
Frères de Sang
Après Les Parapluies de Cherbourg et L’Homme de la Mancha, deux succès publics et critiques au Québec, le Centre Culturel de Joliette accueille cet été une nouvelle production Libretto, Frères de Sang. C’est la première fois que le célèbre musical Blood Brothers du dramaturge Willy Russel, qui tient toujours l’affiche à Londres depuis 1988, est présentée en français. « Lors d’un passage à Londres à la fin des années 80, j’ai vu Blood Brothers. J’ai adoré mais à l’époque je n’étais pas encore dans la production. Il y a quelques années, quand on réfléchissait à ce qu’on allait programmer à Joliette, j’ai repensé à ce spectacle » se souvient Charles F. Joron, le président des productions Libretto. Et il a eu bien raison car le résultat devrait ravir le public et ne pas décevoir ceux qui ont vu et aimé la version londonienne. Ce spectacle est une réussite sur tous les points. La traduction de Maryse Warda reste très fidèle à l’oeuvre originale, on ne perd rien de sa force dramatique et émotionnelle. Dans un décor à la fois sobre et efficace évolue une troupe de onze comédiens talentueux, menée par Maude Guérin qui campe une madame Johnstone bouleversante et très juste. Ils se révèlent aussi convaincants dans les scènes drôles que dans les moments forts et tragiques. Même si on peut émettre quelques réserves sur le niveau vocal, le jeu et les intentions sont bien là. Comme le fait observer Charles F. Joron, « c’est avant tout du théâtre musical et non un spectacle musical ». Quant à la mise en scène particulièrement inspirée et enlevée, elle est signée par René Richard Cyr, l’un des metteurs en scène les plus récompensés du Québec, qui confirme ici sa longue collaboration avec les productions Libretto. Par leur interprétation tantôt pleine d’énergie tantôt dramatique, les quatre musiciens, qu’on entr’aperçoit à l’arrière du décor, contribuent largement au succès de ce spectacle et au fait que bien des yeux soient humides à la sortie de la salle. Après son exploitation à Joliette cet été, le spectacle sera probablement transféré à Montréal avant de partir en tournée au Québec.
Aurons-nous la chance de voir Frères de Sang à Paris ? « Quand j’ai négocié les droits, je me suis arrangé pour les avoir aussi pour la France » nous répond Charles F. Joron, « ce spectacle remplit des conditions indispensables pour qu’un musical à l’anglo-saxonne ait des chances de séduire le public français : il véhicule des valeurs et des émotions universelles, les chansons ont un côté populaire, facile à l’oreille et accrocheur, et les spectateurs peuvent facilement s’impliquer dans l’histoire, dans ce que vivent les personnages ». Toutefois, le producteur, qui connaît bien le marché français, se montre réaliste et prudent : « Frères de Sang aurait du mal à trouver son public immédiatement, il faudrait aller dans une salle suffisamment petite et parier sur le bouche à oreille pour l’établir dans le temps. Il faut donc trouver le bon lieu et le bon partenaire qui y croit suffisamment pour laisser le spectacle s’installer et prendre le risque de ne pas avoir beaucoup de spectateurs au début. Pour l’instant, aucune négociation n’est engagée avec des producteurs parisiens. J’attends d’abord de voir comment le spectacle va marcher ici. »
Bientôt Jekyll & Hyde
Le prochain gros projet des productions Libretto n’est rien moins que l’adaptation française de Jekyll & Hyde, le musical de Franck Wildhorn qui a triomphé sur Broadway et qui a déjà été adapté dans plusieurs pays. « Nous finalisons actuellement le montage financier, il faut qu’on y arrive avant la fin de l’été car le show est prévu pour mars 2005 » nous explique Charles F. Joron, « l’adaptation est faite, on retrouve une grande partie de l’équipe de création de Frères de sang ». L’acquisition des droits n’a pas posé de problème. « Non seulement nous ne sommes pas obligés de reprendre la même mise en scène qu’à Broadway » se félicite le producteur, « mais en plus nous avons pu réintégrer du matériel qui figurait dans le concept album mais pas dans la production originale. Franck Wildhorn est très intéressé par cette adaptation en français, on correspond régulièrement par mail ». Réjouissons-nous, Charles F. Joron pense déjà à une exploitation en France à la fois par conviction mais aussi par nécessité financière. « Il est évident que le but est de déboucher sur la France car c’est une trop grosse production pour le seul marché québécois » reconnaît-il, « je démarche déjà des producteurs et des médias en France qui seraient intéressés pour monter le show avec moi. Je pense qu’il a tous les ingrédients pour fonctionner en France : une histoire forte et connue, des effets spectaculaires et des chansons très efficaces ».
