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Isabelle Turschwell — De la Comédie Française à La guinguette

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Isabelle Turschwell ©DR
Isabelle Turschwell ©DR
Com­ment avez-vous débuté ?
Petite, je rêvais d’être chanteuse. Et puis au col­lège, j’ai ren­con­tré une amie qui voulait être comé­di­enne. Elle m’a fait décou­vrir le théâtre. Et comme c’é­tait ma meilleure amie et que je voulais faire comme elle, je me suis retrou­vée en bac A3 au lycée Lamar­tine avec théâtre en option. Un jour, un comé­di­en-met­teur en scène, Nico­las Lormeau, est venu présen­ter son spec­ta­cle Embrasse les tous, une comédie musi­cale d’après des chan­sons de Georges Brassens, et j’ai adoré son univers, son humour. Après ma sor­tie du bac, il m’a engagée dans son nou­veau spec­ta­cle, Fer­di­nande des Abysses, qui devait se jouer pour l’ou­ver­ture du Théâtre du Grand Bleu à Lille. J’ai alors com­mencé à pren­dre sérieuse­ment des cours de chant clas­sique avec Françoise Ron­deleux, qui donne aujour­d’hui des cours à toute l’équipe de La guinguette. Après Fer­di­nande, j’ai retrou­vé Nico­las pour une reprise de Poucette de Charles Vilder­ac dans laque­lle je tenais un rôle chan­té. On a tourné ce spec­ta­cle dans les pris­ons. On a fait aus­si, ensem­ble, une pièce jeune pub­lic, Baby Sta­tion avec la com­pag­nie de Dominique Pom­pougnac. Puis Nico­las a été engagé comme pen­sion­naire à la Comédie Française. A l’époque, ils pré­paraient La Vie Parisi­enne d’Of­fen­bach que devait met­tre en scène Daniel Mes­guich, ils cher­chaient des gens pour le choeur et Nico­las m’a appelée.

Quel sou­venir gardez-vous de cette expérience ?
Aujour­d’hui, j’en garde un très bon sou­venir, celle d’une très belle aven­ture humaine. J’y ai ren­con­tré des gens supers. Je garde aus­si un très bon sou­venir du tra­vail avec Daniel Mes­guich. Ce type là a une cul­ture incroy­able, beau­coup d’hu­mour et reste tou­jours ouvert à toutes les propo­si­tions. Et puis, il nous con­sid­érait vrai­ment, nous les mem­bres du choeur, ce qui n’est pas le cas, par exem­ple, de Jerôme Savary avec qui j’ai tra­vail­lé sur La Péri­c­hole. Cela-dit, j’é­tais très jeune, la Comédie Française était une grosse mai­son avec beau­coup de fortes per­son­nal­ités et ce n’é­tait pas tou­jours facile de trou­ver sa place au milieu de ce groupe.

La Vie Parisi­enne était un spec­ta­cle de comé­di­ens qui chan­taient pour l’oc­ca­sion. Vous avez enchaîné avec Hair dont la troupe était avant tout con­sti­tuée de chanteurs. L’ap­proche d’une oeu­vre musi­cale est-elle différente?
Je préfère presque chanter avec des comé­di­ens qu’avec des chanteurs. Le tra­vail est plus enrichissant car il y a un lien plus étroit entre le chant et le jeu. Mais je pré­cise que la troupe de Hair com­pre­nait aus­si de nom­breux comé­di­ens-chanteurs. Le spec­ta­cle était, par ailleurs, désas­treux d’un point de vue artis­tique. On avait en face de nous des gens pas du tout à la hau­teur qui se tiraient dans les pattes, que ce soit le met­teur en scène, le choré­graphe ou le directeur musi­cal. L’en­tente entre les mem­bres de la troupe était for­mi­da­ble mais on a tous mal vécu la péri­ode de répéti­tions. On avait la sen­sa­tion d’un gâchis.

