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Gilles Vajou — De la danse russe à la tondeuse à gazon

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Gilles Vajou ©DR
Gilles Vajou ©DR

Gilles Vajou, racon­tez-nous vos débuts.
J’ai com­mencé très tôt par la danse clas­sique. Comme ça ne me plai­sait pas, je me suis tourné vers la danse russe. J’ai été engagé à 16 ans par Iri­na Grjbi­na. A l’époque, elle était pro­fesseur à l’Opéra de Paris. Je suis par­ti en tournée avec elle, notam­ment à Séoul. Je suis mon­té à Paris à l’âge de 19 ans. Chemin faisant, j’ai ren­con­tré des gens qui fai­saient du French can­can et j’ai tra­vail­lé un peu l’ac­ro­batie, tou­jours dans l’e­sprit de faire autre chose. J’ai eu la chance, ensuite, d’en­chaîn­er des spec­ta­cles où, en plus de danser, je jouais un peu la comédie. C’est donc sur le tas que j’ai appris le méti­er d’ac­teur. J’ai aus­si tra­vail­lé à la Comédie Française. Le plus drôle, c’est que j’y ai d’abord été pom­pi­er de ser­vice. J’y fai­sais mon ser­vice mil­i­taire. Les gardes à la Comédie Française se mon­taient au qua­trième dessous. J’avais 19–20 ans, j’at­tendais là et j’en­tendais tout ce qui se pas­sait sur scène. J’ai écouté, comme ça, plein de grands comé­di­ens puis je me suis retrou­vé avec eux sur scène. La pre­mière fois, c’é­tait pour Un cha­peau de paille d’I­tal­ie où je fai­sais plutôt de la fig­u­ra­tion. La sec­onde fois, j’ai été engagé en tant que danseur dans Mon­sieur de Pourceau­gnac. Il y a eu, ensuite, la ren­con­tre avec Jacques Lasalle. Comme acteur, j’ai beau­coup appris en écoutant les comé­di­ens et les met­teurs en scène. Quelque temps après, j’ai passé les audi­tions pour Cats.

Qu’est-ce que ce spec­ta­cle représente pour vous, aujourd’hui ?
Cats a été ma pre­mière grosse machine. C’é­tait mon­té à l’an­g­lo-sax­onne, avec tout ce que ça représente de moyens et de rigueur. Ca m’a aus­si apporté beau­coup d’op­por­tu­nités. Après quelques mois de représen­ta­tions, j’ai pu audi­tion­ner pour un rôle plus impor­tant. Au départ, je jouais Tum­ble­bru­tus. Et puis il y a eu de nou­velles audi­tions. Je suis tout de suite allé voir Gillian Lynne, la choré­graphe, pour lui dire que j’é­tais intéressé par le rôle de Rocky Tam Tam alors que je ne cor­re­spondais pas for­cé­ment à ce per­son­nage-là. Elle m’a dit : « Dans un mois, je reviens et je vous audi­tionne ». J’ai tra­vail­lé comme un fou et, quand elle est rev­enue, j’ai eu le rôle. J’é­tais d’abord en qua­trième dis­tri­b­u­tion, puis en troisième. Au final, j’ai dû le jouer une ving­taine de fois. Ca a été un grand choc par rap­port à tout ce que j’avais fait avant parce que j’avais tra­vail­lé un peu le théâtre musi­cal aux Bouffes Parisiens dans Mamz’elle Nitouche mais, là, j’avais un vrai grand rôle.

Si Gillian Lynne est une per­son­nal­ité impor­tante dans le monde du spec­ta­cle anglais, elle reste très peu con­nue du pub­lic français. Pou­vez-vous nous par­ler d’elle ?
Gillian Lynne est vrai­ment la « grande dame » intouch­able. Elle est impres­sion­nante. J’ai des sou­venirs éton­nants avec elle. Une fois, pen­dant les répéti­tions, elle nous a demandé de nous désha­biller. On était tous presque nus et on a fait un défilé. C’é­tait très bizarre. Petit à petit, on est entré dans une espèce de moule, on s’est sen­tis inté­grés à une équipe où il fal­lait répon­dre exacte­ment à l’i­den­tité du danseur faisant par­tie de Cats. Nous les Français, on a un côté un peu latin, on est tou­jours un peu reven­di­ca­teur. Là, on était con­fron­té à la sen­sa­tion de faire par­tie d’une fran­chise où cha­cun devait cor­re­spon­dre à des normes bien précises.

