Grégory, vous jouez Mike depuis un mois. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Très positif. Nous avons énormément de retours excellents sur le spectacle. On en est tous très heureux, et moi le premier. Honnêtement, j’avais quelques craintes sur les a priori que les gens avaient sur le spectacle, à savoir que ça allait être juste un concert hommage. Les fans, eux, avaient peur de ne pas retrouver le Mike Brant qu’ils aimaient. Quant à la profession, elle s’attendait à truc ringard et sans intérêt. Donc c’est vrai qu’on appréhendait, même si nous, nous savions qu’on tenait un super spectacle. Maintenant, nous sommes rassurés et très agréablement surpris des réactions très positives du public.
Comment vous êtes-vous retrouvé à incarner Mike Brant ?
C’est Thierry Harcourt, un ami metteur en scène, qui m’a appelé pour me dire que Thomas Le Douarec [NDLR : metteur en scène de Mike] recherchait un Mike Brant. J’étais en répétitions au Casino de Lille, je n’ai pas trop réfléchi, j’ai appelé pour passer l’audition. J’ai passé quatre tours. Entre le deuxième et le troisième, le metteur en scène m’a envoyé le livret. Je l’ai dévoré. J’ai tout de suite appelé pour dire que je voulais vraiment faire ce spectacle. C’est une vraie comédie musicale comme à Broadway, qui raconte une histoire forte avec plus de théâtre que de chant. C’est vraiment ce qui m’a plu. C’était une opportunité unique pour un jeune comédien chanteur comme moi de faire ses preuves tant la palette de jeu est large sur ce spectacle. Thomas Le Douarec et Marc Soustras, le producteur exécutif, ont cru en moi tout de suite et je les en remercie encore. Ils se sont battus pour que ce soit moi ; mon « inexpérience » en tant que comédien effrayait un peu la production. Mais au fond de moi, je savais que je pouvais y arriver.
Vous n’avez que 27 ans. Que représentait Mike Brant pour vous avant de passer ces auditions pour le rôle ?
Mike Brant, ça m’évoquait les repas de famille, les bals populaires qu’il y a encore dans les petits villages du sud de la France d’où je viens. Pour moi, c’était juste un chanteur à voix exceptionnel que je croyais américain ! Mais il ne m’intéressait pas plus que ça, ce n’était pas du tout ma génération. Maintenant que je le connais mieux, j’ai appris à l’aimer. C’est quelqu’un qui était vraiment à fleur de peau ; c’est un point que nous avons en commun, je suis quelqu’un d’ultra sensible. Il avait envie de chanter autre chose que ce qu’on lui faisait chanter, il était fan d’Elvis Presley et d’Aretha Franklin. Mais quand on exploite un bon filon, on l’exploite jusqu’au bout. Il était entouré de gens qui voulaient faire du business sur son dos et, à un moment donné, quand il a senti qu’il n’était qu’une marionnette à faire du fric, en plus de tout son passé douloureux, ça l’a brisé. Tout ça est très bien raconté dans le spectacle.
Comment se sont passées les répétitions sous la direction de Thomas Le Douarec ?
Il fallait être patient parce que Thomas est toujours en retard (rires) ! Non, il y avait une super ambiance. La plus grande force de Thomas est d’avoir réussi à réunir une équipe composée de personnes venant d’horizons différents et qui pourtant avaient l’impression de déjà se connaître. Il y avait une certaine symbiose avant même qu’on ne démarre les répétitions. Après, Thomas a beaucoup travaillé sur nos instincts les uns vis-à-vis des autres. Il a d’abord laissé les choses se passer, puis il est allé chercher vraiment l’essence des situations, des scènes.
Comment avez-vous travaillé votre personnage ?
J’ai bouffé du Mike Brant (rires) ! J’ai beaucoup regardé des images d’archives, ses passages télé, observé ses mimiques. J’ai lu quatre ou cinq biographies. Pour l’accent, dès la première audition, on m’avait demandé d’essayer d’en trouver un qui se rapproche de celui qu’avait Mike quand il parlait français. Dans le train qui m’amenait à Paris, j’ai écouté deux interviews de lui pour me mettre dans l’oreille la musique de cet accent que j’ai essayé de reproduire lors de l’audition. C’est peut-être pour ça aussi que j’ai eu le rôle !
Vous êtes même allé sur les lieux de son enfance en Israël…
Oui, et sur sa tombe aussi. J’ai surtout rencontré son frère. Il m’a raconté plein de choses, dont certaines très intimes, qui m’ont beaucoup aidé. Pour la plupart des gens, Mike Brant était un chanteur à minettes, un boys band à lui tout seul, des années 70. En réalité, c’était un homme ultra fragile. Sur l’envers du décor, sur ses fêlures et sa tristesse, la rencontre avec son frère m’a beaucoup apporté.
Et quelle a été sa réaction quand il vous a vu jouer son frère ?
