
Un goût immodéré pour la comédie musicale
Gérard Presgurvic se définit lui-même comme un autodidacte de la musique. Il multiplie les expériences. En 1981, on lui doit le premier rap français «Chacun fait c’qui lui plaît» interprété par Chagrin d’amour. Un succès immense mais éphémère. Quelques années plus tard, sa rencontre avec Patrick Bruel sera déterminante. Ils écrivent ensemble tous les tubes du chanteur. «Ca m’a appris la simplicité. J’ai compris qu’une chanson avec quelques mots simples touchait beaucoup plus le public qu’un texte plus alambiqué comme je pouvais en écrire avant». Il n’oublie pas son autre passion, le cinéma, puisqu’il compose de nombreuses musiques de films et de téléfilms.
Son goût pour la comédie musicale ne date pas d’hier. «J’ai toujours été attiré par la comédie musicale, j’ai écrit ma première à 16 ans. J’aime autant les films avec Fred Astaire que Hair ou West Side Story». Pourtant, Gérard reconnaît avoir galéré pour convaincre les décideurs. «Depuis vingt ans, je vais voir des producteurs. A chaque fois, toujours les même réponses : trop lourd, trop cher, il n’y a pas de public… Arrive l’énorme triomphe de Notre Dame de Paris qui libère les énergies. Et les producteurs se disent qu’ils peuvent risquer de l’argent sans nécessairement en perdre». Il va donc voir Gérard Louvin et lui propose d’abord un sujet sur la télévision, en vain. Puis il propose au producteur une adaptation de Roméo et Juliette de Shakespeare, «une idée de ma femme qui me tannait avec depuis trois semaines !». Une idée qui fait mouche auprès de Gérard Louvin. «J’ai vu son oeil briller» nous raconte Gérard Presgurvic. Quelques jours plus tard, il lui fait écouter les quatre premières chansons, et c’est le début de l’aventure.
Si, selon Gérard Presgurvic, tout peut se prêter à une adaptation musicale, Roméo et Juliette est un sujet particulièrement fort. «On y retrouve toute la palette des sentiments». Il considère son adaptation plutôt fidèle à l’original. «J’ai respecté pratiquement toute l’intrigue mais c’est vrai que j’ai ‘actualisé’ certains personnages pour les rendre plus contemporains». Après avoir découpé les scènes des deux actes du spectacle, il écrit et compose les chansons. «Ca s’est fait naturellement et dans le plaisir». Il reconnaît que certaines ne font pas avancer l’histoire mais qu’elles étaient nécessaire pour donner de l’épaisseur à quelques personnages. Quant à travailler avec un auteur, il n’y a jamais songé. «Je me sens autant auteur que compositeur, les paroles et la musique me venaient en même temps. L’avantage de travailler seul, c’est qu’on est libre».
Sa réponse aux critiques
Il sait que ses textes ne font pas l’unanimité et apparaissent pour certains comme le point faible du spectacle mais il tient à s’expliquer : «Les critiques portent surtout sur ‘Aimer’ mais j’ai volontairement voulu utiliser des mots et des images simples comme peuvent le faire des ados amoureux de 15 ans, l’âge de Roméo et Juliette. Maintenant, le pas entre simplicité et mièvrerie, certains pensent qu’il a été franchi, moi je ne trouve pas, ni visiblement les 4 000 personnes qui tous les soirs sont émues. On ne peut pas éviter les quelques grincheux professionnels». Il assume complètement son oeuvre «d’autant plus que j’ai toujours veillé à ce qu’il n’y ait pas la moindre incohérence ni la moindre complaisance dans mon travail».