Rent
L’autre actualité du moment au Québec en matière de comédie musicale, c’est la première adaptation française de Rent, le musical déjà culte de Jonathan Larson, toujours à l’affiche à Broadway. Le spectacle s’est joué trois semaines en juin au Théâtre Olympia de Montréal et reprendra dans cette même salle à partir du 8 juillet. Malheureusement, du fait de cette pause entre les deux séries de représentations, nous n’avons pas pu voir le spectacle mais nous avons pu néanmoins rencontrer le producteur Marc Poulin, à qui nous devons déjà la récente production de Chicago à Montréal et à Paris. Il reconnaît en toute franchise que cette pause dans les représentations n’était pas prévue au départ. « Je ne vous cacherai pas que la difficulté de Rent c’est d’aller chercher son public » explique-t-il, « je ne suis pas très surpris que le show mette du temps à démarrer. Ici, comme en France d’ailleurs, il faut que ça démarre tout de suite très fort sinon on arrête. Rent a mis du temps à s’installer à New York. Je suis très confiant sur la série de représentations de juillet, le bouche à oreille commence à fonctionner, on vend plus de billets. Les critiques ont été dithyrambiques. Il y a eu une période d’adaptation, on a mieux ciblé notre communication et notre public ».
Effectivement, les critiques ont été bonnes dans l’ensemble et le public qui s’est déplacé semble avoir plutôt bien accueilli le spectacle. « Les premières représentations se sont très bien passées » se félicite Marc Poulin, « Rent c’est un show à fans, un peu comme The Rocky Horror Picture Show. Depuis le temps que je produis des spectacles, je n’ai jamais reçu autant de mails de félicitations et de bravo ! » Mais il admet bien volontiers que le spectacle ne fait pas l’unanimité, « c’est un spectacle rock qui a été créé par des musiciens de rock au départ, la musique est parfois saturée et peut gêner la compréhension de certaines paroles. Ca peut heurter les puristes. Rent c’est aussi une histoire dure chargée en émotions qui touche les gens mais qui peut aussi en déranger certains ».
C’est justement la force de l’histoire, les émotions qu’elle dégage, qui ont incité Marc Poulin à demander les droits de Rent qui n’ont d’ailleurs pas été faciles à obtenir. Son autre motivation c’est aussi d’essayer de faire évoluer les goûts du public au Québec comme en France. « Si on veut développer la comédie musicale, on ne peut pas jouer tous les ans Grease, La mélodie du bonheur ou La Cage aux folles, sans parler des spectacles musicaux à grand déploiement. A un moment donné, il faut aller chercher des comédies musicales novatrices en phase avec la réalité d’aujourd’hui contemporaines ! » s’exclame-t-il, « et justement Rent n’est pas un spectacle conventionnel ».
Rent à Paris ? Marc Poulin ne dit ni oui ni non. Il y croit mais attend d’abord les réactions des Français qui viendront voir le spectacle en juillet à Montréal. Il est d’autant plus prudent que Chicago, sa précédente production, vient de fermer à Paris. « Nous sommes satisfaits du succès artistique et des réactions enthousiastes du public. Les critiques ont été bonnes. Chicago a servi à ouvrir le marché français » se réjouit-il avant de mettre un bémol, « mais sur le plan financier, ça n’a pas été un succès, nous n’avons pas eu assez de spectateurs, on s’attendait à mieux. En France, il y a un problème majeur avec le prix des billets. Ailleurs pour Chicago, le prix des places est de 30 à 40% plus élevé mais les français ne sont ni habitués ni prêts à payer ces prix alors qu’en même temps la plupart des coûts (théâtre, promotion…) sont eux plus élevés à Paris qu’ailleurs. Du coup, si on revient en France, ce sera avec un spectacle un peu plus petit et moins coûteux ! » Et ce spectacle pourrait bien être Rent, « une production moitié moins chère que Chicago ».