Denis D’Arcangelo, parlez-nous de votre parcours. Comment est née votre envie de faire de la scène ?
Très tôt, dès mon enfance, j’ai voulu faire de la scène. Je ne voudrais pas faire dans le larmoyant mais il y avait quelques tensions au sein de ma famille et j’ai découvert que je pouvais les dénouer en faisant rire, en me déguisant, en racontant des blagues. J’ai pris très tôt conscience des vertus thérapeutiques du rire. Enfant, j’ai pris des cours de violon et de théâtre dans le conservatoire de ma petite ville, et j’avais très envie de faire de la scène mais ce n’était pas vraiment de l’avis de mes parents : j’ai donc fait des études de maths ! Mon déclic s’est fait quand j’étais à la fac. J’ai commencé à sortir au Piano Zinc [NDLR : cabaret piano bar mythique dans le Marais où les clients pouvaient chanter quelques chansons sur scène] et à faire l’idiot, et j’avais beaucoup de plaisir à être sur scène. J’ai été encouragé par les gens du Piano Zinc mais aussi par Philippe Bilheur, un metteur en scène qui m’a entraîné dans mes premières tournées et qui m’a formé au théâtre de rue.
J’ai donc arrêté la fac et commencé ce métier sans réelle formation, mais je considère que la rue et le cabaret sont des écoles formidables. C’est très formateur de se produire dans un lieu comme le Piano Zinc où les gens viennent pour faire la fête et pas forcément pour vous écouter. Il faut apprendre à capter son auditoire, comprendre quelles sont les ficelles à tirer.
J’ai commencé à vivre de ce métier en 1988 mais avant ça, j’ai fait des petits boulots en parallèle : j’ai été barman au Piano Zinc, j’ai fait des sondages, j’ai travaillé à la chaîne chez Citroën… C’est avec Philippe Bilheur et la Compagnie du Tapis Franc que j’ai créé le personnage de Mme Raymonde. J’ai commencé à avoir suffisamment d’activités pour en vivre… et découvrir les joies de l’intermittence !
Comment avez-vous créé le personnage de Mme Raymonde ?
Avec Philippe Bilheur, nous avions de nombreuses passions communes et une en particulier, celle pour le cinéma de l’entre-deux guerres, les films de Marcel Carné et cette grande actrice que nous adulions: Arletty. Le 15 mai 1988, le jour des 90 ans d’Arletty, nous sommes allés chanter sous ses fenêtres. Elle y est apparue et nous a dit de monter : nous avons fini par manger du gâteau avec elle ! Ce fut le début d’une relation qui a duré jusqu’à sa disparition quatre ans plus tard. On allait la voir une fois par mois et elle nous racontait plein de choses, elle nous aimait bien.
Parallèlement, tous les étés, Philippe et moi faisions du théâtre de rue sur les marchés, les brocantes. L’été 88, nous avons joué lors d’une brocante et nous avons repéré une robe qui ressemblait à celle de Mme Raymonde, la prostituée au grand coeur que jouait Arletty dans Hôtel du Nord. Nous avons acheté cette robe et j’ai décidé d’essayer de jouer avec ça. J’ai donc porté cette robe dans la rue et chanté deux chansons d’Arletty. Ce fut la première incarnation de Mme Raymonde qui était donc une imitation d’Arletty.
De retour à Paris, on a raconté ça à Arletty, ce qui l’a fait beaucoup rire. Elle nous a demandé de nous enregistrer pour qu’elle puisse l’entendre, elle nous a conseillé sur le répertoire. Petit à petit, l’imitation a fait place à la création et j’y ai mis des choses personnelles. Le personnage a existé dans plusieurs pièces : Zone Libre, 1936 : Mme Raymonde se paie des congés et Mme Raymonde, chef de gang. Le dernier spectacle en date était un tour de chant que j’ai fait au Vingtième Théâtre l’an dernier, où j’interprétais mes chansons préférées.
Dans votre parcours, vous avez joué notamment dans Les Z’années Zazous de Roger Louret, aux Folies Bergère. Quel souvenir en gardez-vous ?
C’était un très beau spectacle même si j’ai regretté par la suite la coloration TF1 qu’il a prise. Malgré ma résistance à ce type de grosses machines, j’ai aimé ce spectacle que j’ai trouvé sensible. Et puis quelle chance de jouer aux Folies Bergère ! En se promenant dans les couloirs, on voyait des portes avec des noms à moitié effacés. Il y en avait une sur laquelle était écrit « Mistinguett ». J’y déposais des petites bougies tous les soirs !
Quels sont vos goûts en matière de comédie musicale ?
