Fabrice Lebert, quel est votre parcours de comédien ?
J’ai grandi à Avignon. Ma mère dirigeait un théâtre et une compagnie, mon père était comédien, mon grand-père choriste a fini sa carrière à l’Opéra d’Avignon. J’ai donc baigné très tôt dans l’univers du spectacle et du festival d’Avignon. C’est là que tout a germé pour moi. J’ai commencé le théâtre dès l’enfance, j’ai travaillé en compagnie. J’ai poursuivi ma formation de comédien à l’ENSATT à Lyon où j’ai rencontré Muriel Gaudin qui joue Andromaque et plusieurs metteurs en scène avec qui j’ai travaillé par la suite. A l’ENSATT, j’ai commencé également le chant parce que c’était une nécessité, un besoin, le chant lyrique plus particulièrement. Je suis resté à Lyon pendant cinq ans puis je suis monté sur Paris. Mon parcours depuis dix ans est très varié, j’ai travaillé dans des configurations totalement différentes.
Comment avez-vous intégré la compagnie des Epis Noirs ?
C’est une compagnie que je connais depuis longtemps. Je les ai rencontrés il y a une quinzaine d’années, ils jouaient à Avignon. Leur travail me plaisait beaucoup en tant que spectateur. J’ai le souvenir d’avoir beaucoup ri, d’avoir été pris par la musique et saisi par quelque chose qui me prenait à la gorge, un truc très dramatique, surpris de passer de l’un à l’autre. A ma sortie de l’ENSATT, Pierre Lericq cherchait un remplaçant pour un comédien qui quittait sa compagnie. L’audition s’est très bien passée mais malheureusement, j’étais déjà engagé sur un autre spectacle. Après plusieurs autres rendez-vous manqués, il y a deux ans, Pierre, qui avait déjà commencé un travail sur Andromaque, m’a appelé pour le rôle d’Oreste. Ensuite, les Epis Noirs sont partis sur un autre spectacle, je pensais que le projet avait été abandonné. Mais finalement, l’année dernière il m’a rappelé pour me dire qu’il repartait sur Andromaque.
Avez-vous été surpris par ce projet de spectacle sur Andromaque ?
La première fois que Pierre m’en a parlé, je me suis dit que c’était une drôle d’idée de partir sur une pièce qui est inscrite très fortement dans l’imaginaire collectif et liée à Racine. Mais le connaissant depuis longtemps et ayant vu pratiquement tous ses spectacles, je lui ai fait confiance. Son travail est plutôt un hommage à la pièce de Racine, une envie de rebondir sur cette histoire terrible, tragique et en même temps d’une cruauté qui en est drôle. C’est un rapport passionnel à la vie et à l’amour qui est démesuré et qui a été la base de notre travail avec Pierre.
Comment s’est passé le travail de création avec Pierre Lericq ?
Mes partenaires, Muriel Gaudin et Anaïs Ancel, et moi, nous venons du théâtre et Pierre vient plus du théâtre de rue, du cirque, du music-hall, c’est un bateleur. C’était une confrontation d’univers très différents. Le pari était de trouver un langage commun et on l’a trouvé. Dans toutes les scènes jouées, il nous demandait de fuir ce qu’on avait appris et d’être dans la musicalité. Et au contraire, dans tout ce qui était musical, il cherchait le théâtre. C’est cette interdépendance entre la musique et le théâtre qui l’intéresse depuis des années et qui est très présente dans Andromaque. Par rapport à ses précédents spectacles, celui-ci est un spectacle de transition. On sent qu’il veut aller vers autre chose tout en conservant sa patte, sa verve, sa créativité.
Vous avez créé Andromaque Fantaisie Barock cet été au festival d’Avignon, chez vous, cela a dû vous faire plaisir…
Oh oui, c’était un peu un retour aux sources. C’était mon dix-septième festival d’Avignon en tant que comédien, j’ai commencé très tôt ! Revenir au festival avec Andromaque, avec cette équipe-là, c’était très important pour moi. Je retrouvais l’esprit de mon travail quand j’ai commencé, la fantaisie que j’avais à mes débuts.
Le spectacle a‑t-il beaucoup évolué depuis ?
