
Jack-Henri Soumère, vous venez de racheter le Théâtre Comédia. C’était une envie de longue date de reprendre un théâtre sur Paris ou avez-vous saisi une opportunité ?
Ce n’est pas une opportunité. Entre ce théâtre et moi, c’est une longue histoire d’amour. J’ai toujours été passionné par ce lieu dans lequel j’ai vu de nombreux spectacles de music-hall, d’opérettes de Francis Lopez… A l’époque, j’avais déjà failli le racheter mais je n’avais pas de financement suffisant ; c’est Maurice Molina qui l’a eu. Tant mieux d’ailleurs, il en a fait un très beau théâtre. J’avais fait une croix sur ce théâtre et j’étais passé à autre chose : le Théâtre de la Mutualité puis le Théâtre Mogador. Je voulais revenir sur Paris. J’étais à deux doigts de racheter le Théâtre de la Madeleine. J’avais pratiquement signé le contrat. Mon ami Jean-Claude Camus a appris que j’allais signer et s’est empressé de me doubler, de faire une surenchère et je n’ai pas eu ce théâtre. Cela faisait trois ans que je voulais acheter le Théâtre Comédia et que j’étais en négociation avec Maurice Molina. Mais c’était très compliqué, il voulait vendre puis il ne voulait plus vendre. Maurice est un personnage envoûtant que l’on peut considérer comme un grand fou de théâtre, un fou comme on en a rarement vu, apportant au théâtre beaucoup d’argent et je dis bravo, parce qu’il y a beaucoup de gens qui prennent au théâtre mais qui n’apportent rien. Quand je n’ai pas eu le Théâtre de la Madeleine, je suis allé le voir et lui ai dit « Maintenant c’est simple, dans 48 heures, on est chez l’avocat ou alors plus jamais on n’en parle. » Finalement, il est venu au rendez-vous, nous avons concrétisé en cinq minutes ce que nous devions faire depuis trois ans.
Pour votre premier spectacle au Comédia, vous avez choisi La Belle de Cadix, l’opérette de Francis Lopez. Pourquoi ce choix ?
Je viens d’arriver. En deux mois, je n’avais pas le temps de monter une création. En arrivant, je ne pouvais pas produire une comédie musicale tout de suite, donc j’ai décidé de reprendre La Belle de Cadix que j’ai déjà monté dans mon Opéra de Massy avec quelques améliorations et une distribution différente. C’est une Belle de Cadix un peu décalée, un peu folle, mise en scène par Olivier Desbordes que j’aime bien et à qui j’ai demandé d’aller au maximum dans la folie. Nous avons coupé des choses qui n’ont plus de sens aujourd’hui.
Vous n’avez pas peur que ce choix paraisse un peu ringard ?
Je vous interdis de dire que c’est ringard ! C’est notre patrimoine culturel, c’est la genèse de la comédie musicale. Quand on aime le théâtre musical on ne peut pas dire que La Belle de Cadix est ringard. D’accord, les dernières créations de Lopez n’étaient pas bonnes mais La Belle de Cadix, Andalousie, Le Chanteur de Mexico, c’est sublime, drôle, les mélodies sont extraordinaires. Il n’y a pas très longtemps, Le Chanteur de Mexico a cartonné au Châtelet. Je sais que ma Belle de Cadix sera un beau spectacle avec plus de 40 personnes en scène dont 15 musiciens et 13 choristes, un grand plateau ! Et c’est un spectacle qui plaira aux jeunes aussi. Lors de la Générale à l’Opéra de Massy, les gosses étaient debout en train de chanter, il y a eu une ovation. On passe une bonne soirée et on sort heureux. Avec La Belle de Cadix, vous allez vous amuser et sortir en chantant.
Comment s’est passé le casting ?
