Jeudi 7 novembre, 19 heures. Direction le Palais des Sports. C’est simple, il suffit de suivre les fans. A deux heures de la première de 1789 nouvelle version, ils sont déjà là, nombreux. A l’intérieur, l’atmosphère ressemble un peu à une rentrée des classes. L’angoisse en moins. Toute la troupe fait son retour à Paris pour deux mois, avec quelques surprises qui raviront encore un peu plus les amateurs : en plus de bénéficier maintenant d’un accompagnement live pour soutenir la bande sonore, deux nouveaux tableaux viennent en effet enrichir le show, dont la mise en scène signée Giuliano Peparini reste indéniablement spectaculaire.

« Les chansons prennent désormais une dimension différente avec la présence d’une vraie guitare et d’une vraie batterie chaque soir » résume Rod Janois, concentré devant son miroir, boite de fond de teint à la main, « nos interprétations s’en trouvent également modifiées, cela apporte un vrai souffle nouveau au spectacle. » Compositeur pour Florent Pagny, Nolwenn Leroy ou récemment Céline Dion, Rod Janois n’était pas un habitué du théâtre musical. Dorénavant abonné à ces grosses productions, co-compositeur de plusieurs titres de 1789, Rod en a suivi la genèse, maquetté l’ensemble avant de se voir confier le rôle de Camille Desmoulins. « 1789 a voulu coller à l’air du temps. Aujourd’hui dans leur iPod, les gens écoutent tous les styles, toutes les mélodies. Nous leur offrons cela avec notre musique : il y a des morceaux électro-pop, des balades, des airs type « opéra-bouffe », un peu de groove, finalement c’est une playlist rythmée et variée dans l’esprit de l’époque. » Avec un risque cependant: celui d’aligner sur l’affiche des artistes peu, voire inconnus du grand public : « C’était clairement une volonté de Dove Attia» souligne Rod Janois, « il y a une excitation à chercher et dénicher de futurs talents, et à prendre le pari d’un show sans vedette ».
Pari largement réussi : dans le hall, un tableau le proclame fièrement, ce soir c’est la 177ème. Présent depuis le tout début, David Ban s’apprête à revêtir le costume de Danton. S’il y en a un qui ne boude pas son plaisir, c’est bien lui. Nous l’avions laissé, second rôle comblé de Grease en 2009. Depuis, le théâtre musical ne le lâche plus : après la tournée de Hair, il a participé à la création de Je t’aime tu es parfait : Change au Festival d’Avignon, avant de rejoindre la troupe de Il était une fois Joe Dassin mis en scène par Christophe Barratier. Deux ans d’aventure en France, en Belgique, en Russie — « Je m’y suis éclaté »-. Le légendaire Avenue Q l’a enfin accueilli à Bobino où il campait chaque semaine trois rôles différents.

Assis sur un flight case, l’autodidacte semble heureux comme un gosse à l’idée de remonter sur scène: « Avec 1789, on bénéficie de conditions optimales pour travailler. Cette production a l’apparence d’un Barnum, mais derrière tout cela, il y a une dimension très humaine, on est pris en main, chouchouté, c’est génial ! » Profitant de la tournée pour donner des mini concerts sauvages aux abords des salles, David Ban possède déjà derrière lui huit spectacles. Alternant depuis près d’une décennie zéniths et salles modestes, il porte un regard objectif sur 1789 : « Pour ce genre de format –un show populaire et grand public–, la France n’a pas la culture des comédies musicales à la Broadway. Le risque est donc parfois d’enchainer simplement des tableaux visuels, sans histoire, ni lien. 1789 au contraire cherche à apporter de l’émotion. Un pas a été franchi dans la volonté de ne pas négliger le fond et d’écrire un livret consistant ».
Bruno Berbérès acquiesce. Le redoutable directeur de casting s’invite quelques instants dans la conversation, le temps d’un clin d’œil amical pour Regard en Coulisse, avant de disparaitre, suivi par Louis XVI.
Encore 30 minutes avant le lever du rideau. Le sous-sol du Palais des Sports devient une fourmilière : costumières, danseurs, techniciens se bousculent, dans une débauche de perruques et de plumes d’autruche, de robes en mousseline et de baïonnettes. Robespierre est toujours en jeans tandis que Marie-Antoinette envoie un sms. Habillée, maquillée et assoiffée, Camille Lou sort de sa loge à la recherche d’un verre d’eau. Dans un fou rire, l’héroïne du spectacle raconte qu’il lui est arrivé plusieurs fois de se prendre les pieds dans sa robe, quand ce n’est pas Louis Delort qui coinçait le bouton de sa manche dans son épaisse chevelure. Charme des spectacles en costumes… Dove Attia la couve du regard. Étonnement zen et posé, le producteur blague à tout va. Serein face au succès : «Depuis dix ans, on a beaucoup appris, beaucoup progressé et 1789 est notre spectacle le plus mûr. Je suis fier de la qualité de ce show, de la qualité du livret, de la fluidité du spectacle. » Producteur heureux et chaleureux, Dove Attia avoue qu’avec 1789 il a assisté à l’inverse du schéma classique : « D’habitude vous commencez par cartonner puis le rythme s’essouffle. Avec 1789 ce fut l’inverse : on a démarré tranquillement et un mois après, les réservations explosaient. Le bouche à oreille a été formidable. Le public a adhéré au-delà de nos espérances. » Les producteurs du monde entier aussi, puisque le spectacle devrait s’exporter en Corée, en Russie, au Japon et aux États-Unis.
La sonnerie retentit. Willy Rovelli traverse un couloir au pas de course. Engoncé dans une tenue improbable, l’humoriste est le nouveau venu dans la troupe. Ravi. « On cherchait un barge, c’est tombé sur moi ! » Drôle en coulisse, il en fait toujours un peu trop sur scène, c’est dommage.
Le temps de rejoindre la salle. Les lumières s’éteignent, déclenchant les hurlements du public. Ce soir pour la 177ème fois, on prend la Bastille.

Voir la critique du spectacle publiée le 1er novembre 2012