Mon premier coup de foudre a été Hello, Dolly ! le film. Il a été tourné l’année de ma naissance, c’est un signe ! J’imitais Dolly, j’étais Dolly ! Ma première comédie musicale « en vrai » a été Follies de Stephen Sondheim. Je connaissais par coeur le disque que j’écoutais en boucle et quand j’ai pu voir l’oeuvre sur scène, j’ai fondu en larmes dès le premier roulement de tambour ! Je n’avais pas spécialement une grande culture de la comédie musicale mais j’ai rencontré des gens merveilleux qui m’ont fait découvrir des choses, qui ont prêté, partagé et moi j’ai consommé et savouré tout ça !
Quels rôles de comédie musicale rêveriez-vous de jouer ?
Le rôle que je rêve d’interpréter n’est pas musical, il s’agit de Lady Macbeth ! D’ailleurs, j’adorerais jouer du Shakespeare en général. En comédie musicale, si on parle de rôles plus récents, j’aimerais beaucoup jouer Roger DeBris dans The Producers !
Comment avez-vous intégré l’aventure du Cabaret des hommes perdus ?
Ca a été un long processus. Le spectacle a mis trois ans avant d’exister. Jean-Luc Revol [le metteur en scène] m’a proposé ce projet dès le début. Ca ne ressemblait pas du tout à ce que c’est aujourd’hui. Au départ, il voulait que ça se passe dans un lieu mythologique où seraient représentés les différents archétypes de l’homosexualité en l’an 2000, et j’aurais été une espèce de démonstrateur de laboratoire. Puis, il y a eu la piste de l’acteur porno après qu’il a lu la bio de Joey Stefano [NDLR : acteur porno gay américain au destin tragique]. Il y a eu plusieurs lectures, mais Jean-Luc ne trouvait pas le financement. Puis, un jour, il nous a dit : ?C’est bon, on a les sous, on le fait au Rond-Point !’. J’ai dit oui tout de suite !
Quelle a été votre première réaction quand vous avez lu le projet ?
La première fois que Jean-Luc m’a parlé du projet, il n’y avait rien d’écrit. Il y avait juste un fil conducteur mais qui était passionnant, notamment par son culot. Et puis, j’avais vu le travail de Revol qui m’enchantait. Je savais qu’il ciselait, qu’il faisait de la dentelle et qu’il ferait de ce Cabaret quelque chose d’épatant. Dès les lectures des premières versions de Siméon, j’ai hurlé de rire. A la finesse de Revol s’ajoutait celle de Siméon. Ca a été une rencontre formidable. Siméon nous a permis de nous approprier le texte, de nous ménager des marges d’improvisation. D’ailleurs, encore maintenant, tous les soirs, nous avons certains moments du spectacle où nous nous permettons une petite marge d’improvisation.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans la préparation de ce spectacle ?
Le plus difficile était d’avoir confiance en moi, d’autant plus que j’étais entouré de gens que j’admirais et qui sont des pointures en chant ! Je chante correctement mais je n’ai pas une voix lyrique ou placée. J’avais tellement peur de ne pas être à la hauteur musicalement. Et puis, Jean-Luc voulait utiliser toutes mes ressources. Il a bondi sur l’occasion quand je lui ai dit que je pouvais jouer du violon… mais je n’avais pas pratiqué depuis plus de vingt ans ! Mais au bout d’un moment, on accepte le saut dans le vide… et on y va !
Après cinq mois de représentations, arrivez-vous à avoir du recul par rapport à cette expérience ? Qu’en retirez-vous ?
C’est difficile d’avoir du recul. Je suis toujours sur un petit nuage. Ce succès est inattendu. Je ne doutais pas un seul instant de la qualité de l’oeuvre, mais je ne pensais pas qu’il rencontrerait un aussi grand public. Le fait d’avoir affiché complet au Rond-Point est miraculeux, le fait de jouer encore à La Pépinière Opéra est tout aussi miraculeux. Mais ce que je retire de plus positif dans cette expérience, ce sont les rencontres humaines, avec des gens formidables. On a le sentiment d’intégrer une famille et c’est un plaisir d’être ensemble même en dehors du spectacle. Quand Siméon et Revol ont commencé à nous parler de leur prochaine création, on a tous levé le doigt pour dire qu’on voulait en être !
Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
Dans les mois à venir, il y aura la tournée du Cabaret des hommes perdus, puis, la prochaine création de Revol et Siméon, dont nous ne savons encore rien. En 2008, Mme Raymonde reviendra dans une salle parisienne. Ce sera un Raymonde « nouveau » sans doute plus orchestré ou alors avec une écriture différente. Ces trois projets vont bien m’occuper mais entre temps, je compte bien prendre mes vacances à Broadway pour faire ma cure annuelle de comédies musicales !