Vous avez ensuite par­ticipé à la pre­mière ver­sion d’Oliv­er Twist, mise en scène par Nedelko Grujic.
C’é­tait très chou­ette. Ned est un gros nounours, les rap­ports avec lui étaient très doux. Je con­nais­sais beau­coup de gens dans la dis­tri­b­u­tion. C’é­tait ma pre­mière expéri­ence qui liait à ce point le chant, la danse et le jeu avec, en par­ti­c­uli­er, des numéros de cla­que­ttes. Il fal­lait gér­er tout ça, c’é­tait très enrichissant. C’est intéres­sant de voir que le spec­ta­cle a évolué et s’est trans­for­mé en une pro­duc­tion impor­tante, parce qu’au départ, c’é­tait franche­ment arti­sanal. On avait très peu de moyens, de petits élé­ments de décors, de petits acces­soires, juste un piano pour nous accom­pa­g­n­er. Aujour­d’hui, c’est très dif­férent. Les inter­prètes sont soutenus par une bande. Mais c’est for­mi­da­ble que le spec­ta­cle aie duré et qu’il marche encore.

Auriez-vous envie de le repren­dre aujourd’hui ?
Non, parce que je suis passée à autre chose. Par ailleurs, j’aimais vrai­ment la ver­sion piano-voix. Chanter sur bande, ça m’a­muserait moins.

Nous arrivons à La Péri­c­hole mise en scène par Jérôme Savary à Chail­lot, que vous ne sem­blez pas porter dans votre coeur.
Cer­tains aspects sont posi­tifs. Les par­ties de choeurs étaient très dif­fi­ciles à chanter. J’ai un tim­bre de soprane mais j’ai dû tra­vailler beau­coup les notes piquées, avec lesquelles j’avais du mal. Quant aux can-cans, même sim­pli­fiés pour les non-danseurs dont je fai­sais par­tie, il fal­lait quand même s’y coller. Tout ça était très instruc­tif. Ca bougeait, ça chan­tait, ça dan­sait tout le temps et la troupe de cho­ristes était très sym­pa. Mais tra­vailler avec Savary n’a rien d’a­gréable. Je ne con­nais pas ce qu’il a fait avec le Grand Mag­ic Cir­cus. C’é­tait sûre­ment très nova­teur mais je n’aime pas du tout ce qu’il fait aujour­d’hui. Pour moi, il cède trop à la facil­ité et à la vul­gar­ité. Je ne peux même pas dire que je l’ai con­nu en tant que per­son­ne car, sur trois mois de répéti­tions et trois mois de représen­ta­tions, on s’est à peine par­lé. D’ailleurs, il ne savait pas mon nom. Je n’aime pas non plus son rap­port aux femmes sur la scène. Il les dirige comme des femmes-objets. Ca ne m’in­téresse pas.

En revanche, votre ren­con­tre avec Omar Por­ras et le « Teatre Malan­dro » dans les pièces Noces de sang, Les bac­cha­ntes et Don Qui­chotte, sem­ble vous avoir mar­quée. Com­ment en êtes vous venue à tra­vailler avec ce met­teur en scène?
J’ai ren­con­tré Omar Por­ras, il y a cinq ans, grâce à l’ANPE du spec­ta­cle. Il cher­chait une chanteuse pour rem­plac­er le rôle de la fiancée dans Noces de sang. Les audi­tions avaient lieu au Théâtre de la Ville. J’y croy­ais si peu que j’y suis allée com­plète­ment déten­due. Je voy­ais ça comme un stage où j’ap­prendrais des tas de choses. La pre­mière journée, on est resté cinq heures à tra­vailler sur des impro­vi­sa­tions vocales, sur un tra­vail du corps, sur le rythme des per­cus­sions. C’é­tait génial. Et puis ça a marché. J’ai com­mencé par jouer Noces de sang pen­dant trois semaines au Japon. On a fait des tournées un peu partout avec cha­cun des spec­ta­cles. J’é­tais avec des comé­di­ens humaine­ment et artis­tique­ment superbes. Le tra­vail avec Omar est vrai­ment un tra­vail de com­pag­nie. Tout se crée en même temps, les lumières, les cos­tumes, la scéno­gra­phie, le jeu des acteurs. C’est une expéri­ence rare, on n’a pas sou­vent les moyens de s’of­frir tout ça. C’é­tait magique.

A chaque fois vous aviez un rôle chanté ?
Oui. Je chan­tais dans Noces de sang et je fai­sais du choeur dans Les Bac­cha­ntes. Pour Don Qui­chotte, en plus de chanter dans le spec­ta­cle, j’ai par­ticipé à la créa­tion musi­cale avec les com­pos­i­teurs. Ils me lançaient des choses qu’ils avaient com­posées la veille et j’im­pro­vi­sais des airs dessus. Cha­cun avait un rôle dans la com­pag­nie. Le mien était chef de choeur. Je fai­sais les échauf­fe­ments vocaux au début du spectacle.