C’est avec Cats que vous avez abor­dé le chant ?
Dis­ons que c’est pen­dant ce spec­ta­cle que j’ai eu envie de pren­dre des cours. Mais ren­con­tr­er un prof de chant, ce n’est pas facile. À l’époque, quand on dis­ait « Je veux faire de la comédie musi­cale », les profs lyriques nous regar­daient avec de gros yeux. Pour eux, « comédie musi­cale » ça veut tout dire et rien dire. J’ai pris des cours de chant pen­dant deux ans et demi. J’ai voulu chang­er de prof, je n’en ai pas trou­vé de nou­veau et j’ai arrêté. Je me suis tou­jours mieux sen­ti avec les chefs d’orchestre. J’ai le sen­ti­ment de mieux pou­voir leur expli­quer ce que je veux faire. C’é­tait impor­tant dans le cas des Mis­érables dans lequel j’ai joué ensuite et où on tra­vail­lait vrai­ment les car­ac­tères vocaux. Un jour, on était Thé­nardier, le lende­main Marius.

Quels rôles avez-vous joués dans Les Mis­érables ?
Au départ, je jouais Mont­par­nasse. Mais, après six mois de représen­ta­tions, Renaud Marx qui jouait Grantaire est par­ti alors je l’ai rem­placé. J’é­tais aus­si dou­blure de Thé­nardier. Dans ce genre de spec­ta­cle il y a tou­jours des rem­plaçants, des « swings ». On arrivait au théâtre à 19 heures et on appre­nait le soir même qu’on allait jouer tel ou tel rôle. Les Mis­érables a été une expéri­ence très forte humaine­ment. Il y a eu un moment for­mi­da­ble pen­dant les représen­ta­tions, où nous n’avions plus de met­teur en scène, ni même d’as­sis­tant. Soudain, on s’est retrou­vés tout seuls avec le spec­ta­cle et on était les maîtres à bord. Le spec­ta­cle était à nous, on se l’ait com­plète­ment approprié.

Com­ment s’est passé la tran­si­tion entre des spec­ta­cles de cette enver­gure et des pro­duc­tions aux dimen­sions, dis­ons, plus françaises ?
Il est cer­tain que ce n’est pas le même état d’e­sprit. A l’époque, on était plusieurs à avoir fait Cats et Les Mis­érables et on était per­suadé de surfer sur la vague. Cameron Mack­in­tosh venait à Paris alors on se dis­ait: « A nous Phan­tom of the opera ou Miss Saï­gon »! Mal­heureuse­ment, l’his­toire s’est mal ter­minée. Je crois que Cameron voulait acheter Mogador où se jouait Les Miz mais que les gens du théâtre n’é­taient pas d’ac­cord. Il y avait aus­si un co-pro­duc­teur français, le patron de Hachette Pre­mière, qui s’est retiré. Le tra­vail sur les comités d’en­tre­prise que ce genre de spec­ta­cles pou­vait séduire a été très mal fait. En fait, Mack­in­tosh n’a pas eu les mains libres pour organ­is­er les choses comme il le voulait. Pour ma part, l’an­née suiv­ante, je me suis retrou­vé dans le Kiss Me ‚Kate adap­té et mis en scène par Alain Mar­cel et ce fut une très belle expéri­ence ! Alain, c’est une ren­con­tre impor­tante. Sous sa direc­tion, j’ai aus­si par­ticipé à My Fair Lady et à Don Pasquale, une aven­ture éton­nante où je jouais un rôle muet. On se retrou­ve aujour­d’hui pour le Paris d’Az­iz et Mamadou.

Vous avez ensuite tra­vail­lé avec Lau­rent Pelly.
La ren­con­tre avec Lau­rent Pel­ly a égale­ment beau­coup comp­té pour moi. J’avais vu un Shake­speare qu’il avait mis en scène à l’Odéon et j’avais adoré. Alors quand Jacques Verzi­er, qui était aus­si dans Kiss Me, Kate, m’a demandé si je voulais tra­vailler avec lui, j’ai fon­cé. On a fait Souingue ensem­ble. C’é­tait un quatuor avec lequel on revis­i­tait le réper­toire de la chan­son française. Ensuite, il y a eu Et Vian, en avant la zique, un Shake­speare à la cour d’hon­neur à Avi­gnon et puis ces deux aven­tures de créa­tion : C’est pas la vie 1 et 2. Le pre­mier était con­stru­it à par­tir d’une sélec­tion d’ex­traits de presse, d’in­ter­views et de con­férences, mêlés à de grands airs de comédies musi­cales. C’é­tait un objet un peu étrange mais c’est un luxe qu’on peut se per­me­t­tre quand on tra­vaille dans le sub­ven­tion­né. Pour le deux­ième, on avait don­né carte blanche à des auteurs qui tra­vail­laient sur le thème du pas­sage à l’an 2000. Je me suis sen­ti très bien sur ces spec­ta­cles. J’avais le sen­ti­ment d’être libre et d’être à ma place. C’est un cycle qui a duré cinq ans et puis je suis passé à autre chose. J’ai fait Chan­tons sous la pluie avec Jean Louis Grin­da que j’avais ren­con­tré à l’époque où il pro­dui­sait My Fair Lady. Le spec­ta­cle tourne encore.

