
Comment devient-on Cinq de coeur ?
Patrick Laviosa : Au terme d’une série de longues épreuves initiatiques, dont le secret est gardé dans le donjon d’un château protégé par un dragon très irritable. Quand on fait partie de notre secte, il est pratiquement impossible d’en sortir (les rites d’abdication comprennent, entre autres, le sacrifice d’un nourrisson et un séjour à Thionville).
Pascale Costes : Comme Patrick le dit si bien les épreuves initiatiques sont nombreuses. Il faut aimer les huitres et tout un tas d’autres choses… Les prérequis sont quand même la personnalité vocale et scénique et en bonus une bonne dose d’humour, l’envie de s’amuser sur scène et l’envie de le faire sérieusement.
Hélène Richer : L’observation et la vie au sein de cette équipe me font penser que certains traits leur sont tout à fait spécifiques : la rigueur et la souplesse technique et vocale, l’envie de surprendre et d’être surpris, l’amour et l’humour de l’aventure humaine, la curiosité d’être en permanente évolution, en harmonie physique et acoustique avec le temps et l’espace.
Sandrine Mont-Coudiol : Avec le temps ! C’est un esprit, une volonté commune très liée à la personnalité des protagonistes qui ont traversé cette aventure. Mais depuis toujours une envie d’exigence musicale presque instinctive sans la séparer de l’aspect show scénique.
Fabian Ballarin : Je crois qu’il faut tout d’abord aimer l’instrument qu’est la voix, tout le travail de l’a capella réside dans le fait qu’il faut de la rigueur, de l’écoute et beaucoup de concentration. Nous nous amusons beaucoup sur scène en ajoutant à tout cela de la dérision et de l’humour… Le concert sans retour est mon premier spectacle au sein du groupe et vous ne pouvez imaginer à quel point je suis fier d’être un « cinq de cœur » !
Quels adjectifs définissent le mieux votre personnage ?
Sandrine : Mon personnage est une sorte de chef , plutôt de garante de la bonne teneur du concert. Sans doute celle qui a créé ce groupe et qui est désormais dépassée par toutes ses pulsions internes qui ont été étouffées par ce rôle. Un genre de Dominique Lavanant dans Quelques jours avec moi, ou d’Hélène Vincent dans La vie est un long fleuve tranquille. Qui veut tenir et est sans doute la plus déglinguée , la plus dépressive aussi !
Pascale : Je suis une espèce de Harpo des Marx Brothers au féminin pas totalement muette qui se transforme parfois en tigresse.
Hélène : Mon personnage, sous des apparences de prime abord arrogantes, raides, capricieuses et conservatrices, se montre au fur et à mesure délirant et nostalgique de son enfance.
Patrick : Mon personnage se situe quelque part entre Zébulon et Rantanplan. Une âme de Simplet dans un physique de De Funès.
Fabian : Je décrirais mon personnage comme un « Crooner ridiculement frimeur », interprétant des airs classiques au sein de ce groupe lyrique il ne peut plus chanter quoique ce soit en allemand et explose dans une « chorégraphie » libératrice et incontrôlée !

Comment se fait le choix du répertoire ?
Patrick : Au début, chacun dit ce qu’il a envie de chanter. On se dispute car on trouve que les autres ont fait des choix ineptes. Ensuite, on cherche une histoire qui puisse coller avec les chansons choisies. On se dispute car on ne trouve pas d’histoire crédible qui les contienne toutes. Après, on cherche d’autres morceaux qui cadrent mieux avec l’histoire. Mais on se dispute encore, car on n’a pas envie de chanter ces morceaux-là. Quand on a fait tout ça, on se rend compte que ça ne ressemble plus à rien, on jette tout et on recommence. Et on se dispute. Ça prend un temps fou, mais on adore ça.
Hélène : Je pense que le répertoire qu’ils choisissent vient en priorité de leurs envies profondes, de ce qui a touché leur sensibilité, ce qu’ils ont entendu ou chanté depuis leur enfance, en lien avec leur personnalité, leur histoire et leurs rêves…
Fabian : Le répertoire est propre à chacun, nous avons envie de chanter des titres que nous aimons et en fonction de l’histoire nous les intégrons.
Sandrine : Chacun exprime des idées en fonction de ce qui irait bien à l’esthétique du groupe, qui marchera à cinq voix a capella, de ce qu’il a envie de chanter. C’est soumis au groupe : certaines choses sont refusées, puis acceptées quelques mois plus tard… Certaines chansons choisies n’ont pas été retenues pour la mouture finale car dans le rythme global, elles n’avaient plus leur place, mais reviendront peut-être dans le prochain spectacle… Ensuite des idées viennent en fonction du thème du spectacle , puis en travaillant sur scène d’autres idées arrivent quand on se rend compte que telle ou telle musique serait parfaite pour illustrer tel moment. C’est donc un travail de longue haleine et toujours susceptible d’être un peu modifié : si ça se trouve dans un an , deux ou trois morceaux du spectacle auront changé.