Sur le «battage» promotionnel et médiatique qui a commencé dès le mois d’avril dernier, Gérard Presgurvic souhaite là aussi répondre aux critiques. A propos de la sortie du disque dix mois avant la première représentation, il estime que «c’est la stratégie habituelle d’un Souchon ou d’un Goldman qui sortent un disque entre six mois et un an avant de faire une scène». Et de rajouter «La différence, c’est que nous, on n’était pas connus !». Ensuite, il distingue deux phases dans la promotion. «D’abord il fallait se faire connaître. On a eu la chance d’avoir ‘l’armada’ TF1 avec nous, mais au début, les autres médias ne nous voulaient pas, on a du ramer. Et même sur TF1, certains nous ont acceptés du bout des lèvres. Puis, le succès arrive et là tout le monde nous demande. Ce sont les journaux qui nous veulent en couverture parce que ça les fait vendre ! On a refusé beaucoup de choses !». Agacé par cette polémique, Gérard rappelle que la promotion ne fait pas le succès. «Il faut arrêter de prendre les gens pour des imbéciles, ils sont capables de faire la part des choses. Si ça ne leur plaît pas, ils n’achètent pas le disque et ne viennent pas voir le spectacle. On peut ne pas aimer ce système, mais condamner le spectacle simplement à cause du battage médiatique, c’est un peu facile».
Quant à l’absence d’orchestre, Gérard Presgurvic la justifie. «Pour avoir le rendu sonore que je voulais, il aurait fallu un orchestre de cent musiciens, ce qui était impossible financièrement et pour une question de place». Mais tous les espoirs ne sont pas perdus puisque Gérard poursuit «on envisage déjà de présenter dans les deux ans à venir le spectacle sous forme d’oratorio avec là un orchestre de cent musiciens. Il est possible aussi que nous fassions une version plus resserrée pour jouer dans un théâtre. Tout peut évoluer».
Un succès en France et peut-être bientôt à l’international
Malgré ces critiques, Gérard Presgurvic est heureux de ce qui lui arrive. «J’ai l’impression d’avoir gagné trois fois au Loto ! D’abord je me suis prouvé que je ne m’étais pas trompé, ensuite, il faut bien le dire, ça m’a mis à l’abri financièrement, et enfin ce projet m’a permis de rencontrer des gens passionnants et tellement différents». Au premier rang de ces rencontres, on trouve les chanteurs de la troupe qu’il a lui-même choisis sur casting. «Je suis plein d’admiration et de reconnaissance pour eux, ils ont porté les chansons encore plus loin que ce que je ne l’imaginais». Il est également ravi du travail de mise en scène de Redha. «Je lui ai juste donné deux indications de base auxquelles je tenais. Tout d’abord, je voulais que le spectacle se déroule sur deux niveaux : en haut, tout ce qui est l’amour et en bas, tout ce qui est violence et haine. Et j’avais depuis longtemps l’idée des deux couleurs : le rouge pour les Capulet et le bleu pour les Montaigu. Mais Redha est allé bien au-delà, il a magnifié tout ça de façon exceptionnelle. De plus, il a eu l’idée magnifique du personnage de la Mort». Plus généralement, c’est à l’ensemble des protagonistes du spectacle que Gérard Presgurvic souhaite rendre hommage. «Il y a une espèce de grâce sur le projet. Chacun, du plus petit au plus grand, donne le meilleur de lui-même avec beaucoup de générosité et d’énergie. C’est probablement une des raisons du succès».
Un succès qui pourrait bientôt franchir les frontières. «Les producteurs de la Really Useful Company (la société de production d’Andrew Lloyd Webber) sont venus voir le spectacle et se sont montrés très intéressés. On discute déjà des contrats et plusieurs auteurs travaillent sur l’adaptation anglaise», se réjouit Gérard Presgurvic. Cette version anglaise devrait aussi se jouer à Broadway et en Australie. D’autres pays ont déjà acheté le spectacle : l’Allemagne, le Japon, l’Espagne, l’Italie et les pays scandinaves. Quant à nos amis Québécois, ils pourront aller voir Roméo et Juliette à Montréal prochainement. En attendant cette carrière internationale qui s’annonce, le spectacle est prévu en France jusqu’à fin 2002 au moins avec la même troupe.
L’avenir semble donc assuré pour Gérard Presgurvic. Ses projets ? «Je suis en train d’écrire un livre sur cette magnifique aventure. Pour la suite, j’hésite entre un film et une nouvelle comédie musicale. Mais je n’ai pas encore trouvé le sujet et pourtant je cherche !».