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Dans les coulisses de Notre Dame de Paris — Chronique de fin de millénaire

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Pose du micro pour Nadia Bel © Arnaud Cazet
Pose du micro pour Nadia Bel © Arnaud Cazet
Mon ego en a pris un sacré coup : toutes ces filles qui se pré­cip­i­taient sur moi à la sor­tie de la salle en voulaient en réal­ité à mon badge d’ac­cès aux couliss­es et non à mon charme (ir)résistible… Tel est en effet le pou­voir d’at­trac­tion de Notre Dame de Paris qu’un sim­ple car­ré de tis­su logo­tisé prend valeur de tal­is­man pour des fans prêt(e)s à tout pour pass­er par l’en­trée des artistes !

En ce same­di du mois de sep­tem­bre, la marche tri­om­phale de l’o­pus de Luc Pla­m­on­don et Richard Coc­ciante passe par le For­est Nation­al de Brux­elles. Il y a deux représen­ta­tions prévues ce jour-là. Un an après les débuts, les salles ne désem­plis­sent tou­jours pas et le change­ment de troupe ne sem­ble en rien affecter la pop­u­lar­ité de l’ensem­ble. Il est vrai que les spec­ta­teurs ont acheté leurs places des mois à l’a­vance sans garantie que les chanteurs assur­eraient les rôles qui ont fait d’eux de qua­si dieux vivants.

Frénésie du pub­lic, calme dans les coulisses 
Grâce au fameux badge, je fran­chis sans encom­bre, mais sous les regards envieux, le bar­rage des vig­iles pour gag­n­er les couliss­es. Après la fièvre qui règ­nait aux abor­ds de cette salle curieuse­ment attenante à un super­marché un rien glauque, le calme est bien­venu. Les murs sont tag­gés et gar­dent la trace de pro­duc­tions précé­dentes. Des camions de tournée ont déver­sé là leurs tonnes d’équipements et de décors.

Con­cen­tra­tion avant d’en­tr­er sur scène. 
Dans les couloirs, les danseurs s’étirent, les chanteurs vocalisent : à l’échauf­fe­ment des corps répond celui des voix. Les uns s’a­ban­don­nent aux mains expertes du masseur, les autres à celles du maquilleur. Pour tous, c’est un moment de con­cen­tra­tion et de silence. Sous le pinceau de l’artiste, le beau vis­age de Richard Charest prend les traits plus durs de Phoe­bus tan­dis que celui de Matt Lau­rent se crevasse pour ren­dre plus poignant le mal­heur de Qua­si­mo­do. Le maquil­lage est un peu out­ranci­er afin de tenir compte de la taille de la salle. Les spec­ta­teurs les plus éloignés doivent pou­voir dis­tinguer les artistes sans difficulté.

L’a­ban­don général est de courte durée, on ne peut s’ex­traire longtemps de l’ex­ci­ta­tion qui per­méa­bilise peu à peu tout le bâti­ment. Il suf­fit de s’ap­procher du plateau pour se pénétr­er de cette vie qui envahit peu à peu la salle : les spec­ta­teurs arrivent en masse. Der­rière en revanche, c’est le calme et la bonne humeur général­isée. Les dif­férents corps de métiers cohab­itent man­i­feste­ment bien.

Pous­sant la porte de la loge que parta­gent les chanteurs, je suis d’ailleurs un peu sur­pris de les voir rire ensem­ble à gorge déployée. Ils sont sim­ples, ils sont sym­pas, c’est presque too much… Mais une des habilleuses a une expli­ca­tion bien à elle : « C’est à cause du nom­bre de Québé­cois dans la troupe. S’il y avait plus de Français, je ne vous dis pas les prob­lèmes d’ego ! »

Un pub­lic con­quis d’avance 
Le spec­ta­cle va com­mencer et la bande-son a été enclenchée. Je ne peux m’empêcher de regret­ter la dimen­sion qu’a­jouterait un vrai orchestre. Quel ren­dez-vous man­qué… Pour le reste, le pro­fes­sion­nal­isme des équipes est évident.

