Premier tour au Ticket Booth nouvelle formule. En cinq minutes, j’ai ma place pour Gypsy. Mercredi en matinée, est-ce Patti LuPone qui sera sur scène ou sa doublure ? Dès 13 h 45 le théâtre est plein. Lorsque l’ouverture de ce classique moult fois repris, résonne, je suis ému comme au premier jour, comme si une bouffée d’air frais permettait de respirer de nouveau. Et lorsque « Sing out Louise ! », première réplique de la terrible Mama Rose, claque, c’est toute la salle qui accueille la LuPone par des applaudissements. Spectacle impeccable, casting formidable dans une mise en scène de Arthur Laurents, 90 ans… Reprendre contact avec un spectacle qui fait écho à la longue tradition de Broadway procure une énergie incroyable. J’avais oublié à quel point cela fait du bien !
Le soir même, une création : A Catered Affair écrit et interprété par Harvey Fierstein. Je vous conseille de lire le blog de cet artiste hors norme. Personnellement je suis fan. Ici, il s’agit d’une pièce tirée d’un film, les chansons interviennent subtilement et cassent l’image de la comédie musicale tonitruante. Situé dans les années 50, on y parle d’un mariage dans un milieu modeste et de tous les soucis qu’il va susciter. Faith Prince est superbe, tout comme Tom Wopat et Leslie Kritzer. Harvey Fierstein, dans le rôle du « confirmed bachelor », s’impose avec douceur. Ken Bloom, auteur du remarquable livre Broadway Musicals (éditions Black Dog & Leventhal) qui vient de sortir dans une version complétée, reproche au spectacle d’être « beige, beige, beige »… Il l’est, mais c’est justement ce qui fait son charme.Ken Bloom se montre assez pessimiste sur la situation à Broadway. « Aujourd’hui on a tendance à infantiliser le public. Rares sont les spectacles « adultes ». c’est une conséquence de la prise de pouvoir de Disney sur le théâtre musical. Je reconnais aussi que Disney a insufflé une nouvelle énergie, par exemple rebâtir le mythique théâtre New Amsterdam fut un événement qui nous a ravis. Pour les véritables amoureux de la comédie musicale, je pense que l’âge d’or est derrière nous. Le nombre de théâtres n’est pas extensible. Quand vous avez des shows qui restent à l’affiche des années, ils ne permettent pas à de nouvelles créations de trouver leur place. Par ailleurs, le rythme de production a changé. On exploite à fond un spectacle, ce qui est normal, mais nous n’avons plus d’auteurs prolifiques comme par le passé, des auteurs qui stimulaient la curiosité du public. De plus, difficile aujourd’hui de trouver des producteurs ambitieux, qui ne pensent pas uniquement à l’argent ! Et puis je note une chose : désormais il devient naturel que le public fasse une standing ovation à l’issue de chaque représentation. Voilà quelques années, se lever avait une signification très forte, c’était exceptionnel. Le théâtre musical est un peu à cette image : tout devient vite galvaudé. »
En parlant de spectacles pour « adulescents », j’ai vu Xanadu. Basé sur le nanar des années 80 avec Olivia Newton-John et Gene Kelly, cet opus divise le public. D’une part, les spectateurs venus passer un bon moment et qui s’amusent de cette pochade sur patins à roulettes et de son humour au trente-cinquième degré. De l’autre, le public qui considère que ce spectacle aurait davantage sa place « off-Broadway ». Just take some laughs and run…
Jen Arnold, costumière, travaille pour différentes productions dont celle du Fantôme de l’Opéra. « Vingt ans que le show est à l’affiche… Il offre du travail à pas mal de monde et nous lui en sommes reconnaissants ! A mes yeux Broadway a véritablement changé depuis le 11 septembre 2001. Les théâtres étaient déserts, le traumatisme intense. Les producteurs ne vont plus chercher aussi loin dans leurs poches pour produire des shows… C’est un peu comme s’il fallait vivre dans l’instant. Les répercussions de ces attentats atroces se font encore sentir aujourd’hui. Le Fantôme tient aujourd’hui le record de longévité, il est aussi le dernier spectacle à l’affiche représentant l’ère anglaise des années 80. C’est devenu un show historique ! Je dois avouer que je ne m’en lasse pas, la magie qu’il dégage agit toujours en profondeur sur les spectateurs. D’ailleurs il suffit de voir les fans qui attendent à la sortie des artistes. »
Il faut dire en effet qu’à New York, les artistes en général sortent rapidement du théâtre et signent autographes, posent pour les photos avec une bonne volonté évidente. Je me suis amusé à suive ce manège sur plusieurs spectacles. Ces brèves rencontres font partie du cérémonial. C’était le cas à la fin de Spring Awakening que j’ai vu en matinée samedi. Le spectacle remporte toujours les faveurs d’un public jeune. Situé à la fin du 19e siècle, le spectacle fait la part belle à l’énergie de sa jeune troupe et aux chansons pop-rock. Le mélange pourrait sembler bizarre, c’est très réussi. Le thème, universel et éternel, de l’éveil à la sensualité, traité ici sans pudibonderie, fait réagir le public… La mise en scène dépouillée joue avec astuce sur des ambiances qui reflètent la passion qui anime les protagonistes. Le théâtre musical vit avec son époque. Ce spectacle a donc largement de quoi rassurer !Tout comme In The Heights, dont les chansons ont été écrites par Lin-Manuel Miranda, également acteur charismatique. Les rythmes latinos donnent toute la vitalité à ce spectacle, malgré un livret sans surprise.