Qu’est-ce qui vous a poussé à met­tre un terme à cette expérience ?
J’ai arrêté essen­tielle­ment pour faire La guinguette, mais je suis par­tie en très bons ter­mes avec Omar.

Con­cer­nant La guinguette, avez-vous décidé, les uns et les autres, à un moment don­né, de tout arrêter pour vous occu­per de ce spec­ta­cle ou le hasard des cal­en­dri­ers vous a t‑il per­mis de vous retrou­ver le temps d’une péri­ode où vous étiez tous libres?
Cha­cun tra­vail­lait de son côté et il y a eu plein de moments où on a cru qu’on allait arrêter. Heureuse­ment, qu’un relais exis­tait entre nous, de manière à ce qu’au moins une per­son­ne garde l’én­ergie néces­saire. Mais il a bien fal­lu, un jour, fix­er de vraies répéti­tions sur une longue péri­ode pour mon­ter le spec­ta­cle. Ca s’est passé de sep­tem­bre à novem­bre 2003 pour la créa­tion à Agen. On a mon­té une société en co-pro­duc­tion avec dif­férentes per­son­nes qui ont don­né un peu d’ar­gent pour faire des décors, des cos­tumes. Bien enten­du, nous n’avions pas assez d’ar­gent pour nous pay­er nous même. Heureuse­ment, la plu­part d’en­tre nous étaient inter­mit­tents. On a pu mon­ter La guinguette grâce à ce statut. Mais oui, il a fal­lu se dire, à un moment don­né, on se con­sacre au spec­ta­cle et on dit « non » au reste.

Pou­vez-vous définir le tra­vail que vous faisiez avec Didi­er Bail­ly à l’é­cole Claude Matthieu ?
Didi­er organ­i­sait des ate­liers-chant au sein de l’é­cole. Le principe était de pren­dre une série de chan­sons du réper­toire et de créer un petite his­toire autour, à par­tir d’un thème don­né. On mon­tait comme ça une ou deux petites comédies musi­cales par an. Les arrange­ments vocaux étaient splen­dides et ces spec­ta­cles étaient d’un très haut niveau. Ce tra­vail reste par­mi mes meilleurs sou­venirs de l’école.

La guinguette relève en par­tie de l’e­sprit « cabaret ». C’est une dis­ci­pline que vous avez pra­tiquée auparavant ?
Oui, déjà à l’époque de l’é­cole Claude Matthieu, je fai­sais du cabaret avec Lau­ri Lupi et Cyril Romoli qui sont tous les deux dans La guinguette aujour­d’hui. J’ai aus­si mon­té un tour de chant avec un pianiste, Olivi­er Guil­lard, qu’on a beau­coup tourné. J’ai chan­té dans une brasserie aux puces de Saint-Ouen, « Chez Louisette ». C’é­tait assez dif­fi­cile mais, après cette expéri­ence, je sais que je peux chanter partout sans avoir peur.

Où en êtes-vous à une semaine de la pre­mière au Théâtre 14 ?
On est en train de met­tre en place les décors et la lumière. Cet après midi, on va faire une répéti­tion musi­cale car il va y avoir une alter­nance chez les musi­ciens qui nous accom­pa­g­nent sur scène. A par­tir de demain, on com­mence à tra­vailler sur le son. Le spec­ta­cle va être sonorisé, il va donc fal­loir régler les prob­lèmes de micros. Jusque là, on a tou­jours chan­té sans micro, ou alors avec une très légère sonori­sa­tion comme à Agen où le spec­ta­cle a été créé, ou lors du show­case au Tri­anon. Mais on se casse vite la voix dans ces con­di­tions. On est tou­jours oblig­és de hurler et on ne peux pas faire de nuances. De plus, les micros et le mix­age nous per­me­t­tent de don­ner un son plus dif­fus, plus agréable à l’é­coute. Et puis cela per­me­t­tra au musi­cien d’avoir un retour du chant sur le plateau, ce qu’ils n’avaient pas jusqu’à présent, et de jouer dans des con­di­tions plus confortables.

Dans quel état d’e­sprit êtes-vous aujourd’hui ?
Je suis surex­citée. Je suis telle­ment heureuse de jouer enfin ce spec­ta­cle sur une longue durée. J’e­spère qu’il y aura un après Théâtre 14 et que ça va marcher mais je veux avant tout prof­iter de ces sept semaines à fond.