Pascale : C’est un travail collectif qui part d’envies personnelles ou de chansons qui vont correspondre au thème du spectacle. Nous n’avons pas de limite ni dans les styles ni dans les époques, c’est fastidieux, comme le dit encore une fois Patrick, on se dispute souvent mais on fait la paix en mangeant de huitres…
Comment le travail s’est-il articulé avec votre metteuse en scène ? Vous a‑t-elle entraînés dans des directions inattendues ?
Patrick : Oui. Systématiquement. La raison principale en est qu’elle ne parlait pas du même spectacle que nous. Notre scénario d’origine relatait une expérience de mort imminente, mais suite à une erreur de classement dans ses papiers, elle suivait le scénario d’une cure thermale en Bretagne. Quand on y réfléchit bien, ce sont deux concepts assez éloignés.On s’est rendu compte de la méprise seulement quelques jours avant la première, il était trop tard pour faire quoi que ce soit. On a tout gardé, et finalement ça a donné le spectacle que vous connaissez, qui est le résultat de ce croisement étrange.
Sandrine : Au départ, nous avions une idée de thème bien précise qui lui a fait peur. Nous avons donc choisi de garder certains éléments de ce thème (souvenirs, évasions) et avons gommé la partie la plus substantive qui était le passage de la vie à la mort . Et pourtant maintenant quand on regarde le spectacle ce thème plane quand même. Meriem nous a proposé des choses très visuelles qu’elle avait sur certains d’entre nous : elle voyait Patrick chanter « Mexico » avec un grand chapeau, elle voyait Karine en bretonne avec une immense coiffe chanter un trad breton qu’elle a proposé, elle voyait Fabian chanter Carmen… Pour Pascale et moi cela a été à nous de nous trouver l’ossature de nos personnages peu à peu avec le travail sur scène. Meriem a amené une fragilité et une délicatesse que nous avons mis un certain temps à comprendre et à ingérer, « obsédées » que nous étions par le fait de produire quelque chose d’efficace et de « payant » immédiatement. Elle a tenu son cap avec raison ! Mais nous avions aussi beaucoup plus d’expérience en ce qui concerne le rythme particulier d’un spectacle musical, le besoin d’une cohérence théâtrale sans se cacher derrière la musique pour remplir de sens le contenu. Une bataille donc à certains moments ! Normal quoi… C’est passé par beaucoup de tensions , de peurs , d’angoisses à différents degrés selon les personnalités de chacun ‚mais comme d’habitude cela s’est mis en place comme un puzzle.
Pascale : Comme elle n’aime pas les huitres on s’est beaucoup disputé, il a fallu trouver d’autres terrains d’entente. Plus sérieusement, elle n’a pas voulu prendre pour argent comptant ce qu’on avait préparé et pensé avant le travail scénique, elle a travaillé la matière vivante et sensible en nous emmenant sur des terrains qui ont pu nous déstabiliser. Par exemple pour ma chanson « I put a spell on you », elle voulait que je la chante face public sans autre artifice de mise en scène, j’ai résisté quelques temps, elle avait en fait raison, la chanson n’en a que plus de force. Son souci a été de laisser la place à la poésie et la sensibilité de chacun d’entre nous.
Fabian : Le travail avec Meriem Menant fût très intéressant car, même si nous avions écrit à la table le spectacle, nous avons beaucoup cherché en impro et une bonne partie vient de là… Nous avons ensuite tout retravaillé avec la plus grande exigence, tout comme le chant a capella.
Hélène : Avec Meriem, nous sommes parties de ce qui se dégageait de ma personnalité, de « mon propre clown », pour ensuite développer certains aspects afin de rejoindre le personnage incarné par Karine.

Les Cinq de cœur : insubmersibles ?
Pascale : Il faut croire, malgré les tempêtes, ça fait 23 ans que ça dure !! La musique et les huitres ça conserve !!!
Hélène : Dans Le concert sans retour : non, mais dans la vie et dans l’avenir probablement oui.
Sandrine : Cinq de cœur obéit cependant aux lois de la nature des humains. Pourtant depuis le temps que cette aventure continue , il y a sans doute quelque chose d’insubmersible , c’est le plaisir partagé de faire de belles choses en musique et de le renvoyer au public
Patrick : « Souvent imités/Jamais égalés/Leur atout secret/Pour ne pas couler/Ils ont les pieds/Palmés. » Ce poème de Victor Hugo (1802–1885) semble s’appliquer à notre groupe avec une singulière adéquation. Ce grand homme a souvent eu des prémonitions. Gageons qu’il avait prévu votre question.