Cameron Mackintosh, au début des années 90, on parlait déjà d’une version cinématographique des Misérables, réalisée par Alan Parker. Que s’est-il passé entre-temps ?
Déjà, le spectacle est devenu un énorme succès. Nous aurions peut-être fait le film si je n’avais pas demandé à Alan Parker d’attendre quelques années, mais qui sait qui nous aurions casté à l’époque… Alan est ensuite parti sur d’autres projets, ce que je comprends très bien. On a discuté avec quelques autres réalisateurs, puis plus rien ne s’est passé. Du côté des films musicaux, il ne se passait pas grand-chose non plus, il n’y avait pas de grands succès. Il a fallu attendre Moulin Rouge, Evita, et surtout l’incroyable succès de Chicago et de Mamma Mia! Cela a suscité un appétit. Le fait que les films musicaux puissent être rentables a donné envie aux studios d’en produire. Et je pense que c’est exactement le bon moment. Et puis, je constate un regain d’intérêt pour le théâtre musical, notamment auprès des jeunes. Quand j’ai commencé dans le métier, les jeunes ne s’y intéressaient pas, maintenant c’est le cas. C’est aussi pour eux une façon viable d’avoir une carrière.
Quelle était votre part d’implication dans l’élaboration du film ?
J’étais impliqué dans le moindre aspect car je détiens les droits ! Le film n’aurait pas pu se faire sans moi, car je représente les auteurs, Alain [Boublil] et Claude-Michel [Schönberg], qui sont mes collègues et amis. Ils ne pouvaient pas faire de changements dans le musical sans notre accord, que ce soit en termes d’orchestrations ou de casting. Nous voulions tous les trois réinventer le spectacle, nous ne voulions pas que Tom Hooper filme juste une version scénique. Et nous étions très excités que ce soit Tom qui emmène l’œuvre de la scène à l’écran. Nous avons disséqué le spectacle ensemble et l’avons reconstitué à nouveau, autour du piano. Nous étions aussi partie prenante dans le casting, et durant le tournage, et dans tout ce qu’il impliquait en termes de son. Puis, après le premier montage, on a travaillé avec toute notre équipe théâtrale sur la partition. On a transpiré des litres de sueur pour pouvoir sortir le film à temps. On a commencé à tourner mi-mars, avec une livraison prévue mi-novembre. C’est incroyablement court.
Comment est venue l’idée de tout enregistrer en son direct ?
Tom est allé voir le spectacle quand il a appris que le film allait se faire. Il l’a beaucoup aimé et a appelé Working Title [la société de production, N.D.L.R.], avec qui j’étais en pourparlers, pour dire qu’il était intéressé. À l’époque, Le Discours d’un roi avait été tourné mais commençait juste le circuit des festivals. Tom est venu me voir, j’avais vu un de ses films, que j’avais aimé, mais c’était tout. Il a eu des propos très intelligents sur ce qu’il aimerait faire, et il a notamment évoqué l’envie d’enregistrer le son en direct. Et depuis des années, je me dis également que c’est la seule façon possible. Le fait que Tom soit si convaincu de son idée nous donnait plus de chance que les studios l’acceptent. Si moi, je l’avais demandé, je ne suis pas sûr que cela aurait été accepté !
C’était un choix d’avoir des comédiens issus du théâtre comme Aaron Tveit ou Samantha Barks ?
Une des choses dont je suis le plus fier, c’est qu’en fait, le plupart des comédiens viennent du théâtre. J’ai produit Oklahoma! dans lequel jouait Hugh [Jackman]. Eddie Redmayne a débuté dans Oliver! que j’ai produit. Russell a même auditionné pour moi quand il a terminé son école de théâtre en Australie. Durant les quatre premières années de sa carrière, il ne faisait que du musical. Samantha [Barks] a joué dans le spectacle, de même que le petit Daniel [Huttlestone, qui joue Gavroche]. La mère d’Anne [Hathaway] était dans Les Misérables. J’avais vu Sacha [Baron Cohen] et Helena [Bonham-Carter] dans Sweeney Todd, je savais qu’ils pouvaient jouer les Thénardier. Quant à Amanda [Seyfried], je l’avais vue dans Mamma Mia! Et je ne parle pas de tous les autres comédiens qu’on voit dans le film qui viennent tous du théâtre.
Qu’avez-vous le plus aimé dans cette aventure cinématographique ?
