
Un paquebot qui a bien failli finir comme le Titanic
Jack-Henri Soumère a commencé sa carrière à la tête d’une agence artistique qui lui a permis de croiser la carrière naissante de nombreuses vedettes du music-hall et de la variété, de Michel Leeb à Julio Iglesias en passant par Francis Cabrel, et de produire de nombreux spectacles avant de s’orienter vers le lyrique.
Dirigeant plusieurs théâtres (Longjumeau, Fontainebleau), c’est à lui qu’on décide de faire appel au début des années 90. Il s’agit en effet de mettre à flot l’Opéra de Massy, en Essonne, voulu par le maire d’alors. Projet pharaonique destiné à concurrencer les opéras de la capitale (une fosse pour 80 musiciens, un plateau de 500 m²… et seulement 800 places pour les spectateurs !), le paquebot a pris l’eau avant même d’ouvrir. Jack-Henri Soumère prend le commandement du navire après le remerciement brutal de son prédécesseur. Il va empêcher le projet de sombrer corps et biens et le diriger vers les eaux profondes. Une tâche d’autant plus difficile qu’avec un budget annuel d’environ 12 millions de francs aujourd’hui — contre 30 à 40 pour un opéra de province et 550 pour le seul Opéra National de Paris — , on est loin des sommes nécessaires pour assurer une programmation digne de ce nom.
« Diriger un opéra, ce n’est pas la vie de bohème », reconnaît-il. « Je ne suis pas un rêveur, je respecte trop ceux qui le sont, les artistes. Moi, je suis comptable des deniers publics ». Comme il n’est pas issu du sérail, il assure que « ça dérange » d’autant qu’il ne se prend pas pour un artiste et revendique le terme de « gestionnaire culturel » dans un secteur où l’argent est encore considéré comme sale… « Vous trouvez que je parle beaucoup d’argent ? Mais j’en parlerais moins si j’en avais plus ! ». Pour y arriver, il fait donc « autrement » et refuse qu’on le compare à qui que ce soit. « Mais non, nous ne sommes pas la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf ».
Massy marche-t-il sur les terres de Paris ?
D’ailleurs, c’est dit, il aime ses collègues : de Hugues Gall à la tête de l’Opéra National de Paris, il dit : « Je trouve que ce que fait cet homme est fabuleux. D’ailleurs lui aussi, comme moi, est un gestionnaire et non un artiste » ; et à propos de Jérôme Savary, nouveau futur directeur de l’Opéra-Comique, il ajoute : « Bon d’accord, les dés étaient pipés mais, enfin, c’est un bon choix, j’aime beaucoup ce qu’il fait. C’est décapant. Mais j’aimerais qu’il fasse moins de reprises et plus de créations ». Mais, derrière les locomotives parisiennes, il « pense qu’il y a de la place pour tout le monde ».
Quand on évoque l’attrait qu’exerce Massy sur de nombreux Parisiens qui font le choix d’aller voir un opéra en banlieue sud, il minimise l’importance du phénomène. « Mais non, ils font ça pour nous encourager, n’est-ce pas ? A moins que ce ne soit pour nos prix ? » demande-t-il malicieusement. « Nous avons bien 80% de Massicois et d’Essonniens dans la salle » Roublard, il attend un peu pour conclure : « Enfin, si vous pensez que c’est la qualité… » Et de partir dans un grand rire…
Il rappelle aussi, en termes d’identité, qu’il a bien réussi à en donner une à l’ensemble : « Qui se souvient encore que le nom officiel est ‘Opéra-Théâtre de Massy’ ? J’ai réussi à faire passer le seul terme Opéra dans l’usage ». En sept ans, tout le monde a en effet bien pris cette habitude tant son engagement en faveur du lyrique est patent.
Une production qui est un vrai Jardin des délices !
Après un récital unique de la grande basse Ruggero Raimondi (« Il est venu pour nous faire plaisir, pour nous soutenir »), la saison débute véritablement ce soir avec Faust de Gounod, dirigé musicalement par Dominique Rouits et mis en scène par Henri Lazzarini. C’est une production de l’Opéra de Massy. « Les décors sont sublimes. Et si vous voyiez la distribution… De jeunes chanteurs exceptionnels qui viennent pour la première fois en France, comme Peter Auty (Faust) : depuis que nous l’avons signé, il a été remarqué par Placido Domingo qu’il accompagnera à New York après les représentations de Massy. Et il est déjà retenu par le Châtelet ».
Le reste de la saison sera tout aussi éclectique, entre classiques — Gounod, Weill (création française du Lac d’argent), Rossini et Offenbach — et contemporains — Mireille Larroche et Bernard Cavanna. Le public, qui assure déjà un taux de remplissage sur l’année supérieur à 85% devrait donc être très heureux. Et Jack-Henri Soumère avec lui.
Et quand on lui demande de quoi l’avenir sera fait, il glisse que « La saison 2000–2001 s’ouvrira avec… Le vaisseau fantôme de Wagner mis en scène par Daniel Mesguisch. Tenez, vous êtes le premier à qui je le dis ! ». Et de s’assurer — ou de se rassurer : « Vous êtes bien sûr que vous enregistrez toujours ? » !