Bruno Gaccio, Dominique Guillo, comment avez-vous découvert Avenue Q ?
Dominique Guillo : Je l’ai découvert à Broadway, il y a à peu près quatre ans. Pendant une semaine, je suis allé voir des spectacles, notamment les grosses machines comme La Belle et la Bête ou Le Fantôme de l’Opéra. J’étais épaté par l’ampleur de ces shows, et Avenue Q, c’est le même sens du show : de l’entertainment très vif, coloré, rapide, drôle, mais avec un discours social, humain, un peu philosophique mais sans prétention. Je n’ai peut-être compris que 50 % du texte mais j’ai ressenti le message et j’ai beaucoup ri, et je me suis dit qu’en français, j’allais rire doublement ! Et depuis que j’ai lu l’adaptation de Bruno, je ris vraiment beaucoup !
Bruno Gaccio : Une de mes amies travaillait à la production et je suppose qu’elle en a parlé à Bernard [NDLR : Bitan, producteur] et Dominique ; et un jour, je me suis retrouvé avec un dossier avec plein de poils sur mon bureau ! Je lis donc une première adaptation française, je déjeune avec eux et je leur dis : ‘C’est sympa, mais pas plus que ça…’ Bernard me dit : ‘Je t’emmène à Londres.’ Deux jours plus tard, je suis parti pour Londres, j’ai vu Avenue Q et j’ai pris une vraie claque. C’était archi-jubilatoire, je suis sorti de là avec la banane… et l’envie de le faire en français et de partager avec le public français les émotions d’un auteur. On est partis pour Tel-Aviv pour travailler avec Dominique, Shirel [NDLR : qui sera l’une des deux interprètes de Kate Monster] et Shay, le pianiste. On a commencé à travailler sur la chanson « Si t’étais pédé ». C’est allé très vite, on s’est rendu compte rapidement qu’on s’entendait tous très bien… Mais ce n’est pas nous qui nous entendions bien, c’est le show qui fait ça. Quand on est dedans, waouh, on a envie d’y aller ! Pour être très honnête, c’est vrai que je n’étais pas emballé tout de suite par Avenue Q, et je pense que ça va être comme ça pour le public : on va avoir un démarrage lent, mais ça va tout casser après !
DG : Je crois à l’unanimité du bouche-à-oreille !
Comment définiriez-vous ce spectacle pour quelqu’un qui ne le connaîtrait pas du tout ?
BG : C’est inédit et curieux. Les marionnettes, dont j’ai l’habitude, servent à faire passer des choses que des humains peuvent difficilement faire passer. Si des humains parlent de racisme, en disant par exemple que tous les Arabes sont des voleurs de mobylettes ou que les Portugais sont poilus, ça donne une conversation un peu bizarroïde, alors qu’avec des marionnettes, le recul qu’on a sur le sujet permet d’aller très loin. Alors oui, c’est un spectacle curieux, jubilatoire. On rassemble tous les publics : les gens qui n’aiment pas la comédie musicale peuvent très bien venir voir ce truc-là en se disant que c’est très particulier. Et les gens qui aiment ça vont voir une comédie musicale très particulière !
DG : Il y a une vraie histoire, avec une boucle qui fait qu’à la fin du spectacle, on repart à zéro. C’est le cycle de la vie : on a résolu les problèmes du personnage principal et de tous les personnages de l’avenue. Tout le monde a des problèmes… Il y a deux solutions, soit on arrête de vivre et on fait la gueule, soit on décide de sortir, de se dire ‘c’est ma vie et je vais essayer de la traverser avec intelligence parce que je n’en ai qu’une…’ Et ça, j’adore. Je suis certain que c’est le moteur principal de la joie que dégage ce spectacle. Et en sortant de là, le public, avec l’aide d’une musique extrêmement entraînante et variée, comprend ce message : ‘votre vie, c’est la vôtre, et il n’y a rien de plus précieux.’ Tout ça est dit avec joie, optimisme, et une vraie bonne foi.
Bruno Gaccio, c’est la première fois que vous adaptez un texte anglais. Quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées ?
BG : La difficulté est de comprendre ce que l’auteur initial a voulu dire et non pas ce qu’il a dit. Lorsqu’un personnage exprime un sentiment, il faut comprendre ce que l’auteur a voulu dire à travers ce sentiment pour le faire passer dans une autre langue. L’autre difficulté, c’est qu’il y a beaucoup de phrases qui sont dites sur un fond musical, il y a donc un rythme à tenir.
