Des rires fusent dans la salle et sur la scène. Les comédiens prennent la pose pour une séance de photos dans les décors du spectacle. On se retrouve propulsé dans l’Amérique des années cinquante : fond de scène avec le visage d’Elvis, des pubs délavées, la façade de la Rydell School, les gradins du stade, un gros poste de télévision très kitsch et même la fameuse voiture — pas une vraie, certes, mais un modèle de théâtre en polyester -, des cabines de sauna avec séchoirs à cheveux… Beaucoup d’éléments de décor qui font dire au producteur Serge Tapierman « on a dû pousser les murs pour tout faire rentrer et pour pouvoir les manipuler ». Quant aux costumes et coiffures, tout y est : blousons de cuir noir ou rose, bananes et perruques qui mettent dans l’ambiance. La séance terminée, les artistes n’ont que quelques minutes pour aller se changer et se restaurer rapidement avant la longue soirée de répétition qui les attend.
A l’image de toute la troupe, Cécilia Cara (Sandy) et Djamel Mehnane (Danny) s’amusent et plaisantent. « C’est une vraie ambiance de colonie de vacances, c’est l’esprit Grease même en dehors de la scène ! », nous confient-ils, « il y a une vraie cohésion si bien que pendant les répétitions, on a très vite pu trouver plein de trucs entre nous ».
Pour Cécilia, qui fut la douce Juliette dans Roméo et Juliette, le spectacle musical de Gérard Presgurvic, c’est un retour à la comédie musicale. Effectuer ce retour avec Grease la ravit tout particulièrement. « C’est un film culte, l’une des premières comédies musicales que j’ai vues et qui m’a donné envie de faire ce métier. Jamais je n’aurais imaginé interpréter un jour le rôle de Sandy ! ».
Elle ne semble pour autant pas trop impressionnée de reprendre ce rôle immortalisé au cinéma par Olivia Newton-John, tout comme Djamel qui, pour sa première participation à une comédie musicale de cette envergure, interprète le rôle que jouait John Travolta dans le film. Au contraire, ils prennent ça comme un challenge, bien conscients que les spectateurs vont avoir envie de comparer. « C’est vraiment excitant d’interpréter ces deux personnages après Travolta et Newton-John. Evidemment, pour nous, ce sont deux modèles. On s’est forcément un peu inspirés de leur jeu au début mais on a apporté ensuite chacun notre personnalité ».
Alors que résonnent les premières notes de musique, ils sont impatients de rejoindre le plateau. « Quand on est accompagnés par de tels musiciens, on ne peut être que pressés de commencer et de faire passer un très bon moment au public » s’enthousiasment-ils.
Les musiciens sont bien là, sur une mezzanine au-dessus de la scène, sous la direction de Franck Sitbon qui fait entre autres les beaux soirs de la Nouvelle Star sur M6. Cette soirée est consacrée au réglage son, micros, balance voix/orchestre. C’est toujours un exercice délicat. La troupe enchaîne les chansons et les dialogues qu’ils faut souvent reprendre plusieurs fois pour les besoins des réglages. Il y a un échange permanent entre les comédiens, Philippe Parmentier à la console son dans la salle et Franck Sitbon, perché sur sa mezzanine mais qui descend régulièrement pour vérifier la bonne harmonie des voix et le bon fonctionnement des micros de chaque comédien sur les choeurs.
Malgré les nombreuses interruptions, l’ambiance sur la scène reste détendue. Lors d’un temps mort, quelques comédiens improvisent même un concours de danse classique et se débrouillent plutôt bien. C’est d’autant plus cocasse qu’ils enchaînent avec la chanson « Greased Lightning », un moment très rock et viril, un vrai concentré de testostérone. Cette chanson n’a été que partiellement adaptée en français, d’autres sont restées entièrement en version originale.
Comme nous l’explique Stéphane Laporte, qui a signé l’adaptation française, « certaines chansons comme « You’re the one that I want » ou « Summer nights » sont tellement connues en anglais qu’une traduction semblerait incongrue. Il y a quelques autres chansons comme « Rock’n roll party queen », qui sont peu connues mais, ne faisant pas avancer l’action, permettent en anglais de capturer le parfum d’une époque plus qu’une traduction ne pourrait le faire ». A propos de son adaptation, il nous confie avoir rencontré « quelques petites difficultés à retranscrire l’humour, parfois à le sophistiquer un peu, le livret original étant très potache ! ».
Même si ce soir la répétition est consacrée au réglage son et que les comédiens jouent et chantent sans les déplacements, Jeanne Deschaux et Olivier Benezech, les deux metteurs en scène, ont l’oeil à tout. Après Le violon sur le toit, c’est la deuxième fois qu’ils travaillent ensemble. « Nous nous complétons bien » , se félicite Olivier Bénézech, « Jeanne est plus dans la partie danse et moi plus dans la partie théâtre et scénographie mais, à un moment donné, ces deux choses se mélangent totalement, on veut éviter la dichotomie entre mise en scène et chorégraphie ». Et Jeanne Deschaux de rajouter en riant « c’est très sécurisant de savoir qu’on n’est pas seul à prendre une décision !». Tous les deux ont tout de suite été d’accord sur la vision qu’ils voulaient donner de Grease. « Nous avons voulu proposer une version de Grease qui corresponde à notre esprit français, très éloigné de celui des Américains, à notre façon de cultiver l’ironie, le recul, le non conformisme, le non politiquement correct » expliquent-ils, « par exemple pour la scène du bal, on a fait des décorations qui correspondent à une fête du Parti Républicain, c’est-à-dire un côté Amérique for ever, God bless America, en complet contraste avec l’attitude des danseurs ». Ils ont voulu conserver « l’aspect rebelle de ces rockeurs qui ont refusé le modèle imposé et ouvert la voie aux mouvements de révolte de la jeunesse des années soixante ». Mais Grease c’est avant tout « une oeuvre épicurienne où on prend du plaisir » se félicite Olivier Bénézech avant de nous montrer, amusé, une fausse cigarette comme celles que fument les comédiens pendant le spectacle : elle a l’apparence d’une vraie, dégage la même fumée et pourtant c’est un gadget électronique de cinquante euros !
La répétition se poursuit. La scène du bal, succession de plusieurs chansons, chorégraphies et scènes de comédie, est particulièrement difficile à régler pour le son. Tout en dansant, les comédiens échangent de courtes répliques qui s’enchaînent rapidement. Même s’il est tard, l’énergie est toujours là, et il faut sacrément en avoir pour cette longue scène ! L’orchestre fait entendre toute sa puissance et sa rythmique endiablée. Ce sera sans aucun doute l’un des moments les plus forts du spectacle. Déjà minuit, après un dernier « Born to hand jive » décoiffant, c’est fini pour ce soir et, malgré la fatigue, nos rockeurs ont encore la banane !