Vous avez par­ticipé récem­ment au show­case d’une adap­ta­tion française de She Loves me, la comédie musi­cale de Joe Mas­teroff, Jer­ry Bock et Shel­don Harnick.
She loves me est un très beau pro­jet qui mal­heureuse­ment ne ver­ra pas le jour. On a fait deux show­cas­es qui n’ont rien don­né. On a ren­con­tré un pro­duc­teur qui nous a promis monts et mer­veilles mais, au final, c’é­tait quelqu’un sur qui on ne pou­vait pas compter. Voilà pour­tant un spec­ta­cle comme je les aime! Il réu­nit vrai­ment le jeu d’ac­teur et la musique à la manière de cer­tains films comme Tout le monde dit I love you ou Moulin rouge. C’est à dire qu’à un moment don­né le comé­di­en sub­lime son texte en chan­tant parce que la parole ne suf­fit plus. Pour moi, c’est vrai­ment ça, le théâtre musical.

Venons-en au Paris d’Az­iz et Mamadou. Alain Mar­cel est célèbre pour ses adap­ta­tions des grands shows de Broad­way comme Lit­tle shop of hor­rors ou La Cage aux folles. Quel rap­port son nou­veau spec­ta­cle entre­tient-il avec le genre « comédie musicale » ?
Tout l’amour qu’Alain Mar­cel porte à la comédie musi­cale, toute son expéri­ence dans ce domaine, son exi­gence du tra­vail bien fait et d’une cer­taine sophis­ti­ca­tion, il les met au ser­vice de ce spec­ta­cle-là. Il a com­posé de très belles musiques, écrit de très beaux textes. Mais, comme il le dit lui-même, ça reste des chan­son­nettes. Le spec­ta­cle fonc­tionne plutôt à la manière d’une revue. Deux gamins arpen­tent les rues de Paris et vont être con­fron­tés à des gens et à des objets. C’est une suc­ces­sion de saynettes qui met­tent en valeur une galerie de per­son­nages. Sinon, Le Paris d’Az­iz et Mamadou, c’est aus­si le pari de comé­di­ens qui vont essay­er de jouer, entre autres, des ton­deuses à gazon ou des bombes fluo. C’est un spec­ta­cle qui s’adresse aux enfants mais, en aucun cas, Alain Mar­cel ne l’a écrit pour les enfants. Ceux-ci y pren­dront ce qu’ils veu­lent. Rien n’y est infan­til­isant. J’aimerais réelle­ment que ce spec­ta­cle existe ensuite, hors les murs de l’Opéra.

Quels sont vos projets ?
Je tra­vaille sur Les Pré­cieuses Ridicules de Molière pour le fes­ti­val d’Av­i­gnon. La pièce sera mise en scène par Vin­cianne Regatier­ri, que j’avais ren­con­trée sur Kiss me Kate, et présen­tée en off. Je vais jouer Mas­car­ille. Par­al­lèle­ment, je pré­pare un petit con­cert au Sous-sol avec Cathy Sabroux. Les textes et musiques des chan­sons seront signés Pierre-Michel Sivadier. Là aus­si, il s’ag­it d’un objet un peu par­ti­c­uli­er. Je suis davan­tage motivé par les ren­con­tres que par les plans de car­rière. Je sais qu’actuelle­ment, il y a plein de pro­jets de gross­es comédies musi­cales mais je ne m’y retrou­ve pas. J’ai la sen­sa­tion d’être plus à ma place dans des pro­jets comme celui de Pierre-Michel ou celui d’Alain. Ces spec­ta­cles-là don­nent à voir et à enten­dre autre chose.