J’aime le fait qu’on puisse se pencher sur le texte, le développer et ne pas se préoccuper du fait, comme au théâtre, qu’on ne peut pas avoir tel comédien dans cette scène parce qu’il est en train de changer de costume ! Ce qui était intéressant également, c’est que nous avions « refait » le spectacle une première fois lorsqu’on est passé de la version parisienne à la version londonienne. Là, c’était une nouvelle opportunité. Nous ne voulions pas changer pour changer, mais il y avait plein de petits détails, de zones qu’on a sans doute clarifiées. Et je ne dis pas que je préfère une version à l’autre. Nous avons fait des changements pour que ça marche à l’écran, ça ne veut pas dire qu’on les répercutera forcément dans la version scénique qui fonctionne déjà très bien.
Étiez-vous plus impliqué que sur une production théâtrale ?
J’étais autant impliqué, mais bien plus que ce que je ne pensais au départ. En dehors de la préparation et des auditions qui se ressemblent, la grande différence, c’est que je savais qu’à partir du moment où le tournage commençait, il fallait prendre du recul pour laisser Tom faire son travail, sauf s’il voulait discuter d’un problème ou si j’avais le sentiment que quelque chose devait être couvert différemment. Tom travaillait plus de seize heures par jour pour que cette énorme chose soit filmée dans un temps limité !
Quel est votre moment favori du film ?
Je vous en citerai deux, et je dirai que ce ne sont pas les seuls. J’aime la fin du « Soliloquy » quand Valjean jette ses papiers en l’air et que la caméra est tout en haut, avant de redescendre sur Javert à Montreuil-sur-Mer. Je trouve ça génial. Et l’autre est le moment où Russell accroche la médaille sur Gavroche. Je crois d’ailleurs que c’est lui qui a eu l’idée. C’est très court, mais je trouve ça très fort.
Considérez-vous que ce jour où vous avez décidé d’écouter le 33 tours des Misérables, en français, a changé votre vie ?
Bien sûr. Ça a changé notre vie à tous, Alain, Claude-Michel et moi. Et c’est drôle car on s’est rencontrés pour la première fois à Paris il y a pile trente ans, le 4 février exactement.
Depuis ces trente ans, en tant que producteur des Misérables, quel est votre souvenir le plus marquant ?
Ce qui est incroyable, c’est que Les Misérables continuent à se réinventer, en concert, en film, en nouvelles versions sur scène. Quand je crois ne plus pouvoir être surpris, Cosette réussit alors à m’étonner. Le spectacle n’a jamais aussi bien marché ! C’est le spectacle le plus demandé à Londres actuellement. Nous faisons plus de bénéfices qu’à la grande époque. C’est extraordinaire. Et je ne parle pas de l’aspect financier, mais du pouvoir du spectacle. Quand on a ouvert les licences pour les spectacles scolaires, je n’aurais jamais cru que des enfants de dix ans voudraient le jouer, et le jouer aussi bien !
Maintenant que la version film des Misérables est un succès, est-ce que Miss Saigon va suivre le même chemin ?
Peut-être. Mais je ne veux pas faire un un autre film tout de suite, j’ai besoin de retrouver mon travail ordinaire et m’occuper de mes spectacles. Mais, oui, c’est une possibilité.
Et le revival de Miss Saigon sur scène à Londres ?
On commence à auditionner. Ce n’est pas « confirmé » mais j’envisage sérieusement de le faire. Ça va faire vingt-cinq ans depuis sa création. Et de tous mes spectacles, c’est celui qu’on me demande le plus de faire revenir.
Et on parle d’une nouvelle production des Misérables à Broadway en 2014.
C’est possible. Je vais auditionner prochainement. Le nouvelle version va bientôt jouer à Toronto, puis en Corée, au Japon, en Australie. Ça va revenir à Broadway…
Vous êtes là aussi pour la future production de Mary Poppins à Paris…
Si on trouve la distribution adéquate !
Pensez-vous que le public français a changé depuis la production des Misérables à Mogador ?
Je n’en ai aucune idée. Il me laisse toujours perplexe !
Mais on a plus de spectacles qu’il y a vingt ans.
Oui, ça s’améliore. Et il y a plus de talents qu’avant, mais c’est toujours difficile de caster.
Pensez-vous que Les Misérables pourraient revenir sur une scène parisienne ?
J’en doute… même si je pense que Les Misérables et Miss Saigon devraient être dans votre répertoire : votre pays devrait en être très fier, ce sont des grands opéras populaires.
Pensez-vous que le film va marcher en France ?
Je n’en ai aucune idée. Et je ne veux plus jamais prédire quoi que ce soit en rapport avec la France hormis le fait que je passe toujours du bon temps quand je viens ici !
Lire notre interview de Claude-Michel Schönberg.
Voir les photos de l’avant-première parisienne.