Ca lui a fait bizarre. Il m’a dit que dans beaucoup de scènes il avait l’impression de le revoir dans sa fragilité, dans ses réactions. Mais déjà lorsque je l’ai rencontré en Israël, nous étions au restaurant pour fêter l’anniversaire d’un des producteurs, j’ai chanté une chanson de Mike Brant et quand je me suis retourné, il pleurait. C‘était très émouvant.
Qu’est-ce qui vous est le plus difficile sur ce spectacle ?
C’est l’abandon. C’est quelque chose qui a été très dur à trouver en répétition. Dans les dernières scènes, Mike est brisé. Le plus dur, c’est de s’abandonner totalement, il ne faut plus avoir aucune pudeur. Quand on s’abandonne vraiment, il y a un truc qui se casse à l’intérieur. Et il faut le faire tous les soirs.
Quels sont pour vous les principaux points forts du spectacle ?
Il y en a tellement… Pour moi, le plus gros point fort du spectacle, outre le très beau texte de Gadi Inbar, c’est l’homogénéité et la qualité de la troupe qui font que le spectacle va crescendo sans jamais retomber. Nous avons de très bons musiciens et nous sommes bien aidés par l’intelligence de la mise en scène de Thomas.
Et vos moments préférés ?
J’adore mon duo avec Dalida, jouée par Caroline Devismes. C’est un plaisir de chanter les yeux dans les yeux avec elle. Après, il y a tous les tableaux chorégraphiés comme « Jailhouse Rock » au commissariat, c’est génial de voir tout le monde danser, bouger autour de moi. Toutes les scènes avec les parents sont des moments très forts pour moi parce qu’on a tous un passé plus ou moins douloureux avec nos parents, on a tous eu nos crises d’adolescent, nos engueulades. Je retrouve dans ces scènes mes propres provocations et les réactions de mes parents. Quant aux scènes où il y a la drogue, l’alcool, la violence, l’orgie, c’est jouissif à jouer parce que ce sont des choses qu’on s’interdit dans la vie de tous les jours. Et là, moi, j’ai droit à tout, c’est super grisant ! Et puis, il y a la scène finale, « Dis-lui » : c’est ma cerise sur le gâteau parce que je vois le public et je sais qu’il y a toute la troupe qui chante derrière moi. Franchement, pour moi, c’est très fort. Je me rends compte que j’ai cité quasiment tout le spectacle !
En quoi le spectacle peut-il plaire à ceux qui ne sont pas fans de Mike Brant ? Que diriez-vous pour les convaincre ?
Je vais reprendre la phrase que m’a dite Daniel Mesguich, le grand comédien et directeur du Conservatoire National d’Art Dramatique : « ce spectacle-là, on y va à reculons parce qu’on se demande où on va, et quand on en ressort, on a envie de revenir ». Tout est dit. Encore hier soir, il y a trois gars qui sont venus me voir à la sortie pour me dire : « on est venus pour faire plaisir à nos femmes parce que Mike Brant, on n’en a rien à cirer, et très sincèrement on s’est éclaté, on a vu une vraie histoire. » C’est la force de ce spectacle. Quand je fais de la promo en télé, je n’arrête pas de répéter que ce n’est pas un concert, un hommage réservé aux fans. C’est vrai que le sous-titre « Laisse-nous t’aimer » peut le faire penser. D’ailleurs, nous en avons un peu discuté avec les producteurs. S’il y a une nouvelle campagne d’affichage, il n’y aura plus que Mike sur l’affiche.
Si Mike Brant ne s’était pas suicidé si jeune, pensez-vous qu’il aurait évolué artistiquement ?
J’ai envie de me dire qu’à un moment donné il aurait trouvé quelqu’un qui lui aurait permis de faire ce qu’il aimait vraiment. Il aurait pu être un crooner, un Tom Jones à la française. J’aimerais croire que s’il était encore en vie aujourd’hui, il nous régalerait de chansons de son cru, avec sa sensibilité et ses goûts musicaux assez différents de ce qu’il chantait. Mais malheureusement, je pense qu’il ferait comme tous ceux de son époque, il continuerait à chanter ses grands tubes des années 70.
Et vous, comment aimeriez-vous que votre carrière évolue ?
Mon plus gros challenge à l’heure actuelle, c’est d’être reconnu en tant que comédien à part entière, et pas seulement comme un chanteur qui se débrouille en comédie, pour qu’on puisse par la suite me proposer des rôles intéressants. Là, j’ai l’avantage de me faire connaître d’un plus grand public et de la profession en général. Si on me propose un projet de comédie musicale au moins aussi bien que Mike, je n’hésiterai pas. Mais ce qui me ferait le plus plaisir, ce qui me donnerait le plus de fierté, ce serait qu’on me propose une pièce de théâtre à Paris. On a tous des choses à se prouver à soi-même.