D’après la pièce de théâtre Liliom de Ferenc Molnár.
Adaptation : Benjamin F. Glazer.
Musique : Richard Rodgers.
Livret & lyrics : Oscar Hammerstein II.
Direction Musicale : Kevin Farrell.
Mise en scène : Jo Davies.
Décors & costumes : Anthony Ward.
Chorégraphie mouvements : Kay Shepherd.
Chorégraphe ballet : Kim Brandstrup.
Lumières : Bruno Poet.
Vidéo : Andrzej Goulding.
Choeur d’Enfants Sotto Voce, direction : Scott Alan Prouty.
Orchestre de chambre de Paris & choeur du Châtelet.
Avec : Duncan Rock, Kimy Mc Laren, Rebecca Bottone, Lisa Milne, David Curry, Nicholas Garrett, Beverley Grant, Alex Newton, Candida Benson, Leslie Clack, Tercelin Kirtley & Nicholas Cass-Beggs.
Résumé :
Richard Rodgers et le peuple américain ont une chose en commun : Carousel est leur comédie musicale préférée. En 1945, les précurseurs– et piliers – de l’âge d’or de Broadway, Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II, collaborent pour la troisième fois, après Oklahoma ! et le film State Fair.
Ils choisissent Liliom, une pièce du Hongrois Ferenc Molnár transposée en Nouvelle-Angleterre à la fin du XIXe siècle. L’amour conflictuel d’un aboyeur de manège, Billy, avec une jeune fille innocente inspire aux auteurs des hymnes intemporels.
Soliloquy, monologue de Billy, est reconnu par tous comme un joyau alors que You’ll Never Walk Alone – tu ne marcheras jamais seul(e) – est devenu une déclaration d’amour universelle.
Le suicide de Billy pour éviter la prison, son passage au paradis, fera évoluer la comédie musicale américaine vers des sujets plus sombres ou plus poétiques, jamais abordés jusqu’alors. En ce sens, Carousel est une œuvre majeure du répertoire.
Notre avis :
Œuvre majeure dans l’histoire du théâtre musical américain, nommé « meilleur musical du XXe siècle » par Time Magazine, Carousel est la deuxième collaboration (après Oklahoma!) du mythique duo Rodgers et Hammerstein. Créé en 1945 à Broadway, Carousel a connu quelques reprises de courte durée (de deux semaines à deux mois) entre 1949 à 1957, ainsi qu’une exploitation plus conséquente au Lincoln Center en 1994–1995, avec dans la troupe des jeunes débutants qui s’appelaient Audra McDonald, Taye Diggs ou encore Brian D’Arcy James. En dehors de ça, on peut s’étonner que l’œuvre ne soit pas jouée plus souvent, mais la singularité du personnage central — voyou sur les bords, frappant sa femme, suscitant difficilement de l’empathie — peut expliquer cela. Il serait donc dommage de ne pas profiter de l’occasion proposée par le Théâtre du Châtelet de voir ce classique du patrimoine, dans une production raffinée, mise en scène par Jo Davies.
Adapté de Liliom, pièce de Ferenc Molnar, Carousel nous transporte dans l’Amérique du début du XXe siècle (l’action originale se déroulait de 1873 à 1888, ici, elle a été transposée de 1915 à 1930), dans le Maine, où la jeune et innocente Julie tombe amoureuse du séduisant Billy, avec son bagou et ses manières de mauvais garçon. Le couple est sans emploi et quand Julie annonce qu’elle est enceinte, Billy cherche un moyen de trouver de l’argent rapidement… Certes, on trouvera l’exposition un peu longue, certains rebondissements prévisibles, mais n’oublions pas de replacer l’œuvre dans le contexte de l’époque (1945) pour apprécier à la fois son propos sombre et ambigu (on y parle de violence domestique et de suicide à une époque où les spectacles de Broadway baignent dans la légèreté) et son message malgré tout optimiste (à travers la rédemption et la résilience).
Partant de ce classique, Jo Davies a su proposer sa propre vision de l’œuvre, faisant de ce spectacle une captivante composition picturale. Les décors d’Anthony Ward sont épurés, dominés par le bois, rappelant le monde rural de la Nouvelle-Angleterre, et le bleu, celui du ciel, de la mer à proximité, avec ses bateaux et leurs mâts qui se découpent délicatement en ombres chinoises. L’univers des fêtes foraines et des repas de villages est magnifiquement évoqué par le créateur de lumières Bruno Poet qui porte décidément bien son nom. De ces douces et chaudes couleurs des lampions, de ces ribambelles de guirlandes telles des petites étoiles dans le ciel émerge un monde irréel, nostalgique et enfantin qui fait d’autant plus ressortir l’amertume du propos. Enfin, les projections de Andrzej Goulding sont utilisées intelligemment, parcimonieusement, et toujours de façon élégante. La scène de Louise au bord de la mer est, par exemple, d’une grande beauté.
A cet égard, Carousel est donc une véritable réussite du point de vue visuel, avec de splendides images chargées de poésie.
Comme beaucoup de comédies musicales de cette époque (à la scène comme à l’écran), le deuxième acte propose un ballet onirique (on peut penser par exemple à « Somewhere » de West Side Story en 1957). Dans le « Ballet de Louise », le chorégraphe Kim Brandstrup a insufflé des accents contemporains qui, aussi surprenant que cela puisse paraître, épousent avec grâce la partition classique de Rodgers et Hammerstein. Un fort joli moment. Les autres chorégraphies, tout aussi réussies, sont signées Kay Shepherd, entre énergie bon enfant et athlétisme viril.
Enfin, la partition de Rodgers et Hammerstein offre de nombreux trésors tels que « You’ll Never Walk Alone » (on évitera de se souvenir que cette magnifique chanson est également l’hymne de plusieurs clubs de football), « If I Loved You » (un des duos d’amour les plus délicats du théâtre musical), ou encore « What’s The Use of Wondr’in? » servis par un orchestre sous la baguette experte de Kevin Farrell. Quant à la distribution, elle est dominée par un duo tout à fait crédible (Duncan Rock et Kimy McLaren) auquel vient s’ajouter la présence (et la voix) chaleureuse et maternelle de Lisa Milne (dans le rôle de Nettie).