Dominique Guillo, quelle est votre marge de liberté par rapport à la mise en scène originale ?
DG : Je réponds toujours la même chose : ma mise en scène est au service du texte, celui de Bruno, qui est lui-même au service du texte original. Ce sera obligatoirement très américain, mais je fais en sorte que les Français le reçoivent avec le même choc que les Anglo-saxons, que l’effet soit le même.
BG : Si je puis ajouter quelque chose, les Américains sont très ‘premier degré’. Quand Princeton ramasse une pièce par terre, qu’il voit qu’elle date de l’année de sa naissance et qu’il dit ‘C’est un signe !’, c’est trop naïf, on ne peut pas faire ça. Donc, on joue cette naïveté, et on en fait un poil trop. C’est de l’ordre de la mise en scène, mais c’est une façon d’alléger quelque chose qui était très premier degré.
Dominique Guillo, c’est la première fois que vous travaillez avec des comédiens et des marionnettes. L’approche est différente ?
Il faut d’abord savoir qu’il y a des marionnettes et trois humains. Ca ressemble à la géographie de 1 Rue Sésame ou du Muppet Show, où des guests se mélangeaient à des marionnettes. On a ces trois humains de représentations ethniques différentes — un Blanc, un Noir, une Asiatique — qui font un trait d’union entre le public et les marionnettes. Là, je dirige le comédien, lui demandant de faire faire quelque chose à sa marionnette, et j’ai quelqu’un à mes côtés, qui est François Guizerix – il travaille aux Guignols depuis le début – qui fait en sorte que la marionnette fasse ce que je souhaite.
Bruno Gaccio, voyez-vous des points communs entre les Guignols et les marionnettes d’Avenue Q ?
La distance. Un Guignol réussi, c’est un Guignol qui se sert de l’enveloppe du modèle et qui trouve son autonomie en tant que personnage. Un Guignol raté, c’est celui qui fait des blagues : ça ne marche pas. Voilà la similitude : la distance créée par la marionnette permet de dire des choses énormes. Et je crois que c ‘est la seule. Les Guignols parlent d’actualité, Avenue Q a une vue globale. Tous les soirs, les Guignols ont le même public mais changent de show. Avenue Q, c’est le même show tous les soirs, mais pas le même public !
Est-ce qu’avant Avenue Q, vous aimiez la comédie musicale, et si oui, lesquelles ?
DG : Chaque fois que je vais à Londres ou à New York, je vais voir des comédies musicales mais je n’avais pas du tout l’idée que je pourrais en monter une un jour. J’aime beaucoup Le Fantôme de l’Opéra et Rent. En général, ceux qui aiment Avenue Q aiment Rent. Il y a une logique évidente, Avenue Q, c’est Rent en plus drôle, en très drôle ! Sinon, j’ai aussi connu les comédies musicales quand j’étais petit à travers les films de Jacques Demy.
DG : Contrairement à Dominique, Jacques Demy, je n’ai jamais pu… mais pas une seconde ! Ma fille adore et je ne comprends pas. Un de mes films préférés dans mon top 5… ou 10, c’est Chantons sous la pluie. C’est extraordinaire. L’histoire est parfaite. Quant aux comédies musicales sur scène, ma première femme en était folle et donc on en voyait quand on allait à New York. Je ne suis pas forcément fan mais c’est quand même un show extraordinaire.
Parlez-nous de votre distribution.
BG : Il y a des acteurs qui jouent la comédie, bougent et chantent parfaitement et là en plus, il y a un type des Guignols qui leur dit : ‘Vous avez un truc au bout du bras, et ça ne se bouge pas n’importe comment’. Il y a des règles. Il leur apprend à manipuler, et ils sont dociles, heureux de faire ça. C’est incroyable !
DG : On a fait un gros casting, on a vu presque 500 personnes pour en choisir quinze. En effet, je pense qu’on a les quinze meilleurs.
BG : La première question que j’ai posée à Bernard, c’est ‘Est-ce qu’il y a des gens pour faire ça ?’ En fait, il y a plein de gens de talent en France, il y a tout un monde que je ne connaissais pas et que je découvre !
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Lire également notre interview de Robert Lopez, co-auteur de Avenue Q.