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Intégrale Jacques Demy — Le coffret magique

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Fabienne Guyon et Richard Berry dans Une chambre en ville ©DR
Fabi­enne Guy­on et Richard Berry dans Une cham­bre en ville ©DR
Quel a été votre pre­mier con­tact avec l’oeu­vre de Jacques Demy ?
Les para­pluies de Cher­bourg, à la télévi­sion. Je devais avoir une dizaine d’an­nées. Ce film m’a pro­fondé­ment mar­quée. C’est étrange, je me sou­viens encore des con­di­tions dans lesquelles je l’ai décou­vert — c’é­tait un mer­cre­di soir, toute la famille le regar­dait sans mot dire — ain­si que du fau­teuil sur lequel j’é­tais assise ! J’é­tais trans­portée par l’his­toire et ce mariage entre le texte et la musique. Un con­te de fée qui se noircit, qui met en scène un con­texte ter­ri­ble, celui de la guerre d’Al­gérie et des amours con­trar­iées, c’é­tait inat­ten­du et cela m’a mar­quée durable­ment. Jamais je n’au­rais pu imag­in­er que, quelques années après, je serais sur scène pour jouer dans cette oeu­vre musi­cale ! Les autres films de ce cinéaste poète m’ont égale­ment cap­tivée. Impos­si­ble pour moi de pass­er sur la grande place d’une ville de province sans imag­in­er que l’une des jumelles des Demoi­selles de Rochefort va sur­gir d’une rue. Pire : je vais même jusqu’à m’in­car­n­er en l’une des deux jumelles ! Il est cer­tain que ses films ont déclenché en moi un véri­ta­ble désir.

Et votre ren­con­tre avec Jacques Demy ?
C’é­tait au théâtre Mont­par­nasse pour les audi­tions de la ver­sion scénique des Para­pluies. Je suis venue par curiosité, sur les con­seils de Mireille, ma pro­fesseur au Petit Con­ser­va­toire et d’autres amies. En fait, mon souhait était de devenir actrice, pas de chanter. Du coup je n’avais aucune pres­sion, j’ai chan­té facile­ment, sans trac, un air de Cri-cri, c’é­tait une chan­son un peu inter­prétée. Michel Legrand, Ray­mond Jérôme et Jacques Demy m’ont audi­tion­née à qua­tre repris­es. En fait je n’avais pas du tout l’âge du rôle de Madeleine, je pense qu’ils ont dû hésiter un petit moment. Pour tout vous dire, je me sou­viens que j’avais com­pris que j’al­lais enreg­istr­er le disque, mais je n’avais pas saisi que j’au­rais égale­ment à inter­préter Madeleine sur scène. C’est chez Cari­ta, lorsque l’on m’a coif­fée et que Jacques Demy a dit : « il faut lui faire pren­dre quinze ans » que j’ai réal­isé ! Autant Michel Legrand pou­vait se mon­tr­er exubérant, autant Jacques Demy était dis­cret et d’une grande douceur, tou­jours très atten­tion­né. Il par­lait beau­coup à tra­vers son regard. Je me sou­viens qu’il venait sou­vent en couliss­es assis­ter aux représen­ta­tions, là encore je sen­tais son regard, j’ado­rais ça. Cette force dans ses yeux, on le ressent très bien dans le Jacquot de Nantes qu’a réal­isé Agnès Var­da. Il fai­sait tout pour don­ner con­fi­ance et savait être très présent avec tact et dis­cré­tion. Une per­son­ne en « demy » teinte si je puis dire. Mal­heureuse­ment le spec­ta­cle n’a pas rem­porté le suc­cès escomp­té, cela l’a affec­té comme nous tous.

Et pour Une cham­bre en ville, que l’on retrou­ve dans le cof­fret, com­ment les choses se sont-elles passées ?
C’est lui qui m’a con­tac­tée. Une fois encore, je pen­sais que je ne ferais que l’en­reg­istrement, et cela suff­i­sait à mon bon­heur. Il a fal­lu qu’il me répète que j’al­lais jouer Vio­lette dans le film pour que je finisse par le croire ! En effet, je n’avais jamais fait de ciné­ma, je me sou­viens lui avoir dit que je n’avais pas fait de test, je ne savais pas si je serais capa­ble… Et lui de me répon­dre, tou­jours avec ce regard envelop­pant : « moi, je sais… ». Enreg­istr­er le disque, avec un orchestre imposant, m’avait trans­portée. Par­ticiper ensuite à une réu­nion avec tout le cast­ing où cha­cun a récupéré ses play­backs fut un autre grand moment. Je me sou­viens par­faite­ment bien de l’énorme impres­sion que m’avait faite Michel Pic­coli, d’une pré­ci­sion extrême dans le chant, à la res­pi­ra­tion près.

Quant au tour­nage, pour ma pre­mière scène, je chan­tais avec Danielle Dar­rieux. Elle m’a tout de suite accueil­lie et accom­pa­g­née. Je me suis sen­tie en con­fi­ance. Je n’avais qu’une quin­zaine de jours de tour­nage, mais j’é­tais telle­ment ent­hou­si­as­mée par cette aven­ture que j’avais demandé au réal­isa­teur la per­mis­sion de rester pour les voir tra­vailler. Blot­tie dans un coin, j’ob­ser­vais les tech­ni­ciens, les acteurs, Jacques Demy. J’ai énor­mé­ment appris, ce fut un régal. D’au­tant que tout s’est passé dans la bonne humeur, je n’ai pas sou­venir de ten­sions. Par ailleurs, je me sou­viens que, à chaque nou­velle écoute, j’aimais de plus en plus la musique de Michel Colom­bier, dont j’ap­pré­ci­ais toute les nuances et la richesse. J’avais le sen­ti­ment de par­ticiper à un film d’im­por­tance, inté­grale­ment chan­té à l’in­star des Para­pluies et je me revoy­ais, enfant, regarder ce film dans le salon famil­ial… Presque sans oser croire que ce que je vivais était réel.

Quel sou­venir mar­quant gardez-vous lorsque vous avez décou­vert Une cham­bre en ville terminé ?
Je me sou­viens surtout d’une soirée à Nantes. Nous avons fait le voy­age en voiture Jacques Demy, Michel Colom­bier et moi. J’é­tais telle­ment fière d’avoir par­ticipé à cette oeu­vre, ce fut un voy­age très gai. La pro­jec­tion fut chargée d’é­mo­tion, encore un beau moment. Peut-être que ma mémoire embel­lit tous ces sou­venirs, mais je ne pense pas… J’é­tais jeune, j’ai eu beau­coup de chance de crois­er le chemin de tous ces gens. Le ciné­ma de Jacques Demy con­tin­ue à me faire rêver, de me don­ner des fris­sons et de jouer à chaque fois un rôle de déclencheur : c’est un ciné­ma qui crée des envies, c’est rare. Son ciné­ma n’est pas que mag­ique ; il est le fruit de l’u­nivers très riche de son créa­teur. Tout en sub­til­ité, généreux à tout point de vue. Ses films méri­tent d’être vus et revus : à chaque nou­velle vision, une per­spec­tive nou­velle s’of­fre à nous. C’est pour cela que ce cof­fret est une chance for­mi­da­ble. Bra­vo à la famille Var­da-Demy ! Je me sou­viens de Math­ieu lors de ses vis­ites sur le plateau d’Une cham­bre en ville, je suis heureuse qu’il con­tin­ue à faire vivre l’oeu­vre de son père tout en créant la sienne.