Grégori Baquet, pouvez-vous nous présenter Colorature ?
Colorature est l’histoire d’une évocation, l’évocation d’un souvenir. Cosme Mc Moon, pianiste de seconde zone dans un club de jazz, profite d’une petite déprime passagère pour ouvrir son cœur aux quelques personnes présentes dans le club dans lequel il officie. En ce jour spécial, l’anniversaire de la mort d’une certaine Mme Jenkins, il repense à ce jour où il a rencontré ce personnage hors du commun. Tout jeune pianiste, débarquant à New York, il essaie de vivre de son métier. Comme beaucoup de jeunes artistes, le voilà bien vite obligé de trouver un boulot « alimentaire ». Ce qu’il fait, en ayant l’opportunité de devenir le pianiste accompagnateur d’une certaine cantatrice, milliardaire de surcroît, ayant un « son » unique. Mais, très vite, il s’aperçoit que cette dame, très riche, ne possède qu’un sens très approximatif de la justesse et un sens du rythme totalement nul. Malgré tout, et parce que son loyer ne va pas se payer tout seul, il accepte un concert. Puis de fil en aiguille, il en accepte un deuxième et ainsi de suite… Véritablement pris au piège, il n’ose plus lui dire qu’elle chante faux — c’est trop tard — et, le salaire que lui donne sa patronne est plus que conséquent. Par dessus tout, il finit par éprouver une véritable tendresse pour cette femme qui à décidé d’aller au bout de son rêve, persuadée d’être une grande « colorature » et d’avoir de nombreux admirateurs.
Connaissiez-vous Florence Foster Jenkins avant de répéter la pièce ?
Oui, bien sûr. Depuis mon plus jeune âge, alors que j’étais moi aussi jeune pianiste au conservatoire de ma petite ville de banlieue, nos professeurs nous faisaient régulièrement découvrir des extraits du disque qu’avait enregistré Florence. Nous rigolions beaucoup. Elle a toujours été adulée dans le milieu des musiciens classiques.
Parlez-nous de votre personnage…
Cosme est un jeune artiste comme il en existe encore beaucoup de nos jours, et comme je l’ai moi même été. Plein d’envie, de rêves et d’espoirs. Lui qui rêve de grandes œuvres, de compositions originales, et qui a même commencé l’écriture d’un opéra, va se retrouver écrabouillé par la personnalité de Mme Jenkins. Il est totalement bluffé par l’aplomb dont elle fait preuve. Elle ne doute jamais de son talent et c’est en cela que Cosme va devenir, un peu, le perdant de l’affaire. Lui doute, tout le temps. Comme de nombreux artistes. Elle, jamais. Et c’est elle qui va l’emmener, l’emporter sous son aile et faire qu’il joue à Carnegie Hall une de ses compositions. C’est d’ailleurs la seule fois que ces œuvres seront jouées en public. Cette rencontre va bouleverser sa vie au point qu’il ne deviendra jamais un compositeur reconnu. 60 ans après la mort de la milliardaire, c’est d’elle dont on fait une pièce, pas de lui…
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans cette pièce ?
Outre l’aspect comique et désopilant que l’on peut très vite apercevoir dès les premières scènes — entendre massacrer merveilleusement les plus grands airs d’opéras est toujours jouissif — c’est surtout la tendresse qui va naître entre ces deux personnages qui m’a le plus touché dès la lecture. Cette femme est véritablement restée une enfant, qui croit dur comme fer qu’elle y arrivera. Et elle y arrive. J’aime aussi jouer Cosme car, il décide de s’effacer derrière cette entité « Florence » et de devenir son protecteur, dans l’ombre. Il essaye, durant la totalité de sa collaboration avec elle, d’éviter qu’elle ne prenne conscience du regard que son auditoire porte sur elle. La moquerie du « grand monde » venant à ses concerts, pour rire d’elle…
En tant qu’artiste, comment voyez-vous la foi que Florence Foster Jenkins avait en son propre « art » ?
Elle est magnifique… Elle nous donne des leçons à tous. C’est ce que chaque artiste devrait avoir, une foi inébranlable en son art. Un artiste recherche sans arrêt la perfection. Comme tout être humain d’ailleurs. On désire être le meilleur ami, le meilleur amant, le meilleur papa, le meilleur être humain, mais plus on recherche cela plus on s’en éloigne finalement. Lorsque nous sommes émus par un comédien, un chanteur, un peintre, un photographe c’est généralement au moment où il lâche prise. Où son métier lui « échappe » justement. Lorsqu’il est sur le fil du rasoir… On le sens fragile et cela nous touche. Comme Cosme, pour Florence…
Quels sont vos projets après Colorature ?
Colorature étant un joli succès , sans cesse grandissant, nous prolongeons et partons en tournée dans toute la France et pays limitrophes, juste après avoir « refait » Avignon et son festival cet été. Donc, Colorature jusqu’à la fin de l’année…
Ensuite, je vais certainement jouer un texte de Wajdi Mouawad au Théâtre des Déchargeurs à Paris à partir de février 2014. Puis je travaille avec un acteur- performer-auteur formidable, Eric Bouvron. Il adapte un roman de Joseph Kessel, Les cavaliers, que nous devrions jouer à trois comédiens sur scène : une véritable gageure que de vouloir faire exister plus de 25 personnages, des chevaux, des batailles, le tout sur fond de Kaboul, d’Afghanistan et d’histoire d’orgueil masculin… Un chef d’œuvre que ce livre… Et j’écris toujours des chansons. Bientôt, mon groupe Olev se produira sur scène…
Lire notre critique de Colorature.