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Gérard Daguerre — Avec les anges

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Gérard Daguerre et Barbara au Châtelet en 1993 ©DR
Gérard Daguerre et Bar­bara au Châtelet en 1993 ©DR
Com­ment êtes-vous arrivé à la musique ?
La musique m’est tombée dessus par hasard, mes par­ents ne tra­vail­lant pas du tout dans ce domaine. J’ai com­mencé le piano à 5 ans, c’est devenu une véri­ta­ble pas­sion. J’ai tout aban­don­né pour la musique. A 15 ans je suis mon­té à Paris, seul, pour entr­er au Con­ser­va­toire, afin de me per­fec­tion­ner. J’é­tais arrivé à une sorte de pla­fond au con­ser­va­toire de Bay­onne, ma ville natale, j’avais envie d’autre chose. A Paris, con­fron­té aux autres, je me suis aperçu que mon niveau était très moyen. Pour aboutir à un résul­tat, une seule solu­tion : tra­vailler ! C’est ce que j’ai fait.
En par­al­lèle, j’ai ren­con­tré des gens for­mi­da­bles qui m’ont beau­coup aidé, comme le pianiste Fred Far­ru­gia, qui accom­pa­g­nait nom­bre de vedettes en France. Il m’emmenait dans les stu­dios d’en­reg­istrement. J’ai pas mal appris ain­si, d’au­tant que, de temps en temps il me lais­sait jouer à sa place. Je n’ai jamais per­du le con­tact avec cet homme excep­tion­nel. A par­tir de ce moment là, alors que j’é­tais des­tiné au clas­sique, j’ai choisi de m’ori­en­ter vers la var­iété. Mon autre révéla­tion, ce fut dans les arènes de Dax lors d’un spec­ta­cle de Sylvie Var­tan. Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis dit : « Un jour, il fau­dra que j’ac­com­pa­gne cette fille » et… j’ai tra­vail­lé presque 18 ans avec elle ! Quand je repense à mes débuts à Paris, ce fut surtout très stim­u­lant. J’ai tra­vail­lé 3 ans dans l’Orchestre de Bobi­no. Le chef d’orchestre de l’époque m’a embauché, je devais avoir dans les 18 ans. Tous les 15 jours, le pro­gramme changeait. Nous avons accom­pa­g­né énor­mé­ment de chanteurs. Ce fut une excel­lente école pour appren­dre le méti­er. Je n’ai pas vrai­ment souf­fert en arrivant à Paris car j’avais la foi du conquérant !
J’ai accom­pa­g­né presque tous les chanteurs de France et me voilà aujour­d’hui avec Jérôme Savary. Avec lui, je suis par­ti dans une nou­velle direc­tion qui me plaît, le théâtre musical.

La comédie musi­cale est-il un genre qui vous est familier ?
Mon intérêt pour la comédie musi­cale est assez récent. Dans ma jeunesse, mon con­tact avec le musi­cal s’est borné à la décou­verte de West Side Sto­ry, que j’ai adoré, un vrai choc. Le pre­mier qui m’ait pro­posé de faire une comédie musi­cale, c’est Alain Mar­cel. Nous avons fait Peter Pan au Casi­no de Paris. Cette expéri­ence m’a beau­coup, beau­coup plu. Un très beau spec­ta­cle… Dom­mage que les représen­ta­tions se soient arrêtées si vite. Alain a une cul­ture musi­cale incroy­able, surtout dans le domaine de la comédie musi­cale, il m’a ori­en­té vers cette forme de musique que je ne con­nais­sais pas. A bien y réfléchir, le tra­vail sur Lily Pas­sion, avec Bar­bara, se rap­prochait égale­ment de la comédie musi­cale. Encore une expéri­ence mag­nifique pour moi…

