Accueil Talent à suivre Isabelle Spade — Pétillante comédienne

Isabelle Spade — Pétillante comédienne

0
Isabelle Spade ©DR
Isabelle Spade ©DR

Quel fut votre parcours ? 
Depuis toute petite le théâtre m’a attiré. A 6 ans, j’avais envie d’être comé­di­enne ou écrivain. J’ai écrit des chan­sons, quelques nou­velles. J’é­tais une enfant plutôt docile, mais rien n’a jamais pu me faire dévi­er de ma route : devenir comé­di­enne. C’é­tait presque une sorte d’in­stinct de survie. On peut véri­ta­ble­ment par­ler de voca­tion. De toutes manières, ce méti­er est con­traig­nant, nour­ri de remis­es en ques­tions, de doutes : il faut pos­séder un feu et l’en­tretenir pour durer.

Quand j’é­tais encore au lycée, j’ai com­mencé ma for­ma­tion de comé­di­enne en par­al­lèle au cours Simon, puis au Stu­dio 34. Mes pre­miers pas sur scène furent pour inter­préter les jeunes pre­mières de Molière. Très vite, j’ai eu la chance de jouer ce même type de rôle pour la télévi­sion. Mon expéri­ence avec Andreas Voutsi­nas dans son ate­lier : le Théâtre des 50 m’a beau­coup appris. Au bout d’un moment, j’ai fait plus de théâtre que de télévi­sion, mes emplois se sont diver­si­fiés. Je ne suis pas classée dans un style, ce qui m’arrange bien ! Le réper­toire clas­sique ou mod­erne me convient.

Et la musique ? 
Ma toute pre­mière expéri­ence chan­tée au théâtre fut pour la créa­tion du spec­ta­cle Offen­bach, tu con­nais ? qui s’est joué pen­dant un an à la Huchette. Engagée sur un autre spec­ta­cle, je n’ai pas pu assur­er la tournée qui a suivi, ni les mul­ti­ples repris­es de ce spec­ta­cle sans pré­ten­tion, qui res­pi­rait la bonne humeur. Ce fut un bon­heur absolu. De plus, le jeu théâ­tral était très impor­tant, ce qui est pri­mor­dial pour moi : je suis une femme de théâtre. Etre chanteuse, con­traire­ment à comé­di­enne, n’a jamais été mon objec­tif pri­or­i­taire. Toute­fois, jouer et chanter représente pour moi un art com­plet, c’est jouissif.

La toute pre­mière fois où j’ai chan­té date du lycée, j’avais 13 ans. Je fai­sais par­tie de la chorale et la pre­mière oeu­vre que nous avons inter­prétée m’a beau­coup mar­qué, c’é­tait le Requiem de Fau­ré. Tous les lycées se regroupaient salle Pleyel pour chanter des oeu­vres répétées pen­dant un an. Ce fut ma pre­mière grande émo­tion artis­tique. Imag­inez 600 ado­les­cents aux voix cristallines… un sou­venir inou­bli­able. Par la suite, j’ai pris des cours de chant, et le chant a fini par se mêler au théâtre comme c’est le cas aujourd’hui !

Quels sont les prin­ci­paux jalons de votre car­rière musicale ? 
J’ai fait des spec­ta­cles poé­tiques dans lesquels je devais chanter. Ce qui me don­nait tou­jours beau­coup le trac. Par la suite, j’ai joué Pour l’amour de Marie Sala, au Théâtre de Poche Mont­par­nasse. Une pièce adap­tée d’un ouvrage de Régine Des­forges, basé sur la cor­re­spon­dance de deux femmes qui s’ai­ment, sujet tabou pour l’époque puisque l’his­toire se déroule au début du siè­cle. Rachel Salik, le met­teur en scène, a sélec­tion­né plusieurs de ces cartes postales et a souhaité accom­pa­g­n­er leur con­tenu de plusieurs chan­sons de l’époque. Je me suis donc retrou­vée à chanter en scène.

En 1995, j’ai rem­placé Marie Zamo­ra pour la tournée de La Comtesse Drac­u­la. Ce rôle de jeune pre­mière, sur une musique écrite par Michel Frantz exploitait la veine comique et par­o­dique que j’ai du mal à quit­ter dans le théâtre musi­cal puisque, en 2000, j’ai par­ticipé à l’aven­ture du Sire de Ver­gy, mis en scène par Alain Sachs au théâtre des Bouffes Parisiens. Cette opérette de Claude Ter­rasse, sur un livret de Flers et Cavail­let, était très théâ­trale puisqu’elle a été écrite pour des comé­di­ens, propul­sés dans des sit­u­a­tions drôles et décalées. Enfin j’ai créé le rôle de Made­moi­selle Moulin dans Frou-Frou les Bains.

