 de la durée ini­tiale. Mais atten­tion, nous n’avons pas touché à la musique : pas une vir­gule, pas une croche de changées !
En revanche, il n’é­tait pas néces­saire de respecter le texte à la lettre.Il y avait beau­coup de scènes qui n’avaient d’autre util­ité à l’époque que de don­ner aux machin­istes le temps de chang­er les décors
 ». Et en par­lant de décors, il a juste­ment fal­lu assumer les con­traintes de Mogador. Même si c’est sur cette scène que L’Auberge a été créée en France en 1932, le côté « opérette à grand spec­ta­cle » est réputé mieux s’é­panouir au Châtelet.« Je savais que ce n’é­tait pas ain­si que je pou­vais gag­n­er mon pari. J’ai donc préféré un décor unique, une sim­ple cour d’auberge, très sobre ». Ain­si, on l’ou­blie vite et on peut se con­cen­tr­er sur le car­ac­tère des artistes, sur leur fac­ulté à pass­er de la comédie au chant le plus naturelle­ment du monde. « Même sur les scènes de textes, j’ai voulu qu’il y ait un fond musi­cal pour faciliter les tran­si­tions et faire en sorte d’en faire une vraie comédie musi­cale à la française ».
Tout ama­teur qu’il soit de Broad­way, Jacques Duparc est en effet attaché à une cer­taine couleur française. « Je vais aux Etats-Unis avec plaisir deux fois par an mais à chaque fois que je revois un spec­ta­cle, c’est le même à la vir­gule près, les comé­di­ens qui se suc­cè­dent jouent exacte­ment de la même façon ». Il défend donc la spon­tanéité et le petit sup­plé­ment d’âme du théâtre musi­cal français : « les spec­ta­teurs atten­dent de l’é­mo­tion qui n’ar­rive pas for­cé­ment tous les soirs de la même façon au même moment ». Le suc­cès de L’Auberge du Cheval Blanc mon­tre en tout cas qu’il existe une alter­na­tive en France aux opérettes à la papa dont le pub­lic se renou­velle de moins en moins et les grand-mess­es pop-rock plébisc­itées par les ado­les­cents. Et Jacques Duparc de rêver : « Le moment est venu de redé­cou­vrir des grands ouvrages remis au goût du jour, musi­cale­ment irréprochables mais béné­fi­ciant d’une esthé­tique con­tem­po­raine ». Le pays du sourire et La veuve joyeuse de Franz Lehar, Irma la douce de Mar­guerite Mon­not ou encore L’Opéra de quat’ sous de Kurt Weill : « ce sont d’ex­cel­lents ouvrages et qui sont par­faite­ment jouables aujour­d’hui, y com­pris dans le théâtre privé puisque ces oeu­vres dits de réper­toire ne sont plus mon­tées dans le théâtre pub­lic. Il y a bien un pub­lic pour les redé­cou­vrir, non ? « . Et les spec­ta­teurs qui se pressent nom­breux à Mogador d’en apporter la preuve tous les soirs. Décidé­ment, on n’est pas sor­tis de L’Auberge !

MARC FORNO
Le décor : une brasserie près du Théâtre Mogador. La scène : une serveuse en tabli­er s’adresse à un grand jeune homme à la sil­hou­ette élé­gante. Dia­logue. Elle : « Mais je vous recon­nais, je vous ai vu dans L’Auberge du Cheval Blanc ». Lui (avec un petit sourire) : « Et ça vous a plu » ? Elle : « J’ai adoré, oui ! J’avais un peu peur au début que ce soit ringard. Main­tenant, je veux y amen­er ma mère et ma soeur !  »
Réin­ven­ter un tel clas­sique du réper­toire « n’a pas été une mince affaire », con­firme Marc Forno sur le chemin du théâtre. « En France, les spec­ta­cles sont mon­tés en très peu de temps et les pro­duc­tions sont rarement rôdées le jour de la pre­mière. On a eu trois semaines pour L’Auberge et nous avons donc con­tin­ué à pren­dre nos mar­ques tout au long de la pre­mière semaine ». Pointilleux, il filme chaque soir la représen­ta­tion, traquant ici un bras qui dépasse, là une tête mal alignée. Il faut absol­u­ment éviter que les artistes se sen­tent trop en sécu­rité et vivent le spec­ta­cle comme une rou­tine. « C’est vrai que ceux qui sont venus à quelques jours d’in­ter­valle m’ont dit que le rythme est plus soutenu ». Ce soir encore, il a prévu un rac­cord avec les danseurs.

