
Claude-Michel Schönberg, quel est votre sentiment par rapport au fait que Les Misérables rejoue à Paris dans une salle aussi prestigieuse que le Châtelet ?
Pour Alain et moi-même, Paris, c’est toujours un endroit spécial, ce n’est pas anonyme, c’est toujours un événement d’être joué ici pour nous. Evidemment, Paris, c’est spécial, c’est tout de même là d’où on vient. J’aurai, à la première, des invités personnels que je n’ai jamais dans le monde entier. Ce sont des gens qui savent ce que je fais dans la vie mais qui ont très peu l’occasion de voir ce qu’est vraiment mon métier. Donc c’est avec beaucoup de plaisir et d’appréhension qu’on envisage ça.
Le Châtelet est-il une salle mythique pour vous ?
Le tout premier spectacle que j’ai vu, c’était à Mogador : c’était La danseuse aux étoiles, en 1949 puis ensuite je suis allé à l’Opéra Comique. En revanche, la première fois que je suis allé au Châtelet, j’y ai vu L’Auberge du Cheval blanc avec Luc Barney et Colette Riedinger. Je connaissais les chansons par cœur quand je suis sorti de là et c’était au tout début des années 50. Evidemment, imaginer qu’un jour je serais joué au Châtelet ou à Mogador, ça ne m’était jamais passé par la tête.
Concernant cette production des Misérables, pouvez-vous nous parler des changements par rapport à la version qu’on connaît ?
Notre ambition, avec Cameron [NDLR : Mackintosh, producteur du spectacle], a été d’en faire un spectacle qui aurait été écrit il y a un an. Pour l’instant, je pense que le but est atteint vu le succès de la tournée en Angleterre.
Donc, c’est une production toute nouvelle, il n’y a pas du tout les décors originaux. Les nouveaux sont très inspirés des dessins de Victor Hugo. Il y a des choses magnifiques.
Les orchestrations ont été réécrites. C’est un processus qui m’a pris à peu près quatre ans parce qu’il y a eu plusieurs tentatives : la première pour New York en 2006, une autre pour Amsterdam l’année dernière… J’ai dû adapter, comme on le fait d’habitude, le fait que ce soit une nouvelle mise en scène et de nouveaux décors : certains arrivent plus vite, d’autres plus lentement donc parfois il faut rallonger quelques mesures ou en couper et ça, ce n’est pas un boulot que je délègue, je le fais moi-même. Ce sont les seuls changements qui ont été faits. On n’a pas réécrit les paroles ou la musique.
Je dois dire que les nouvelles orchestrations et le nouveau design du son donnent une place à la musique qu’elle n’avait pas auparavant. Ou c’est peut-être le changement d’image : parfois, ce que l’on voit donne aussi un boost à la musique. Il faut dire que l’un des metteurs en scène [NDRL : Simon Powell] a joué pendant longtemps dans Les Misérables et connaît très bien le spectacle. L’autre [Laurence Connor] a déjà été metteur en scène résident de Miss Saigon et me connaît très bien. Evidemment, par rapport à Trevor Nunn et John Caird [metteurs en scène originaux], ils ont tellement vu le spectacle qu’ils connaissent chaque nuance de la musique. Ca leur donne une connaissance intérieure de la partition que personne ne pouvait avoir auparavant.
Ce qu’on espère, c’est que cette version va prendre de plus en plus le pas sur l’autre qui a tout de même 25 ans, de la même façon qu’on a fait une nouvelle version de Miss Saigon qui a remplacé l’originale. En plus, c’est un spectacle qui permet de tourner dans des théâtres différents, de plus petites ou de plus grandes dimensions.
Et concernant la mise en scène ?
La mise en scène a été refaite mais il y a des moments, comme la mort de Jean Valjean ou la fin de l’acte I, qui sont des incontournables. Mais les décors n’ont rien à voir avec les anciens, le suicide de Javert n’a rien à voir non plus. Pour les égouts, il y a une utilisation de projections avec les dessins de Victor Hugo, par exemple. L’évolution des techniques fait qu’on peut faire des choses extraordinaires qu’on ne pouvait pas auparavant, comme projeter sur un écran noir.
Il n’y a donc plus le fameux plateau tournant ?
En effet. Mais j’avais déjà vu des productions des Misérables en Israël, à l’Opéra de Bonn en Allemagne, ou en Hongrie sans plateau tournant. Ce n’est pas une obligation. Il suffit de repenser la mise en scène. Donc il n’y a pas de plateau tournant et ça fonctionne très bien.
En ce qui concerne la distribution, aviez-vous déjà travaillé avec ces artistes auparavant ?
Il y a quelques jeunes, notamment ce garçon qui joue Marius [NDLR : Gareth Gates] : il avait participé à Pop Idol en Angleterre et avait toujours eu envie de faire de la comédie musicale. Il y a, dans la compagnie, beaucoup de jeunes qui ont l’âge de leur rôle mais évidemment, pour Javert [NDRL : Earl Carpenter] ou Valjean [NDLR : John Owen Jones] ce sont des gens qui ont beaucoup d’expérience. Ce sont des rôles très lourds. D’ailleurs, John Owen Jones est un de nos meilleurs Jean Valjean. Il l’a joué à Broadway, en Angleterre. Je le trouve exceptionnel.
Après autant d’années, arrivez-vous à vous impliquer autant pour les nouvelles productions ?
