Caroline O’Connor, vous avez rejoint la production de Sweeney Todd tardivement. Comment cela s’est-il passé ?
J’avais déjà travaillé avec David Charles Abell [NDLR : chef d’orchestre du spectacle] sur le concert pour le 80e anniversaire de Sondheim au Royal Albert Hall, à Londres. Il m’avait dit qu’il allait faire Sweeney Todd à Paris et je l’ai félicité. Un jour, il m’envoie un e‑mail me demandant où j’étais et ce que je faisais. Je lui réponds que j’étais en Australie et que je prenais du temps pour être avec mon mari qui se remettait d’un cancer. Il me demande si je voulais venir à Paris pour faire Sweeney Todd. Je me suis dit « Oh my Goodness ! » Je ne savais pas ce qui s’était passé avec la personne qui devait jouer le rôle au départ… Je ne connaissais pas vraiment le spectacle. Je l’avais déjà écouté mais je ne l’avais jamais vu. J’ai toujours rêvé de jouer ce rôle mais je ne pensais pas que ça arriverait. C’est drôle car je me souviens avoir dit à David : « Si vous avez besoin d’une doublure, appelle-moi ». Je ne m’attendais pas à le faire, donc, j’ai été ravie. J’étais comblée d’excitation, car je savais à quel point cette œuvre est superbe.
Comment se sont passées les répétitions ?
J’ai eu deux semaines avant les répétions au théâtre même, ce qui est très court. Je travaillais aussi les dimanches avec l’assistant. J’avais tant à apprendre : Mrs Lovett ne quitte quasiment jamais la scène et elle a beaucoup de choses à chanter. Le premier jour, j’étais heureuse, le deuxième jour, j’étais très heureuse, et le troisième jour, je me suis dit : « Mais qu’ai-je fait ? C’est trop ! » Chaque jour, j’étais comme ça [elle feuillette sa partition] : « Oh mon Dieu ! Mon Dieu ! » mais tout le monde me disait : « Ca va ! Ne t’inquiète pas ! ». Et parce qu’ils avaient tellement confiance en moi, je me suis dit que peut-être que je pouvais y arriver. Quand j’ai appris que Stephen Sondheim allait voir le spectacle, je me suis dit : « Oh, non ! J’ai besoin de plus de temps »! » mais il s’est avéré qu’il a bien aimé ma performance. Je trouve que cette production est magnifique : la distribution, les décors, l’orchestre… Je pense que tout ce que Sondheim a pu rêver pour ce spectacle est là, avec une ampleur que le théâtre privé ne peut plus se permettre.
Durant les répétions, vous arriviez à dormir la nuit ?
Bien sûr ! Je m’écroulais de fatigue ! Mais j’avais des bouts de papier avec des dialogues, scotchés partout sur les murs de ma chambre d’hôtel. Quand je me brossais les dents, ou que je prenais un bain, je pouvais réviser. Et puis, j’avais ce petit cahier [elle montre un cahier rempli de notes] avec tout ce dont j’avais besoin de savoir, et qui ne me quittait jamais. Vous voyez, je n’ai même plus de pages vierges !
Quelles sont les difficultés de ce personnage ?
L’endurance. C’est un personnage très énergique, qui est souvent sur scène. Je ne trouve pas l’accent trop difficile mais il faut réussir à le maintenir, à le rendre crédible, notamment par rapport au Londres de cette époque. J’ai aimé chercher sa voix. [Elle prend l’accent cockney] Mon mari est cockney. Il ne parle pas comme ça, mais j’ai entendu ses parents s’exprimer de cette manière.
Il vous a coachée ?
Non ! Mais il en avait envie ! Il me disait : « Si tu as besoin d’aide, viens me voir ! ».
Et musicalement ?
Vocalement, la musique de Sondheim est toujours difficile. Par exemple, « The Worst Pies In London » semble facile, mais ça ne l’est pas et il faut y rajouter tous les gestes. La musique est très compliquée, mais c’est ce qui la rend excitante à interpréter.
Qu’aimez-vous le plus dans ce personnage ?
J’aime sa force. C ‘est une survivante, une femme d’affaires, une opportuniste. Et je pense que son côté comique l’aide à surmonter les épreuves. Quant à son côté dramatique, on le voit quand l’intrigue sentimentale commence à se dessiner avec Todd : elle a toujours eu le béguin pour lui. Alors, elle commence de façon comique, puis romantique, puis dramatique… J’aime tous ces éléments.
Avez-vous évité de regarder les performances d’Angela Lansbury ou de Patti LuPone ?
