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Gérard Presgurvic — Le roi du monde

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Gérard Presgurvic ©DR
Gérard Pres­gur­vic ©DR
Après un mois de représen­ta­tions, Gérard Pres­gur­vic tire un pre­mier bilan: «D’abord, le pub­lic est au ren­dez-vous, c’est le plus impor­tant. Et il aime le spec­ta­cle ! J’en­tends même des gens, qui étaient à pri­ori scep­tiques, dire qu’ils sont agréable­ment sur­pris. ‘Agréable­ment’, ça me fait plaisir. ‘Sur­pris’, c’est dom­mage, ça veut dire qu’on ne ren­voie pas néces­saire­ment à tra­vers les médias l’im­age de ce qu’est vrai­ment le spec­ta­cle». Quant à la réac­tion hos­tile de la cri­tique, il la trou­ve très car­i­cat­u­rale : «c’est telle­ment out­ranci­er que ça en perd tout crédit». Il préfère retenir l’en­t­hou­si­asme du pub­lic, «cer­tains ont même déjà vu le spec­ta­cle plusieurs fois en un mois !».

Un goût immod­éré pour la comédie musicale 
Gérard Pres­gur­vic se définit lui-même comme un auto­di­dacte de la musique. Il mul­ti­plie les expéri­ences. En 1981, on lui doit le pre­mier rap français «Cha­cun fait c’qui lui plaît» inter­prété par Cha­grin d’amour. Un suc­cès immense mais éphémère. Quelques années plus tard, sa ren­con­tre avec Patrick Bru­el sera déter­mi­nante. Ils écrivent ensem­ble tous les tubes du chanteur. «Ca m’a appris la sim­plic­ité. J’ai com­pris qu’une chan­son avec quelques mots sim­ples touchait beau­coup plus le pub­lic qu’un texte plus alam­biqué comme je pou­vais en écrire avant». Il n’ou­blie pas son autre pas­sion, le ciné­ma, puisqu’il com­pose de nom­breuses musiques de films et de téléfilms.
Son goût pour la comédie musi­cale ne date pas d’hi­er. «J’ai tou­jours été attiré par la comédie musi­cale, j’ai écrit ma pre­mière à 16 ans. J’aime autant les films avec Fred Astaire que Hair ou West Side Sto­ry». Pour­tant, Gérard recon­naît avoir galéré pour con­va­in­cre les décideurs. «Depuis vingt ans, je vais voir des pro­duc­teurs. A chaque fois, tou­jours les même répons­es : trop lourd, trop cher, il n’y a pas de pub­lic… Arrive l’énorme tri­om­phe de Notre Dame de Paris qui libère les éner­gies. Et les pro­duc­teurs se dis­ent qu’ils peu­vent ris­quer de l’ar­gent sans néces­saire­ment en per­dre». Il va donc voir Gérard Lou­vin et lui pro­pose d’abord un sujet sur la télévi­sion, en vain. Puis il pro­pose au pro­duc­teur une adap­ta­tion de Roméo et Juli­ette de Shake­speare, «une idée de ma femme qui me tan­nait avec depuis trois semaines !». Une idée qui fait mouche auprès de Gérard Lou­vin. «J’ai vu son oeil briller» nous racon­te Gérard Pres­gur­vic. Quelques jours plus tard, il lui fait écouter les qua­tre pre­mières chan­sons, et c’est le début de l’aventure.
Si, selon Gérard Pres­gur­vic, tout peut se prêter à une adap­ta­tion musi­cale, Roméo et Juli­ette est un sujet par­ti­c­ulière­ment fort. «On y retrou­ve toute la palette des sen­ti­ments». Il con­sid­ère son adap­ta­tion plutôt fidèle à l’o­rig­i­nal. «J’ai respec­té pra­tique­ment toute l’in­trigue mais c’est vrai que j’ai ‘actu­al­isé’ cer­tains per­son­nages pour les ren­dre plus con­tem­po­rains». Après avoir découpé les scènes des deux actes du spec­ta­cle, il écrit et com­pose les chan­sons. «Ca s’est fait naturelle­ment et dans le plaisir». Il recon­naît que cer­taines ne font pas avancer l’his­toire mais qu’elles étaient néces­saire pour don­ner de l’é­pais­seur à quelques per­son­nages. Quant à tra­vailler avec un auteur, il n’y a jamais songé. «Je me sens autant auteur que com­pos­i­teur, les paroles et la musique me venaient en même temps. L’a­van­tage de tra­vailler seul, c’est qu’on est libre».

Sa réponse aux critiques 
Il sait que ses textes ne font pas l’u­na­nim­ité et appa­rais­sent pour cer­tains comme le point faible du spec­ta­cle mais il tient à s’ex­pli­quer : «Les cri­tiques por­tent surtout sur ‘Aimer’ mais j’ai volon­taire­ment voulu utilis­er des mots et des images sim­ples comme peu­vent le faire des ados amoureux de 15 ans, l’âge de Roméo et Juli­ette. Main­tenant, le pas entre sim­plic­ité et mièvrerie, cer­tains pensent qu’il a été franchi, moi je ne trou­ve pas, ni vis­i­ble­ment les 4 000 per­son­nes qui tous les soirs sont émues. On ne peut pas éviter les quelques grincheux pro­fes­sion­nels». Il assume com­plète­ment son oeu­vre «d’au­tant plus que j’ai tou­jours veil­lé à ce qu’il n’y ait pas la moin­dre inco­hérence ni la moin­dre com­plai­sance dans mon tra­vail».