Pour la reprise sur Paris, nous l’avons bien retravaillé pour le dynamiser, trouver de nouveaux ressorts. Pierre n’aime pas que les choses soient statiques, il tient énormément compte des retours du public surtout lors des premières représentations. Il y a constamment l’envie d’aller plus loin.
Qu’est-ce qui vous enthousiasme le plus sur ce spectacle ?
Nous sommes dans un spectacle total et ça me porte. C’est un spectacle populaire dans le bon sens du terme, accessible à tous. Dans ma conception du théâtre, j’aimerais que des enfants puissent assister à tous les spectacles et puissent comprendre ce qu’on fait. Ce que j’aime aussi, c’est la folie de ce spectacle, folie dans tous les sens du terme. C’est le mélange de genres, de trivial et de grandiose, d’héroïque et d’absolument quotidien. En littérature, on dirait passer du langage soutenu au trivial. Tout d’un coup, c’est plus fort que nous, il y a des choses qui nous échappent.
Comment avez-vous abordé votre personnage d’Oreste ?
C’est drôle parce que j’avais déjà travaillé ce rôle dans la pièce de Racine lors de ma formation. C’est un personnage qui me plaît beaucoup. C’est à la fois une brute épaisse et quelque un qui n’a pas les armes pour être un guerrier en amour. Il est maladroit et n’a pas les codes. En revanche, il a une rage intérieure, une sorte de folie latente. Pour exprimer ces deux facettes du personnage, j’ai eu l’image du chien de garde qui est le bon chien couché au coin du feu, d’une tendresse absolue pour son maître, et qui d’un coup devient terrible en un claquement de doigts, il y a un danger qui arrive. Ce rôle me permet aussi de faire des références à des grands personnages du théâtre comme Christian dans Cyrano de Bergerac, celui qui n’arrive pas à parler d’amour, Richard III pour sa rage et sa violence intérieure, la démesure des frères Karamazov aussi. C’est ça qui me plaît, avoir une sorte de patchwork de grands personnages mythiques à travers Oreste. C’est un personnage vraiment plaisant à jouer.
Sur ce spectacle, en plus de jouer la comédie, vous chantez et jouez de plusieurs instruments, il faut savoir tout faire avec les Epis Noirs !
J’en suis très heureux. J’arrive à un moment dans ma vie professionnelle où je cherche du liant entre tout ce que j’ai entrepris à travers le théâtre et la musique. Même si je serai toujours avant tout un comédien, cela fait dix ans que je travaille la musique sous tous ses aspects : chant, clarinette, accordéon diatonique et basse. Andromaque m’offre enfin ce point de convergence. Au début, je ne devais jouer que de la basse et puis au fur et à mesure on s’est dit qu’à ce moment-là je pouvais faire un peu de clavier, à un autre moment, j’ai proposé une petite virgule à l’accordéon pour soutenir le jeu. L’accordéon diatonique est un instrument très petit, assez ridicule et correspond donc bien à Oreste. Le rythme du spectacle est trépidant, on passe sans cesse du jeu à la musique, mais je trouve ça chouette, c’est très excitant.
Comment envisagez-vous la suite de votre carrière ?
Avec ce spectacle, je renoue avec le travail d’équipe, un partenariat qui, je l’espère, va durer. Pour l’instant, je préfère me focaliser sur Andromaque et les futurs spectacles avec les Epis Noirs. J’ai envie de profiter de l’instant présent et pas de me projeter trop loin dans le temps. Je l’ai fait beaucoup avant et souvent j’ai été déçu. La projection fait parfois perdre pied et ne fait pas vivre les bonnes choses au bon moment. J’aimerais poursuivre dans la voie du spectacle complet, le théâtre musical. Je ne suis pas sûr d’être fait pour les grosses machines. J’aime bien l’aspect artisanal des choses. Je viens de là et c’est comme ça que j’envisage le travail. J’aime faire humblement mon travail. J’ai besoin de me sentir bien dans une équipe pour pouvoir m’exprimer et créer avec eux. Je ne serais pas ce que je suis dans le spectacle aujourd’hui si je n’avais pas eu des partenaires en or.