Curtains, dernière oeuvre du duo Kander et Ebb, va bientôt quitter l’affiche. Le spectacle est souvent moqué pour être un concentré de tous les clichés d’un bon gros Broadway show. Rien ne manque en effet dans la panoplie. Une histoire simple, des chorégraphies « old fashioned », un premier degré qui lorgne vers le second mais peine à le trouver… Un critique déclare : « le show idéal pour votre grand-mère ». Il n’a pas totalement tort ! BT McNicholl, le metteur en scène associé de Cabaret à Paris, continue de travailler comme un fou. Actuellement, il travaille sur Spamelot et ne manque pas de projets. « J’ai adoré travailler en France, toute l’équipe me manque ! S’il vous plaît, transmettez-leur mes amitiés ! ». Contrairement à Ken Bloom, BT se montre optimiste : « Broadway est promis à un bel avenir. Il suffit de voir comment les théâtres se remplissent, la qualité des spectacles… Je reçois des propositions de shows, je peux vous dire que la création n’est pas en berne. En revanche, il est difficile de trouver un « bon » spectacle pour Broadway. De nombreux paramètres doivent être remplis. »
J’attendais avec impatience la représentation au Studio 54 de Sunday In The Park With George dans la mise en scène de Sam Buntrock. Brillant, excellent, formidable… La technologie de pointe se marie parfaitement bien à l’intrigue et donne un poids incroyable à cette réflexion sur la créativité, sur l’art. Si le terme n’était pas aussi galvaudé, je qualifierais ce spectacle de « sublime » ! And what the hell, je le qualifie.Dans un New Amsterdam rénové voilà dix ans par les bons soins de Disney et envahi par le merchandising (impossible de remonter une allée sans être interpellé par un vendeur qui propose le parapluie de Mary, sa valise, son CD, whatever…), Mary Poppins séduit tranquillement un public familial. En se basant davantage sur le livre pour enfant de P.L. Travers, le musical est moins mielleux que le film, good news. La mise en scène fait la part belle à la magie, c’est une bonne chose. Quant aux chorégraphies de Matthew Bourne, elles ne manquent pas de tonus et également… de magie puisque Gavin Lee, le ramoneur, à l’instar de Fred Astaire dans Mariage royal, danse sur les murs et le plafond…
Chris Boneau, pilier d’une grande agence de presse, ne manque pas de travail, « surtout en cette période pré-Tony Award… C’est l’effervescence dans le petit monde du musical. En dix ans, la situation a beaucoup changé. Le 11 septembre a modifié la donne. Ce qui me plait aujourd’hui, c’est qu’on peut de nouveau rire au théâtre. Ces dernières années, les spectacles avaient des tonalités graves, plombantes. De plus, le public qui va souvent au théâtre vieillit. Il faut séduire les nouvelles générations, celles qui grandissent avec Internet, les portables, la dématérialisation de tous les supports. Il est très important que les jeunes aient le goût du spectacle vivant, qu’ils aient envie de découvrir des oeuvres qui leur parlent. Les auteurs doivent, à travers leurs oeuvres, parler à ce nouveau public. C’est un défi intéressant que je suis de près. » Lorsque j’évoque la grève, qui a paralysé le monde bien rôdé de Broadway pendant plusieurs semaines en ce début d’année, la réponse reste vague : « Nous avons tous été surpris par ce mouvement. Tout évoluait au jour le jour, nous n’avons pas l’habitude ! De plus, au vu de leur complexité, il était très difficile de faire comprendre au public les enjeux de cette grève. Ce que les gens ont vu c’est que les théâtres étaient fermés. Nous vivons beaucoup grâce aux touristes, certains avaient réservé leur voyage longtemps à l’avance… Une période compliquée, qui heureusement n’a pas trop fragilisé notre équilibre. »
Depuis cinq ans le public se gondole en voyant Avenue Q, spectacle décalé et tordant de bout en bout. Mélanger acteurs et marionnettes à main tient de la gageure, pari intégralement réussi. Au bout de quelques minutes, la technique impeccable des marionnettistes passe derrière l’intrigue. Il faut dire qu’il s’en passe de belles dans ce quartier. Livret au cordeau, personnages dessalés, un rythme infernal, la salle est conquise. C’était lundi soir, mon dernier jour à New York. Belle façon de terminer ce séjour… Le théâtre musical change, évolue comme le reflet de son époque qu’il se doit d’être. Une vague en remplace une autre. L’important reste que l’exigence soit toujours de mise et que les spectacles ne deviennent pas des usines à fric. Nous en sommes encore loin et le professionnalisme américain vaut le déplacement. Une chose est sûre : je n’attendrai pas 11 ans avant de revenir !