Com­ment procédez-vous dans votre tra­vail d’arrangeur ?
J’é­coute peu ce qui s’est fait avant, sinon je cours le risque de refaire une pâle copie. Comme, de toute façon, la plu­part du temps nous ne dis­posons pas des moyens d’o­rig­ine, je pars de zéro, comme si je décou­vrais les chan­sons. J’ai procédé ain­si pour le spec­ta­cle Y’a d’la joie sur Charles Trénet. A part les tubes, cer­taines de ses chan­sons m’é­taient incon­nues. Pour Irma, ce fut pareil. J’ai écouté une fois la cas­sette du spec­ta­cle enreg­istré par Colette Renard, j’ai demandé les par­ti­tions d’édi­tion et en avant… Ces par­ti­tions piano/voix don­nent une idée de la ligne mélodique, du tem­po, mais il faut retra­vailler, par exem­ple chang­er les har­monies en fonc­tion des instru­ments que je choi­sis et de leur nom­bre. En fait, je préfère avoir quelque chose sous les yeux que dans les oreilles ! Mon cray­on de bois et ma gomme sont mes meilleurs alliés : je ne suis pas habitué à l’ordinateur.
Les voix des chanteurs comme Clotilde [Coureau], Arnaud [Gio­va­ninet­ti] sont assez frag­iles, il ne faut pas qu’il y ait trop de choses der­rière pour met­tre le chant en valeur. J’avais l’habi­tude de faire cela avec Bar­bara puisque nous étions très peu sur scène. C’est très impor­tant pour un chanteur de ne pas se sen­tir écrasé. Bien enten­du, tout dépend ensuite du chanteur et du type de spec­ta­cle. Pour Irma, c’est très net. Mon but est que les chanteurs soient le plus pos­si­ble à l’aise sur scène. Je refuse les com­pli­ca­tions sur les notes, sur les par­ti­tions : il faut que ce soit le plus sim­ple et le plus effi­cace pos­si­ble. C’est ma façon de voir les choses.

Est-il dif­fi­cile de diriger musi­ciens et chanteurs ?
J’ai com­mencé à diriger sur de gros spec­ta­cles comme le show de Sylvie Var­tan au Palais des Sports, avec env­i­ron 50 musi­ciens… Il y avait les cordes, les cuiv­res, le big band : c’é­tait Broad­way ! Je pense que l’on n’au­rait plus les moyens d’avoir une telle pro­duc­tion aujour­d’hui. Elle avait fait faire les arrange­ments par un Améri­cain, il est venu 3 jours pour faire répéter l’orchestre et il est repar­ti… Je me suis retrou­vé et au piano et à diriger l’orchestre en même temps. Ce ne fut pas facile mais on s’habitue très vite.
Pour Irma, les musi­ciens me con­nais­sent, nous avons l’habi­tude de tra­vailler ensem­ble donc tout fonc­tionne… Sou­vent, un seul regard suf­fit pour qu’ils com­pren­nent ce que je veux leur dire, pas la peine de faire des grands gestes… C’est de toute façon dif­fi­cile en étant en même temps au piano !

Allez-vous voir des comédies musi­cales à Broad­way ou à Londres ?
Depuis que je tra­vaille avec Jérôme, mon emploi du temps est très chargé : on pré­pare sans cesse les nou­veaux spec­ta­cles. Actuelle­ment, nous pré­parons Car­men 2 qui doit se jouer à Turin l’an­née prochaine. Pour ce spec­ta­cle je dois écrire pour un orchestre sym­phonique. Je me base sur la par­ti­tion orig­i­nale mais je la mod­i­fie par­fois, par exem­ple en changeant une ryth­mique. Il y a aus­si quelques morceaux orig­in­aux que nous avons fait tous les deux. J’aimerais pour­tant bien aller à New York, décou­vrir les musi­cals de Broadway.

Com­ment se passe votre col­lab­o­ra­tion avec Jérôme Savary ?
Quand je tra­vaille avec Jérôme, on se voit très peu. Pour Irma par exem­ple, durant un après-midi on a mis en place les choses, on a par­lé pas mal. A par­tir de cette séance intense je me mets à tra­vailler. Il me laisse un grand espace de lib­erté, j’ai sa confiance.

Quels sont les com­pos­i­teurs clas­siques que vous aimez interpréter ?
Ma mor­pholo­gie pour jouer du piano cor­re­spond assez aux com­pos­i­teurs russ­es. J’aime bien « ren­tr­er dedans » comme on dit. J’adore Rach­mani­nov. Pour le moment je tra­vaille une sonate de Grieg que j’avais abor­dée il y a très longtemps, c’est for­mi­da­ble. J’aime bien lorsqu’il faut don­ner beau­coup d’én­ergie. J’ai plus de plaisir à jouer Bach et Beethoven que Mozart. En fait, je n’ai jamais arrêté de tra­vailler le piano clas­sique. Pour moi, c’est quo­ti­di­en. Tous les matins je fais au moins deux heures de tech­nique puis je tra­vaille des morceaux, c’est indispensable.