Michel Cer­roni qui inter­prète Gringoire a la lourde tâche d’ou­vrir la représen­ta­tion. Sur le plateau, le noir a été fait. Le silence de la salle est impres­sion­nant mais de courte durée. 5000 âmes qui reti­en­nent leur res­pi­ra­tion et soudain, un mur d’ap­plaud­isse­ments et de hurlements se fra­casse sur le pau­vre poète qui n’en peut mais. « Il n’y a plus le respect du début », m’avouera un peu plus tard Bruno Pel­leti­er qui assure le show du soir. « Main­tenant, c’est un peu karaoké tous les jours : les gens par­ticipent beau­coup plus ».

Après la fête des fous, c’est la ruée sur le masseur en couliss­es. Il doit en quelques min­utes calmer, panser, soign­er les petits bobos pour que con­tin­ue la fête des corps. « C’est un des tableaux les plus éprou­vants pour les danseurs », con­firme William, « Je m’oc­cupe d’habi­tude plutôt de foot­balleurs. Notre Dame, ça dure plus longtemps qu’un match mais au moins je n’ai pas à courir sur le ter­rain ! »

La salle applau­dit à chaque chan­son, comme au con­cert. Ce spec­ta­cle est un tri­om­phe sans équiv­a­lent. Même Star­ma­nia n’a jamais déclenché une telle fureur et c’est encore oubli­er que ce fut un bide à sa créa­tion il y a 20 ans.

Atten­tion à la marée ! 
Une salve accueille les pre­mières notes de « Belle » et redou­ble dès que Qua­si­mo­do com­mence à chanter. Frol­lo puis Phoe­bus se lan­cent et c’est comme une vague d’é­mo­tion, véri­ta­ble­ment pal­pa­ble, qui monte de la salle et éclate en un orgasme col­lec­tif. Julie Zenat­ti me con­fiera que c’est effec­tive­ment « un moment mag­ique » et Richard Charest « presque fatal ». Une petite mort en somme. Comme l’amour.

La com­para­i­son n’est pas si osée car à la fin du spec­ta­cle, tous sont effec­tive­ment épuisés, vidés, mais heureux de baign­er dans cette marée d’amour. Les danseurs gag­nent sans tarder les douch­es, les chanteurs leur loge pen­dant que les habilleuses s’af­fairent. « Il faut recoudre et retouch­er les cos­tumes sans tarder », expliquent Karine et Anne. « Nor­male­ment, nous pour­rions le faire le lende­main mais aujour­d’hui, il y a deux représen­ta­tions ».

Tout notre petit monde, artistes et tech­ni­ciens con­fon­dus, se retrou­ve tous dans la même salle pour la col­la­tion. Il faut repren­dre quelques forces surtout pour ceux qui, comme Luck Mervil, assurent ce jour-là les deux représen­ta­tions. Pour se déten­dre, il joue à la gui­tare quelques accords de son futur album. Nadia Bel, la dou­blure d’Es­méral­da depuis les débuts du spec­ta­cle, est plus déten­due : Julie Zenat­ti vient d’ar­riv­er qui repren­dra le rôle ce soir. La jeune fille, indis­cutable révéla­tion de la sai­son passée, dis­cute avec Véron­i­ca Anti­co qui lui a suc­cédé en tant que Fleur-de-Lys. Echange des potins du jour. « Com­ment ‘ils’ sont aujour­d’hui ? ». « Ils », ce sont bien sûr les spec­ta­teurs. Daniel Lavoie s’é­clipse pour s’é­ten­dre et recharg­er ses bat­ter­ies. « Je me réjouis­sais d’être un méchant… ce que je ne suis pas dans la vie ! Mais Frol­lo est un rôle épuisant et je le porte depuis plus d’un an main­tenant ». De tous, il est de loin le plus posé, le plus introverti.

La nuit tombe sur Brux­elles tan­dis que le pub­lic envahit pour la sec­onde fois de la journée la salle du For­est Nation­al. Bruno Pel­leti­er va mon­ter sur scène dans un instant. Cet après-midi, c’é­tait Michel Cer­roni mais c’est tou­jours Gringoire. C’est à chaque fois la même chose, à chaque fois dif­férent. C’est ça, la magie du spectacle…

P.S. Au fait, les garçons, si vous êtes en mal d’amour (… au Val d’Amour !), je crois que je vais pass­er une petite annonce dans Regard en Coulisse pour ven­dre mon badge d’ac­cès au plus offrant. Moi aus­si, je veux tir­er mon épin­gle du jeu et béné­fici­er du suc­cès de Notre Dame de Paris !