Il était encore ingénieur agronome dans une agence de com­mu­ni­ca­tion quand il est passé devant les Folies Bergère. Une annonce pour des audi­tions était affichée sur la porte. A l’époque, il dan­sait en ama­teur et, par jeu, il a ten­té sa chance… avec suc­cès ! Pen­dant trois mois, il a du jon­gler entre son cos­tume-cra­vate le jour et son frac de boy la nuit. Mais les filles en plumes et pail­lettes présen­taient décidé­ment plus d’at­trait que les gros bud­gets de ses clients et il a finale­ment décidé de se con­sacr­er entière­ment à la danse. « C’é­tait le moment ou jamais ». Aujour­d’hui, il se partage entre Ams­ter­dam et Paris. Il a son coeur aux Pays-Bas où il crée des bal­lets pour le Hol­land Bal­let Show et le Fan­ta­sy World Din­ner Show. En France, il a récem­ment choré­graphié Là-Haut au Théâtre des Var­iétés avant de s’at­ta­quer à L’Auberge du Cheval Blanc. Pour Marc Forno, la ren­con­tre avec Jacques Duparc, le met­teur en scène, et avec Dominique Trot­tein, le directeur musi­cal, est de celles qui mar­quent une car­rière : « Nous sommes tous les trois du même âge à cinq ans près et nous sommes vrai­ment sur la même longueur d’onde ». Ils ont dû batailler ferme pour raje­u­nir ce fleu­ron de l’opérette vien­noise, les héri­tiers et ayant-droit de l’oeu­vre devant don­ner leur appro­ba­tion pour toute mod­i­fi­ca­tion. « Les con­traintes étaient assez impor­tantes mais Jacques est par­venu à impos­er de nom­breuses coupures dans le texte et moi, j’ai pu mod­erniser les bal­lets ».

Aux dans­es tra­di­tion­nelles et vieil­lottes des opérettes à la papa, il préfère le swing des comédies musi­cales améri­caines. « Je n’ai pas une cul­ture très opérette et c’est sans doute ce qui me per­met de la traiter sans a pri­ori. Mes références, ce serait plutôt Hel­lo, Dol­ly !, My Fair Lady et surtout Crazy For You de Gersh­win ». Où se niche la dif­férence ? « Entre autres dans le fait de ne plus avoir cette dis­tinc­tion arti­fi­cielle entre le cho­rus et le bal­let. Ici, les danseurs sont des vétérans de Cats ou des Mis­érables et les chanteurs ont déjà par­ticipé à des spec­ta­cles dan­sés. Il n’y a donc plus de rup­ture : tout ce petit monde chante et danse tout au long de la pièce ». Pro­pos­er une nou­velle lec­ture d’une oeu­vre à laque­lle le pub­lic tra­di­tion­nel s’ac­croche comme au sou­venir d’un Tyrol de carte postale, le pari n’é­tait pas gag­né d’a­vance. En tout cas, cette grand-mère entourée d’une rib­am­belle d’en­fants et croisée à la sor­tie du spec­ta­cle sem­ble con­va­in­cue: « C’est toute ma jeunesse ! Alors, pour partager tous ces sou­venirs, j’y ai emmené mes petits-fils ! « . La cui­sine de L’Auberge a encore de beaux jours devant elle !