Par­lez nous de ce personnage…
Made­moi­selle Moulin est une dépres­sive. Faire rire en jouant ce type de per­son­nage, c’est cadeau. Pren­dre du recul sur le mal­heur, pou­voir en rire me sem­ble pri­mor­dial. Je crois qu’elle est sincère­ment triste de per­dre son chien, il ne lui arrive que des drames dans sa vie. Il y a des gens comme ça qui traî­nent une poisse (n’ou­blions pas que sa mère s’est remar­iée avec son ancien petit ami !). Comme tous les dépres­sifs, elle est hys­térique et cela me con­vient. Je suis de nature pas­sion­née, je peux donc com­pren­dre ce genre d’at­ti­tude, l’ex­cès m’in­téresse. Ce rôle est assez fati­gant car, con­traire­ment à ce qu’on pour­rait penser, on ne peut pas trich­er. C’est le cas pour l’ensem­ble de la pièce : pour que la par­o­die fonc­tionne, nous devons être sincères, ne pas tomber dans la car­i­ca­ture. Made­moi­selle Moulin va « au bout » : cela me per­met d’aller chercher en moi toutes les palettes pour nour­rir ce per­son­nage entier, en met­tant ça et là des nuances.

Com­ment les pre­miers spec­ta­teurs ont-ils accueil­li le spectacle ? 
Nous sommes treize en scène, incon­nus, avec une ren­trée parisi­enne chargée : le pari était donc risqué. Dès le départ, les gens ont mer­veilleuse­ment réa­gi. Il a fal­lu un mois pour que le bouche à oreille se fasse, ce qui est peu. Le suc­cès de la pièce a été rapi­de, comme une traînée de poudre. Nous avons égale­ment remar­qué la grande diver­sité du pub­lic. Nous ne pen­sions pas que des jeunes aimeraient la pièce. Ils ne pos­sè­dent pas les références en ce qui con­cerne les chan­sons, mais les décou­vrent avec délice tout en s’a­mu­sant avec notre intrigue far­felue : voilà bien la magie du théâtre. Par ailleurs, Patrice Lecon­te, avec qui j’ai tourné à plusieurs repris­es, est venu voir le spec­ta­cle. Il a été séduit alors que la pièce n’a rien à voir avec son univers. Touch­er tous ces gens très dif­férents, c’est notre plus belle récom­pense. On se doutait que ça marcherait un peu, mais pas à ce point. Du coup nous jouons jusqu’au 9 juin et nous reprenons le 24 juil­let, sans jouer ni le dimanche ni le same­di après-midi. Nous con­tin­uerons au moins jusqu’à Noël. C’est un spec­ta­cle qui « vit » : Patrick Haude­coeur, notre auteur, a le sens du pub­lic, celui du comique et a sans cesse de nou­velles idées. Nous avons le sen­ti­ment que cette pièce est pour lui un per­pétuel amuse­ment ! Du coup, l’équipe suit. Mais ne vous méprenez pas : toutes les mod­i­fi­ca­tions sont le fruit d’une grande rigueur. Plus on veut faire rire, plus nous devons être rigoureux.

Quel est votre regard sur la comédie musicale ?
Enfant, les comédies musi­cales améri­caines tenaient pour moi de la féerie. Elles me fasci­naient, mais me parais­saient inat­teignables. Les opérettes, j’en ai peu vu. Ce qui m’a gêné dans ce genre, c’est lorsque le théâtre n’é­tait pas à la hau­teur du chant. J’ai besoin de croire à l’his­toire. En revanche, Offen­bach m’a tou­jours fait beau­coup rire. J’ai véri­ta­ble­ment aimé la comédie musi­cale grâce à mes séjours en Angleterre, dans les années 80. Les Mis­érables m’ont épous­tou­flé. La mise en scène de Trevor Nunn m’a trans­portée. J’ai vu égale­ment Miss Saï­gon, le spec­ta­cle suiv­ant du duo Bou­blil et Schön­berg, déjà plus « à l’améri­caine ». En France j’ai trou­vé Star­ma­nia fabuleux.

Et l’après Frou-Frou ?
Quand les représen­ta­tions vont s’ar­rêter, ne pas chanter nous man­quera ter­ri­ble­ment : c’est devenu une hygiène de vie. Chanter donne une énergie mer­veilleuse, cela vous oblige à vous met­tre dans un état physique de récep­tiv­ité et d’én­ergie indis­pens­able, sinon la voix ne sort pas. Sept représen­ta­tions par semaine depuis bien­tôt sept mois, ce n’est pas tou­jours facile vocale­ment. Le chant vous oblige à une cer­taine dis­ci­pline, à une con­sid­éra­tion de son corps qui doit être en har­monie. Chanter ensem­ble provoque égale­ment un beau partage dans la troupe. Dans une pièce tra­di­tion­nelle, cer­tains acteurs peu­vent jouer un peu en soli­taire : ce n’est tech­nique­ment pas pos­si­ble pour le chant qui vous oblige à écouter votre parte­naire. Le théâtre musi­cal donne donc d’autres impul­sions à la troupe, c’est un autre état d’e­sprit. Tout en restant ouverte au théâtre, au ciné­ma, j’aimerais bien con­tin­uer à écrire des paroles de chan­sons, j’en ai plein mes tiroirs !