Très surprenant et enthousiasmant. Nous avons reçu 472 candidatures. Je ne m’attendais pas à en recevoir autant, cela m’a beaucoup touché. Il y a 20 ans, quand on parlait de comédie musicale, il n’y avait pas beaucoup d’éléments en France, on disait qu’il fallait aller à Londres. Aujourd’hui, je suis très fier parce qu’en France il y a des artistes qui valent ceux de Londres. Tout le monde a fait un effort : les écoles, les professeurs, les Conservatoires. Nous avons auditionné 90 personnes. Nous avons vu beaucoup de grands talents et découvert des miracles, des ténors fabuleux et deux sopranos pour la Belle de Cadix à tomber par terre. J’aime les voix. Quand j’entends une voix avec un beau timbre, une belle sonorité, cela me fait fondre. Nous avons trouvé des artistes brillants, expressifs, habités par la comédie, le théâtre, la danse. Je suis vraiment très impressionné par ce que j’ai vu. C’est fabuleux, la France a maintenant d’excellents artistes pour le musical.
Savez-vous déjà quelles seront les productions qui suivront La Belle de Cadix ? Ou avez-vous des idées ?
En mars 2012, après son exploitation au Casino de Paris, je reprendrai Shrek, le comédie musicale qui a eu beaucoup de succès à Broadway et qui se joue actuellement à Londres. En septembre 2012, je compte monter Les Producteurs, la comédie musicale de Mel Brooks qui a triomphé pendant plusieurs années à Broadway et qui a remporté 12 Tony Awards, un record. Les pourparlers sont très avancés. Je suis aussi très intéressé par Billy Elliot, un spectacle que j’ai adoré. Quand un spectacle a fait ses preuves à l’étranger, j’ai tendance à penser qu’il peut être adapté et présenté en France. Il faut tout de même faire attention à la différence de culture.
Et des créations françaises ? Vous avez dû recevoir beaucoup de projets depuis qu’a été annoncée votre reprise du Comédia…
Oui, je reçois beaucoup de projets : je les regarde tous, j’écoute toutes les propositions, je ne ferme ma porte à personne. Pour l’instant, aucun ne m’a vraiment intéressé, je n’ai pas eu de coup de cœur. Attention à l’amateurisme ! Aujourd’hui, tout le monde écrit de la comédie musicale, on prend un livre qu’on a lu dans son enfance et on en fait une comédie musicale. C’est un métier quand même ! Un grand métier. Si tout le monde pouvait écrire de la comédie musicale, ça se saurait. Avant de proposer leur projet, les auteurs devraient le soumettre à un comité de lecture parce que l’avis de sa famille et de ses proches ne suffit pas. Je suis toujours en attente de découvrir un projet qui va provoquer en moi un déclic. Produire de la comédie musicale, c’est beaucoup d’argent. J’ai donc besoin d’avoir un vrai coup de cœur avant de me lancer. Un théâtre, c’est un grand vaisseau, de grandes responsabilités financières et un gouffre aussi.
Allez-vous faire des travaux d’aménagement dans le théâtre ?
Oui, quelques petits aménagements au niveau de la salle mais surtout je pense que je vais créer une deuxième salle en sous-sol pour des productions plus petites.
Vous qui avez dirigé pendant six ans le Théâtre Mogador, quel regard portez-vous sur ce qu’en a fait Stage ?
C’est devenu exactement ce que j’avais promis. J’ai respecté mes engagements et j’ai vendu Mogador à quelqu’un qui fait de la comédie musicale J’avais cinquante prétendants, j’aurais pu le vendre à des théâtreux. Il n’y pas un producteur français capable de faire ce que Stage a les moyens de faire aujourd’hui. C’est-à-dire produire une grande comédie musicale et la laisser à l’affiche pendant deux ou trois ans. Après, le choix des spectacles qu‘ils font leur appartient, on aime ou on n’aime pas.
Alors que vous venez juste de racheter le Comédia, vous êtes candidat au rachat du Théâtre Antoine…
Effectivement, je suis en short list ! Le Comédia, c’est le théâtre pour me faire plaisir, dédié au théâtre musical de divertissement. Mais à côté, j’ai envie d’un théâtre où on peut réfléchir et s’amuser en même temps. Je souhaiterais acheter le Théâtre Antoine parce que d’abord on est voisin et ce serait le complément indispensable à mon bonheur. J’ai l’intime conviction que je vais l’avoir. C’est beaucoup d’argent. Je suis fou. Mais moi ma vie, c’est le théâtre, le spectacle ; et mes enfants, ce sont les artistes.