Musique : George Bizet.
Direction musicale : Manny Schvartzman.
Orchestration et arrangements : Alex Lacamoire.
Co-arrangements : Edgar Vero.
Superviseur musical : Kurt Crowley.
Livret : Norge Espinosa Mendoza, Stephen Clark & Christopher Renshaw.
Paroles additionnelles : Norge Espinosa Mendoza.
Conception & mise en scène : Christopher Renshaw.
Chorégraphie : Roclan Gonzalez Chavez.
Décors & costumes : Tom Piper.
Lumières : Fabrice Kebour.
Collaboration à la mise en scène : Matthew Cole.
Avec : Luna Manzanares Nardo, Joel Prieto, Albita, Raquel Camarinha, Joaquín García Mejías, Eileen Faxas, Nyseli Vega, Tony Chiroldes, Cedric Leiba, Jr. & Pascal Pastrana.
Résumé : Adapter le célèbre opéra Carmen de Bizet en le transposant dans le monde contemporain ?
Déjà Oscar Hammerstein II l’avait fait en 1942 pour Broadway avec Carmen Jones, dont Otto Preminger devait tirer un film culte en 1954. L’œuvre devient aujourd’hui un musical cubain, le premier du genre, d’après Bizet mais en espagnol et situé cette fois à La Havane, à la veille de la révolution cubaine. La Carmencita travaille toujours dans une fabrique de cigares, mais la habanera retrouve ici son pays d’origine !
Situant l’action à l’époque où Castro et ses militants entreprirent de renverser le dictateur Batista, le dramaturge cubain Norge Espinosa Mendoza donne une résonance contemporaine à l’histoire intemporelle de Carmen. À Guantánamo, dans la campagne cubaine, Carmen, fille d’un soldat américain et d’une prostituée cubaine métisse, rêve d’une vie meilleure. Prisonnière de la fabrique à cigares locale, elle ne dispose que de son puissant pouvoir de séduction pour tromper l’ennui. Elle remarque José, un jeune soldat aussi naïf qu’innocent engagé dans l’armée de Batista qui finit lui aussi par succomber à sa beauté sensuelle. Croyant ainsi défendre l’honneur de son nouvel amour, José finit par tuer un sergent de son régiment ; le couple n’a d’autre alternative que de s’enfuir pour La Havane. Comme Rome à la veille de sa chute, La Havane des jours qui précèdent la Révolution est une ville gagnée par la corruption des mœurs et par les vices. La luxure est omniprésente et Carmen se fait vite remarquer. Devenue « La reine de La Havane », elle se lasse de José, dont la passion dévorante l’étouffe autant qu’elle l’inquiète. Bientôt, elle fait la rencontre du redoutable et charismatique El Niño Martinez, le plus célèbre boxeur de l’île. Cette rencontre scelle son destin, tandis que La Havane est en proie à la destruction et aux pillages des forces rebelles de Castro…
Notre avis : Carmen, opéra vu et revu s’il en est, s’offre une nouvelle jeunesse au Théâtre du Châtelet en situant son action dans le Cuba de la fin des années 50, quand les rebelles menés par Castro commencent à troubler le pays. Sous la houlette de Christopher Renshaw (The King & I, Zorro), à la conception et à la mise en scène, Carmen devient Carmen la Cubana, un musical librement inspiré de Carmen Jones (Hammerstein), lui-même basé sur l’opéra de Bizet. Dans cette nouvelle œuvre, la transposition à Cuba fonctionne parfaitement, le contexte déjà latin de l’œuvre originale (Séville au XIXe siècle) est ici magnifié par sa « délocalisation ». Loin d’un exotisme de pacotille, les orchestrations d’Alex Lacamoire (orchestrateur américain aux origines cubaines) nous emmènent instantanément dans un voyage musical marqué par des rythmes sauvages ou envoutants, du cha cha au mambo en passant par la salsa, évoquant pêle-mêle Celia Cruz, Tito Puente ou Yma Sumac. Lacamoire est l’homme du moment avec à son actif les arrangements de In The Heights et Hamilton (qui triomphe à Broadway en ce moment) — tous deux de de Lin-Manuel Miranda — ainsi que ceux de Dear Evan Hansen de Pasek & Paul (actuellement en previews off-Broadway). En attendant, c’est le public parisien qui s’offre le plaisir de redécouvrir complètement la célèbre partition de Bizet, interprétée brillamment par un orchestre de musiciens cubains, présent en fond de scène.
Du point de vue de la distribution, Luna Manzanares dans le rôle-titre séduit de sa voix chaude au timbre. Joel Prieto, dans le rôle de José, s’inscrit dans un registre plus lyrique, sans pour autant dépareiller. Au contraire, son style vocal d’une grande pureté est en adéquation avec son personnage de héros tragique et apporte un relief certain au tableau. On notera aussi la présence charismatique et généreuse de la chanteuse Albita (elle avait connu un certain succès en France à la fin des années 90 avec son album Una mujer como yo) dans le rôle de la Señora. Le reste de la distribution ne démérite pas, des seconds rôles auxdanseurs à l’énergie communicative.
Porté par une mise en scène fluide de Christopher Renshaw, ce spectacle est un intrigant objet hybride — sans doute plus proche du musical que de l’opéra — distillant, malgré sa fin tragique (spoiler ?) une sacrée dose de peps et de calor. Après Un Américain à Paris et Singin’ In The Rain, le Théâtre du Châtelet tiendrait-il sa troisième production en partance pour Broadway ? C’est tout le mal qu’on lui souhaite.