Tous les acteurs disent ça… mais, moi, je regarde tout ! Je pense que c’est enrichissant, en tant qu’acteur, de voir ce que font les autres. Je ne voulais pas les imiter, car cela n’aurait pas été authentique. Mais j’ai regardé les vidéos, j’aime me documenter, m’inspirer. Parfois, leurs idées sont simplement les meilleures. Angela Lansbury est incroyable, c’est tout de même elle qui a créé le rôle ! J’ai toujours aimé Angela Lansbury… Et Patti LuPone a aussi eu beaucoup de succès avec ce rôle. On peut apprendre : les bonnes choses, les moins bonnes, celles qu’on veut utiliser, celles qu’on veut changer. Et mon metteur en scène, Lee Blakeley, est fantastique. On s’est entendus dès qu’on s’est rencontrés. Quand vous écoutez votre metteur en scène, vous essayez des choses que vous n’auriez jamais imaginées, mais quand vous les replacez dans le grand puzzle, tout prend sens. Il faut faire confiance à son metteur en scène !
Sondheim vous a fait un magnifique compliment. Comment avez-vous réagi ?
J’étais plus que ravie. Je voulais qu’il soit content mais je ne m’attendais pas à ce qu’il soit aussi généreux. C’est un compliment magnifique venant d’une personne extraordinaire. J’ai beaucoup travaillé pour ce rôle donc j’étais vraiment ravie. J’aimerais beaucoup interpréter plus de ses œuvres. Je suis tombée amoureuse de ses spectacles il y a des années en jouant la Sorcière dans Into The Woods en Angleterre.
Quels personnages de Sondheim aimeriez-vous interpréter ?
J’aimerais jouer la Sorcière à nouveau, maintenant que je suis plus âgée, car je n’avais pas encore trente ans à l’époque. J’aimerais faire Follies. Tous les personnages féminins sont excellents dans Follies mais j’aime beaucoup Phyllis [NDLR : un personnage plus acerbe]. Quand j’étais plus jeune, je rêvais de faire Merrily We Roll Along !
Je suis contente que son œuvre commence enfin à être mieux reconnue. Les réactions, ici, à Paris, ont été sublimes ! Chaque soir : applaudissements, standing ovations… Le public parisien est si généreux !
C’est votre deuxième spectacle à Paris, après On The Town au Châtelet. Que pensez-vous de Paris justement ?
Je ne veux plus partir ! J’aime trop ! C’est déjà ce que j’ai dit la première fois ! J’aime tellement cette ville, et ce théâtre aussi : l’atmosphère y est si bonne. C’est formidable de revenir ici, notamment pour le public si chaleureux, mais aussi pour la qualité des productions, et j’aime beaucoup M. Choplin [NDLR : directeur du Châtelet]. J’ai une maison à Londres, et une à Sydney, je fais des allers-retours. Je me dis que quand je suis à Londres, je peux passer plus de temps ici !
Vous aimeriez y revenir une troisième fois…
Yes, please ! Et la troisième fois, ce sera encore mieux ! [rires]
Vous êtes la seule artiste de la distribution venant du milieu du théâtre musical, au milieu d’artistes lyriques. Y‑a-t-il une différence ?
Oui. Déjà, ils ne jouent pas autant que nous [NDLR : en général, huit représentations par semaine pour une comédie musical à Broadway ou Londres]. D’autre part, en tout cas, je parle de ma propre expérience, quand on démarre les répétitions, on nous demande de chercher d’abord notre personnage. Dans l’opéra, je crois, la musique vient d’abord. Dans le théâtre musical, si on cerne notre personnage, cela détermine ensuite notre façon de chanter.
Je pense que ça a été un gros choc pour eux quand j’ai débarqué ! Mais j’ai été très chaleureusement accueillie. On s’entend tous très bien. J’aurais aimé que ça joue plus longtemps !
Vous avez joué un peu partout dans le monde. Avez-vous un endroit préféré… à part Paris ?
Paris a le public le plus réactif. Vraiment. Sinon, j’aime jouer à New York, ça non plus, je ne pensais pas que ça arriverait [NDLR : Caroline O’Connor a joué Velma dans Chicago]. C’était un rêve que je faisais, enfant, en écoutant les albums d’Ethel Merman… Je pense que le succès du film Moulin Rouge [NDLR : où elle danse le fameux Tango de Roxanne] a donné l’idée aux producteurs de me proposer de jouer à Broadway. Je croise les doigts car j’y retournerai peut-être en fin d’année pour un autre projet. J’aime jouer là-bas, car c’est le pays du musical et ils apprécient vraiment ça.
Vous avez aussi un autre lien avec la France, puisque vous avez joué Piaf dans la pièce musicale de Pam Gems.
Vous savez, l’autre soir, je suis allée prendre un verre au Chat Noir, et j’ai appris que Piaf y avait chanté. J’avais bu quelques verres de vin, il y avait un piano, et mon mari et mes amis me disaient : « Allez ! Vas‑y ! ». Je me suis levée et j’ai chanté « La vie en rose » et « Non, je ne regrette rien ». C’est complètement fou, mais parfois, je suis folle ! Mais n’est-ce pas formidable, après tant d’années, de toujours aimer autant son métier ?
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Une vidéo de Caroline O’Connor dans Sweeney Todd :
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=y‑DaLzQqDgM&[/youtube]