
JACQUES DUPARC
L’Auberge du Cheval Blanc, Jacques Duparc connait bien. Avant de la mettre en scène, il a souvent interprêté les rôles de Célestin et de Léopold. Une opportunité de saisir à quel point l’ouvrage avait besoin d’être revu. « Je trouvais la pièce sympathique mais souffrant de longueurs et du poids de la tradition. Quand on m’a proposé de la monter, je me suis dit que c’était l’occasion d’en faire quelque chose qui corresponde plus aux attentes actuelles vis-à-vis du spectacle musical. Aujourd’hui, je ne sais pas ce que c’est que l’opérette. Ce mot fait peur, il a pris une connotation vieillote et les jeunes auteurs et compositeurs ne veulent plus en écrire. Il ne faut donc plus faire des opérettes mais des comédies musicales ». Une injonction qu’il applique en premier lieu à lui-même puisque ce Vendéen de naissance et de coeur a écrit, composé et dirigé Charette ou la victoire des vaincus, « une comédie musicale dramatique qui tient plus des Misérables que de L’Auberge ». Après cette histoire qui prenait place pendant la tourmente de la Révolution française, il en a achevé une seconde qu’il espère monter très prochainement sur un « personnage, toujours vendéen mais beaucoup plus universel », Clémenceau ou la foi du Diable.
En attendant, il ne boude pas le plaisir qu’il a pris à dépoussiérer L’Auberge. Il a partagé sa vision de cette célèbre viennoiserie avec une équipe jeune aussi bien sur scène que dans les coulisses. « C’est vrai qu’aux traditionnels chanteurs d’opérette, j’ai préféré des comédiens chanteurs. Nous avons voulu monter le spectacle que nous avions envie de voir et non ce qui avait déjà été fait — et souvent bien — il y a des années de cela ». La cure d’amaigrissement a principalement touché le livret. « J’ai coupé à peu près une heure sur les 3 heures 30 de la durée initiale. Mais attention, nous n’avons pas touché à la musique : pas une virgule, pas une croche de changées !
En revanche, il n’était pas nécessaire de respecter le texte à la lettre.Il y avait beaucoup de scènes qui n’avaient d’autre utilité à l’époque que de donner aux machinistes le temps de changer les décors ». Et en parlant de décors, il a justement fallu assumer les contraintes de Mogador. Même si c’est sur cette scène que L’Auberge a été créée en France en 1932, le côté « opérette à grand spectacle » est réputé mieux s’épanouir au Châtelet.« Je savais que ce n’était pas ainsi que je pouvais gagner mon pari. J’ai donc préféré un décor unique, une simple cour d’auberge, très sobre ». Ainsi, on l’oublie vite et on peut se concentrer sur le caractère des artistes, sur leur faculté à passer de la comédie au chant le plus naturellement du monde. « Même sur les scènes de textes, j’ai voulu qu’il y ait un fond musical pour faciliter les transitions et faire en sorte d’en faire une vraie comédie musicale à la française ».
Tout amateur qu’il soit de Broadway, Jacques Duparc est en effet attaché à une certaine couleur française. « Je vais aux Etats-Unis avec plaisir deux fois par an mais à chaque fois que je revois un spectacle, c’est le même à la virgule près, les comédiens qui se succèdent jouent exactement de la même façon ». Il défend donc la spontanéité et le petit supplément d’âme du théâtre musical français : « les spectateurs attendent de l’émotion qui n’arrive pas forcément tous les soirs de la même façon au même moment ». Le succès de L’Auberge du Cheval Blanc montre en tout cas qu’il existe une alternative en France aux opérettes à la papa dont le public se renouvelle de moins en moins et les grand-messes pop-rock plébiscitées par les adolescents. Et Jacques Duparc de rêver : « Le moment est venu de redécouvrir des grands ouvrages remis au goût du jour, musicalement irréprochables mais bénéficiant d’une esthétique contemporaine ». Le pays du sourire et La veuve joyeuse de Franz Lehar, Irma la douce de Marguerite Monnot ou encore L’Opéra de quat’ sous de Kurt Weill : « ce sont d’excellents ouvrages et qui sont parfaitement jouables aujourd’hui, y compris dans le théâtre privé puisque ces oeuvres dits de répertoire ne sont plus montées dans le théâtre public. Il y a bien un public pour les redécouvrir, non ? « . Et les spectateurs qui se pressent nombreux à Mogador d’en apporter la preuve tous les soirs. Décidément, on n’est pas sortis de L’Auberge !
