C’est avant tout un spectacle de théâtre musical qui retrace la vie du compositeur Kurt Weill et celle de la chanteuse Lotte Lenya, la femme de sa vie. Nous l’avons élaboré à trois : Christian Abart à la mise en scène, Antoine Guillot au piano et moi-même au chant. Au début, nous travaillions sur Kurt Weill uniquement, mais comme nous étions sur scène un couple pianiste/chanteuse, nous avons eu l’idée d’évoquer le parcours du couple puisqu’ils sont restés ensemble presque tout le temps jusqu’à la mort de Weill. Nous démarrons le spectacle en Allemagne au début du 20e siècle, puis Paris de 1933 à 35, puis le départ pour les Etats-Unis. Nous avons recréé les trois couleurs qu’a connu Kurt Weill. Pour la période allemande, nous nous appuyons sur sa collaboration célèbre avec l’écrivain Bertold Brecht. Ensuite, c’est la sensibilité de la période française. Enfin nous restituons l’ambiance « paillettes de Broadway » de la période américaine.
S’agit-il d’une biographie sur scène avec vous dans le rôle de Lotte Lenya sur scène, et Antoine Guillot dans celui de Kurt Weill ?
Pas exactement. Pour le public, nous sommes d’abord une chanteuse et un pianiste qui racontons une histoire. Parfois, nous incarnons effectivement les personnages. Au début, une voix off annonce la naissance de Kurt Weill en 1900, avec également une allusion à Hitler qui lui fera fuir l’Allemagne 33 ans plus tard. Cette même voix off donne occasionnellement des informations sur le couple et assure la transition entre les chansons. C’est ce qui fait l’aspect cabaret du spectacle auquel nous tenions beaucoup. Le public n’est pas que spectateur. Il y a des moments durant lesquels nous l’impliquons, nous devenons ses complices. Ensuite, nous sommes de nouveau des chanteurs et ensuite, Kurt Weill et Lotte Lenya. Par exemple, à un moment Weill et Lenya se séparent. Nous l’exprimons à travers la chanson « Je ne t’aime pas ». Puis, ils renouent et nous le montrons grâce au jeu de scène entre le pianiste et moi.
Kurt Weill, c’est bien plus que L’Opéra de quat’sous…
En effet, L’Opéra de quat’sous écrit avec Bertold Brecht l’a rendu célèbre mais ils ont écrit bien d’autres opéras ensemble et Weill a collaboré avec bien d’autres librettistes durant sa période allemande et les périodes suivantes. Nous avons voulu également montré que L’Opéra de quat’sous, c’est très gai, très divertissant. On a tendance à dire un peu vite que c’est « intellectuel » et ennuyeux et qu’en tant que compositeur du 20e siècle il difficile à écouter. Au contraire, les réactions du public sont très positives. Nous avions par exemple des craintes sur la période allemande, du fait de l’obstacle de la langue, et l’accueil a toujours été bon. Un jour, nous avons chanté dans un cinéma, juste après la projection du film de Pabst tiré de L’Opéra de quat’sous. Des gens sont venu nous dire qu’il reconnaissait des chansons dont ils ne savaient pas qu’elles étaient de lui.
Pour nous, la musique de Kurt Weill est à la fois inclassable, savante et aisée d’accès, même si elle est exigeante. Sa musique ne requiert pas forcément des chanteurs d’opéra, elle peut être interprétée par des comédiens. Toutefois, on n’interprète pas la période allemande de la même façon que la période française ou la période américaine. Chacune des périodes réclame une couleur différente.
Comment êtes-vous venue à Kurt Weill ?
Il y a cinq ans, j’étais dans un spectacle de fin d’année basé sur des textes de Bertold Brecht, et naturellement, des chansons avec Kurt Weill. Auparavant, je ne connaissais de lui que L’Opéra de quat’sous et quelques songs. En m’entendant chanter, l’intervenant en chant du spectacle m’a conseillé de persévérer car il avait remarqué que j’étais très à l’aise avec le « Sprechgesang » [NDLR : style d’interprétation dans lequel la voix se situe entre le parlé et le chanté] dont Weill fait un grand usage. Je sais bien chanter deux phrases, en dire trois, puis revenir au chant ! J’ai donc travaillé ma voix en prenant des cours de chant et j’ai approfondi Kurt Weill dans sa période allemande. Quand nous avons élaboré Cabaret Berlin, Paris, New-York, le pianiste plutôt « jazz » connaissait bien le Kurt Weill de la période américaine. Et le metteur en scène connaissait bien la période française. C’est de cette complémentarité qu’est né notre spectacle que nous avons créé en août 1999.
Comment voyez vous l’avenir ?
D’abord nous espérons avoir beaucoup d’occasions de jouer notre spectacle et de faire connaître Kurt Weill ! Ensuite, il y a l’engouement actuel autour du théâtre musical, que ce soit pour de petits ou de grands spectacles. Après Cabaret, j’aimerai bien sûr poursuivre l’aventure en chantant. Je connais bien le milieu du théâtre non musical car j’en suis issue. J’espère pouvoir suivre quelques uns des professionnels confirmés que je vois se tourner vers le théâtre musical.