
En ce samedi du mois de septembre, la marche triomphale de l’opus de Luc Plamondon et Richard Cocciante passe par le Forest National de Bruxelles. Il y a deux représentations prévues ce jour-là. Un an après les débuts, les salles ne désemplissent toujours pas et le changement de troupe ne semble en rien affecter la popularité de l’ensemble. Il est vrai que les spectateurs ont acheté leurs places des mois à l’avance sans garantie que les chanteurs assureraient les rôles qui ont fait d’eux de quasi dieux vivants.
Frénésie du public, calme dans les coulisses
Grâce au fameux badge, je franchis sans encombre, mais sous les regards envieux, le barrage des vigiles pour gagner les coulisses. Après la fièvre qui règnait aux abords de cette salle curieusement attenante à un supermarché un rien glauque, le calme est bienvenu. Les murs sont taggés et gardent la trace de productions précédentes. Des camions de tournée ont déversé là leurs tonnes d’équipements et de décors.
Concentration avant d’entrer sur scène.
Dans les couloirs, les danseurs s’étirent, les chanteurs vocalisent : à l’échauffement des corps répond celui des voix. Les uns s’abandonnent aux mains expertes du masseur, les autres à celles du maquilleur. Pour tous, c’est un moment de concentration et de silence. Sous le pinceau de l’artiste, le beau visage de Richard Charest prend les traits plus durs de Phoebus tandis que celui de Matt Laurent se crevasse pour rendre plus poignant le malheur de Quasimodo. Le maquillage est un peu outrancier afin de tenir compte de la taille de la salle. Les spectateurs les plus éloignés doivent pouvoir distinguer les artistes sans difficulté.
L’abandon général est de courte durée, on ne peut s’extraire longtemps de l’excitation qui perméabilise peu à peu tout le bâtiment. Il suffit de s’approcher du plateau pour se pénétrer de cette vie qui envahit peu à peu la salle : les spectateurs arrivent en masse. Derrière en revanche, c’est le calme et la bonne humeur généralisée. Les différents corps de métiers cohabitent manifestement bien.
Poussant la porte de la loge que partagent les chanteurs, je suis d’ailleurs un peu surpris de les voir rire ensemble à gorge déployée. Ils sont simples, ils sont sympas, c’est presque too much… Mais une des habilleuses a une explication bien à elle : « C’est à cause du nombre de Québécois dans la troupe. S’il y avait plus de Français, je ne vous dis pas les problèmes d’ego ! »
Un public conquis d’avance
Le spectacle va commencer et la bande-son a été enclenchée. Je ne peux m’empêcher de regretter la dimension qu’ajouterait un vrai orchestre. Quel rendez-vous manqué… Pour le reste, le professionnalisme des équipes est évident.
Michel Cerroni qui interprète Gringoire a la lourde tâche d’ouvrir la représentation. Sur le plateau, le noir a été fait. Le silence de la salle est impressionnant mais de courte durée. 5000 âmes qui retiennent leur respiration et soudain, un mur d’applaudissements et de hurlements se fracasse sur le pauvre poète qui n’en peut mais. « Il n’y a plus le respect du début », m’avouera un peu plus tard Bruno Pelletier qui assure le show du soir. « Maintenant, c’est un peu karaoké tous les jours : les gens participent beaucoup plus ».
Après la fête des fous, c’est la ruée sur le masseur en coulisses. Il doit en quelques minutes calmer, panser, soigner les petits bobos pour que continue la fête des corps. « C’est un des tableaux les plus éprouvants pour les danseurs », confirme William, « Je m’occupe d’habitude plutôt de footballeurs. Notre Dame, ça dure plus longtemps qu’un match mais au moins je n’ai pas à courir sur le terrain ! »
La salle applaudit à chaque chanson, comme au concert. Ce spectacle est un triomphe sans équivalent. Même Starmania n’a jamais déclenché une telle fureur et c’est encore oublier que ce fut un bide à sa création il y a 20 ans.
Attention à la marée !
Une salve accueille les premières notes de « Belle » et redouble dès que Quasimodo commence à chanter. Frollo puis Phoebus se lancent et c’est comme une vague d’émotion, véritablement palpable, qui monte de la salle et éclate en un orgasme collectif. Julie Zenatti me confiera que c’est effectivement « un moment magique » et Richard Charest « presque fatal ». Une petite mort en somme. Comme l’amour.
La comparaison n’est pas si osée car à la fin du spectacle, tous sont effectivement épuisés, vidés, mais heureux de baigner dans cette marée d’amour. Les danseurs gagnent sans tarder les douches, les chanteurs leur loge pendant que les habilleuses s’affairent. « Il faut recoudre et retoucher les costumes sans tarder », expliquent Karine et Anne. « Normalement, nous pourrions le faire le lendemain mais aujourd’hui, il y a deux représentations ».
Tout notre petit monde, artistes et techniciens confondus, se retrouve tous dans la même salle pour la collation. Il faut reprendre quelques forces surtout pour ceux qui, comme Luck Mervil, assurent ce jour-là les deux représentations. Pour se détendre, il joue à la guitare quelques accords de son futur album. Nadia Bel, la doublure d’Esméralda depuis les débuts du spectacle, est plus détendue : Julie Zenatti vient d’arriver qui reprendra le rôle ce soir. La jeune fille, indiscutable révélation de la saison passée, discute avec Véronica Antico qui lui a succédé en tant que Fleur-de-Lys. Echange des potins du jour. « Comment ‘ils’ sont aujourd’hui ? ». « Ils », ce sont bien sûr les spectateurs. Daniel Lavoie s’éclipse pour s’étendre et recharger ses batteries. « Je me réjouissais d’être un méchant… ce que je ne suis pas dans la vie ! Mais Frollo est un rôle épuisant et je le porte depuis plus d’un an maintenant ». De tous, il est de loin le plus posé, le plus introverti.
La nuit tombe sur Bruxelles tandis que le public envahit pour la seconde fois de la journée la salle du Forest National. Bruno Pelletier va monter sur scène dans un instant. Cet après-midi, c’était Michel Cerroni mais c’est toujours Gringoire. C’est à chaque fois la même chose, à chaque fois différent. C’est ça, la magie du spectacle…
P.S. Au fait, les garçons, si vous êtes en mal d’amour (… au Val d’Amour !), je crois que je vais passer une petite annonce dans Regard en Coulisse pour vendre mon badge d’accès au plus offrant. Moi aussi, je veux tirer mon épingle du jeu et bénéficier du succès de Notre Dame de Paris !