MARC FORNO
Le décor : une brasserie près du Théâtre Mogador. La scène : une serveuse en tablier s’adresse à un grand jeune homme à la silhouette élégante. Dialogue. Elle : « Mais je vous reconnais, je vous ai vu dans L’Auberge du Cheval Blanc ». Lui (avec un petit sourire) : « Et ça vous a plu » ? Elle : « J’ai adoré, oui ! J’avais un peu peur au début que ce soit ringard. Maintenant, je veux y amener ma mère et ma soeur ! »
Réinventer un tel classique du répertoire « n’a pas été une mince affaire », confirme Marc Forno sur le chemin du théâtre. « En France, les spectacles sont montés en très peu de temps et les productions sont rarement rôdées le jour de la première. On a eu trois semaines pour L’Auberge et nous avons donc continué à prendre nos marques tout au long de la première semaine ». Pointilleux, il filme chaque soir la représentation, traquant ici un bras qui dépasse, là une tête mal alignée. Il faut absolument éviter que les artistes se sentent trop en sécurité et vivent le spectacle comme une routine. « C’est vrai que ceux qui sont venus à quelques jours d’intervalle m’ont dit que le rythme est plus soutenu ». Ce soir encore, il a prévu un raccord avec les danseurs.
Il était encore ingénieur agronome dans une agence de communication quand il est passé devant les Folies Bergère. Une annonce pour des auditions était affichée sur la porte. A l’époque, il dansait en amateur et, par jeu, il a tenté sa chance… avec succès ! Pendant trois mois, il a du jongler entre son costume-cravate le jour et son frac de boy la nuit. Mais les filles en plumes et paillettes présentaient décidément plus d’attrait que les gros budgets de ses clients et il a finalement décidé de se consacrer entièrement à la danse. « C’était le moment ou jamais ». Aujourd’hui, il se partage entre Amsterdam et Paris. Il a son coeur aux Pays-Bas où il crée des ballets pour le Holland Ballet Show et le Fantasy World Dinner Show. En France, il a récemment chorégraphié Là-Haut au Théâtre des Variétés avant de s’attaquer à L’Auberge du Cheval Blanc. Pour Marc Forno, la rencontre avec Jacques Duparc, le metteur en scène, et avec Dominique Trottein, le directeur musical, est de celles qui marquent une carrière : « Nous sommes tous les trois du même âge à cinq ans près et nous sommes vraiment sur la même longueur d’onde ». Ils ont dû batailler ferme pour rajeunir ce fleuron de l’opérette viennoise, les héritiers et ayant-droit de l’oeuvre devant donner leur approbation pour toute modification. « Les contraintes étaient assez importantes mais Jacques est parvenu à imposer de nombreuses coupures dans le texte et moi, j’ai pu moderniser les ballets ».
Aux danses traditionnelles et vieillottes des opérettes à la papa, il préfère le swing des comédies musicales américaines. « Je n’ai pas une culture très opérette et c’est sans doute ce qui me permet de la traiter sans a priori. Mes références, ce serait plutôt Hello, Dolly !, My Fair Lady et surtout Crazy For You de Gershwin ». Où se niche la différence ? « Entre autres dans le fait de ne plus avoir cette distinction artificielle entre le chorus et le ballet. Ici, les danseurs sont des vétérans de Cats ou des Misérables et les chanteurs ont déjà participé à des spectacles dansés. Il n’y a donc plus de rupture : tout ce petit monde chante et danse tout au long de la pièce ». Proposer une nouvelle lecture d’une oeuvre à laquelle le public traditionnel s’accroche comme au souvenir d’un Tyrol de carte postale, le pari n’était pas gagné d’avance. En tout cas, cette grand-mère entourée d’une ribambelle d’enfants et croisée à la sortie du spectacle semble convaincue: « C’est toute ma jeunesse ! Alors, pour partager tous ces souvenirs, j’y ai emmené mes petits-fils ! « . La cuisine de L’Auberge a encore de beaux jours devant elle !