Evidemment, le fait que Thomas [NDRL : Schönberg, son fils] soit le patron de cette production, c’est très motivant pour moi. J’essaie de m’impliquer au maximum dans chaque chose que je fais… parce que je ne sais pas comment on peut faire autrement. ! Ce ne sont pas des métiers qu’on fait avec un pied dedans et un pied dehors. On ne peut pas faire ce métier en dilettante.
Cette nouvelle production me satisfait autant que la première. Dans son genre, elle a toutes les qualités : du perfectionnisme, du professionnalisme, le niveau est excellent. J’avais aimé le son particulier du concert des dix ans au Royal Albert Hall et je rêvais d’entendre ce son qui vous envahit, qui a beaucoup d’ampleur.
Combien de musiciens y aura-t-il ?
14. Je pense qu’ils profiteront du passage à Manchester pour faire des enregistrements pour un disque.
Continuez-vous à suivre ce qui se passe en France en termes de spectacles musicaux même si vous vivez à l’étranger ?
D’abord, je lis sur Internet tout ce que vous publiez donc je suis un peu au courant. Je ne vois pas les spectacles à Paris parce que je n’y suis pas. Quand je viens, c’est pour quelques jours. Mais je suis au courant de l’actualité.
Est-ce que Les Misérables à Paris en français, ce serait envisageable ?
Il y a un an ou deux, un ami producteur m’a proposé de monter Les Misérables à Paris. Le bureau de Cameron m’a averti que la tournée actuelle, qui était planifiée depuis trois ans, allait passer par le Châtelet et que donc ils ne pouvaient pas se faire concurrence à eux-mêmes. Mais s’il se révélait que la production du Châtelet avait un intérêt pour le public français, ils sont tout à fait d’accord pour qu’une tournée en français soit montée à Paris et tourne en France. Donc oui, cela fait partie des projets à suivre. On verra bien comment cela se passera à Paris.
D’autres projets ?
En termes de spectacle musical, je n’ai rien de précis à l’horizon. On a évoqué beaucoup d’idées avec Alain mais le fait qu’il vive désormais à New York fait qu’il y a un problème de distance, même si on communique très régulièrement. J’ai la tête dans un ballet sur Cléopâtre que je dois finir de composer. Cela se passera en février 2011 : la compagnie de ballet inaugurera l’ouverture d’un bâtiment au centre de Leeds, ce qui sera un événement pour le nord de l’Angleterre. Il faudrait faire coïncider l’inauguration avec le lancement de cette nouvelle production. Pour moi, c’est un challenge : ce n’est pas simple de ne pas plonger dans le pathos de la musique égyptienne, de la musique symphonique. En plus, je co-écris les orchestrations pour la première fois donc je suis complètement dedans.
La dernière fois qu’on vous avait interviewé, c’était pour Marguerite à Londres. Y a‑t-il un futur prévu pour ce spectacle ?
En Angleterre, non, il a fait sa saison. En revanche, une production s’est montée au Japon. Je l’ai vue il y a un an. Elle a très bien fonctionné et reprend. Le cast était entièrement japonais avec une très grande star japonaise dans le rôle de Marguerite. C’était très intéressant d’être là-bas, de voir le processus, les réactions du public. Une production s’annonce également à Prague.
Et Pirate Queen ?
Là, au Japon, ils ont fait leur propre production en novembre 2009. C’était extraordinaire. La seule chose que je leur ai demandée, c’est que l’orchestre soit sur scène. A partir de là, avec la chorégraphe irlandaise, Carol Leavy Joyce, ils ont monté une troupe d’une cinquantaine d’artistes. Cela a été formidablement bien fait et je pense qu’ils vont la reprendre.
Récemment, il y a eu une rumeur sur la possible adaptation cinématographique de Miss Saigon…
On s’est rencontrés de nombreuses fois avec la productrice américaine et avec le potentiel réalisateur dont un film va sortir en France très bientôt. Je ne peux rien dire de plus mais on n’a jamais eu de pourparlers aussi avancés. Je peux dire que Cameron est également en relation avec une production anglaise pour une adaptation [cinématographique] des Misérables car il a toujours pensé que cela devrait se faire en Europe, contrairement à Miss Saigon. Les quelques succès récents d’adaptations au cinéma ont sans doute donné envie aux producteurs de se pencher sur ces spectacles à succès.
Un mot sur Susan Boyle ?
On a eu notre cadeau de fin d’année avec Susan Boyle. On lui a écrit un petit mot pour lui dire qu’on a été ravis que la chanson ait changé sa vie comme le spectacle avait changé la vie de ceux qui avaient été impliqués dans Les Misérables. Ce qu’il y a de dommage, c’est que personne en France ne sait que c’est une chanson française. Ce n’est jamais précisé.
J’ai toujours dit aux journalistes qui m’interrogeaient à son sujet que je n’interviendrais pas parce que c’était plus un phénomène de société que d’un phénomène artistique. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a une voix indéniable, une grande musicalité. Ce qui est rare, c’est de de voir une rencontre entre une chanson et un artiste. Quand elle chante « I Dreamed A Dream », il y a une sincérité particulière qu’on ne trouvera sur nulle autre chanson. Cet aspect-là me touche. Je l’ai entendue chantée tellement de fois… Et pourtant la rencontre entre ce personnage et cette chanson qui raconte sa vie, c’est exceptionnel.
Pour plus d’infos sur Les Misérables au Châtelet, consultez notre fiche spectacle.