Sur le «battage» pro­mo­tion­nel et médi­a­tique qui a com­mencé dès le mois d’avril dernier, Gérard Pres­gur­vic souhaite là aus­si répon­dre aux cri­tiques. A pro­pos de la sor­tie du disque dix mois avant la pre­mière représen­ta­tion, il estime que «c’est la stratégie habituelle d’un Sou­chon ou d’un Gold­man qui sor­tent un disque entre six mois et un an avant de faire une scène». Et de rajouter «La dif­férence, c’est que nous, on n’é­tait pas con­nus !». Ensuite, il dis­tingue deux phas­es dans la pro­mo­tion. «D’abord il fal­lait se faire con­naître. On a eu la chance d’avoir ‘l’ar­ma­da’ TF1 avec nous, mais au début, les autres médias ne nous voulaient pas, on a du ramer. Et même sur TF1, cer­tains nous ont accep­tés du bout des lèvres. Puis, le suc­cès arrive et là tout le monde nous demande. Ce sont les jour­naux qui nous veu­lent en cou­ver­ture parce que ça les fait ven­dre ! On a refusé beau­coup de choses !». Agacé par cette polémique, Gérard rap­pelle que la pro­mo­tion ne fait pas le suc­cès. «Il faut arrêter de pren­dre les gens pour des imbé­ciles, ils sont capa­bles de faire la part des choses. Si ça ne leur plaît pas, ils n’achè­tent pas le disque et ne vien­nent pas voir le spec­ta­cle. On peut ne pas aimer ce sys­tème, mais con­damn­er le spec­ta­cle sim­ple­ment à cause du battage médi­a­tique, c’est un peu facile».

Quant à l’ab­sence d’orchestre, Gérard Pres­gur­vic la jus­ti­fie. «Pour avoir le ren­du sonore que je voulais, il aurait fal­lu un orchestre de cent musi­ciens, ce qui était impos­si­ble finan­cière­ment et pour une ques­tion de place». Mais tous les espoirs ne sont pas per­dus puisque Gérard pour­suit «on envis­age déjà de présen­ter dans les deux ans à venir le spec­ta­cle sous forme d’o­ra­to­rio avec là un orchestre de cent musi­ciens. Il est pos­si­ble aus­si que nous fas­sions une ver­sion plus resser­rée pour jouer dans un théâtre. Tout peut évoluer».

Un suc­cès en France et peut-être bien­tôt à l’international 
Mal­gré ces cri­tiques, Gérard Pres­gur­vic est heureux de ce qui lui arrive. «J’ai l’im­pres­sion d’avoir gag­né trois fois au Loto ! D’abord je me suis prou­vé que je ne m’é­tais pas trompé, ensuite, il faut bien le dire, ça m’a mis à l’abri finan­cière­ment, et enfin ce pro­jet m’a per­mis de ren­con­tr­er des gens pas­sion­nants et telle­ment dif­férents». Au pre­mier rang de ces ren­con­tres, on trou­ve les chanteurs de la troupe qu’il a lui-même choi­sis sur cast­ing. «Je suis plein d’ad­mi­ra­tion et de recon­nais­sance pour eux, ils ont porté les chan­sons encore plus loin que ce que je ne l’imag­i­nais». Il est égale­ment ravi du tra­vail de mise en scène de Red­ha. «Je lui ai juste don­né deux indi­ca­tions de base aux­quelles je tenais. Tout d’abord, je voulais que le spec­ta­cle se déroule sur deux niveaux : en haut, tout ce qui est l’amour et en bas, tout ce qui est vio­lence et haine. Et j’avais depuis longtemps l’idée des deux couleurs : le rouge pour les Capulet et le bleu pour les Mon­taigu. Mais Red­ha est allé bien au-delà, il a mag­nifié tout ça de façon excep­tion­nelle. De plus, il a eu l’idée mag­nifique du per­son­nage de la Mort». Plus générale­ment, c’est à l’ensem­ble des pro­tag­o­nistes du spec­ta­cle que Gérard Pres­gur­vic souhaite ren­dre hom­mage. «Il y a une espèce de grâce sur le pro­jet. Cha­cun, du plus petit au plus grand, donne le meilleur de lui-même avec beau­coup de générosité et d’én­ergie. C’est prob­a­ble­ment une des raisons du suc­cès».

Un suc­cès qui pour­rait bien­tôt franchir les fron­tières. «Les pro­duc­teurs de la Real­ly Use­ful Com­pa­ny (la société de pro­duc­tion d’An­drew Lloyd Web­ber) sont venus voir le spec­ta­cle et se sont mon­trés très intéressés. On dis­cute déjà des con­trats et plusieurs auteurs tra­vail­lent sur l’adap­ta­tion anglaise», se réjouit Gérard Pres­gur­vic. Cette ver­sion anglaise devrait aus­si se jouer à Broad­way et en Aus­tralie. D’autres pays ont déjà acheté le spec­ta­cle : l’Alle­magne, le Japon, l’Es­pagne, l’I­tal­ie et les pays scan­di­naves. Quant à nos amis Québé­cois, ils pour­ront aller voir Roméo et Juli­ette à Mon­tréal prochaine­ment. En atten­dant cette car­rière inter­na­tionale qui s’an­nonce, le spec­ta­cle est prévu en France jusqu’à fin 2002 au moins avec la même troupe.

L’avenir sem­ble donc assuré pour Gérard Pres­gur­vic. Ses pro­jets ? «Je suis en train d’écrire un livre sur cette mag­nifique aven­ture. Pour la suite, j’hésite entre un film et une nou­velle comédie musi­cale. Mais je n’ai pas encore trou­vé le sujet et pour­tant je cherche !».