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Boris Bergman — Un nouveau pari pour l’auteur inclassable du rock

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Boris Bergman ©DR
Boris Bergman ©DR

Com­ment définiriez-vous votre spectacle ?
La nuit du rat est plus cousin du Rocky Hor­ror Show que de Notre Dame de Paris. J’ai gran­di à Lon­dres et j’aime le rock­’n roll sous toutes ses formes.Un peu avant l’ado­les­cence j’aimais par dessus tout Bud­dy Hol­ly et aus­si Gene Vin­cent et Eddie Cochran. Mes influ­ences vien­nent de là. Toute­fois, je revendique égale­ment mon appar­te­nance à la cul­ture des musi­cals anglo-sax­ons. Je venais du quarti­er des émi­grants russ­es, l’équiv­a­lent de Brook­lyn à New York et mes par­ents m’emmenaient très régulière­ment dans le West End. J’ai décou­vert de nom­breux spec­ta­cles, dans des reg­istres très dif­férents, comme La mélodie du bon­heur, j’ai même vu Sean Con­nery chanter et danser dans South Pacif­ic au Domin­ion The­atre. Tout ce que l’on expéri­mente à une péri­ode de sa vie où l’on est encore frag­ile, cela vous imprègne durable­ment. Bien des années plus tard, quand je suis retourné dans mon pays pour enreg­istr­er avec mes cama­rades comme Bashung, je n’ai jamais man­qué d’aller voir au moins une comédie musi­cale. De plus, tous les rock­ers comme Elvis Costel­lo, Joe Jack­son, Bryan Fer­ry, ont sor­ti un album de stan­dards en guise d’hom­mage à Gersh­win, Cole Porter ou Sond­heim. Enfin Paul Ives, notre com­pos­i­teur a fait ses pre­mières armes en Angleterre en reprenant l’un des rôles prin­ci­paux de Hair. Dans ses com­po­si­tions il se sert de son passé musical.

La comédie musi­cale est donc un domaine qui vous est plus proche que l’on ne peut le penser.
En effet. Quand j’ai fait l’adap­ta­tion de Décem­bre pour Isabelle Georges, je me suis moi aus­si servi de toutes mes références. D’au­tant que j’aime beau­coup de choses dans le domaine de la comédie musi­cale, du plus kitsch comme Rose-Marie à ou Rocky Hor­ror Show. A un moment, j’ai réé­couté Brecht grâce aux Doors. Un de mes rêves aurait été de refaire les textes français de plusieurs chan­sons de cet auteur, loin de la tra­duc­tion lit­téraire qui a été faite et qui ne respecte en rien la sim­plic­ité souhaitée par l’au­teur. Je tra­vaille actuelle­ment sur l’adap­ta­tion en comédie musi­cale de La femme au petit chien de Tchekov pour Isabelle Georges et Sacha Bour­do. J’ai créé un troisième per­son­nage unique­ment pour pou­voir, dans les chan­sons et les dia­logues, être très proche du texte de l’au­teur. Sou­vent le tra­duc­teur se fait plaisir en recréant un style lit­téraire qui n’ex­iste pas dans l’oeu­vre orig­i­nale. Tchekov pos­sède un style très sim­ple, des phras­es impressionnistes.

Votre spec­ta­cle per­pétue donc une tradition.
La nuit du rat se com­pose de rock et de blues et ne manque pas effec­tive­ment de référence à une comédie musi­cale plus clas­sique. Nous l’avons inti­t­ulé « opéra rock » puisque nous ne pou­vons pas utilis­er le terme « musi­cal » qui n’est pas con­sid­éré comme français… Je viens de m’apercevoir à l’in­stant en vous présen­tant cette pièce qu’elle est le con­cen­tré de ce que je suis. Sur le plan dra­ma­tique, on se situe entre le théâtre élis­abéthain et le théâtre russe avec une véri­ta­ble intrigue nour­rie de malen­ten­dus. Cette pièce est une fable solaire mais très légère­ment anar­chiste qui con­te des his­toires de pou­voir. Ce pro­jet, nous l’avons écrit voilà dix ans. Lorsque je l’ai relu, il m’a sem­blé tout à fait cor­re­spon­dre aux ques­tion­nements de notre époque. La fable et sa morale étaient tou­jours val­ables. En revanche, j’ai ressor­ti des car­tons un pro­jet autour de la chirurgie esthé­tique qui est obsolète : la réal­ité à dépassé ce que j’avais imag­iné voilà une décennie !

Com­ment s’est déroulée l’écriture ?
Je suis assez habitué au chaos. Tout ce que j’ai écrit depuis trois décen­nies était basé sur une sorte d’écri­t­ure automa­tique. Ecrire une pièce musi­cale, avec sa dra­maturgie, néces­site une rigueur que j’ai acquise. Richard Leduc, le sérieux du cou­ple, s’est basé sur des élé­ments véridiques. C’est un cartésien amoureux de l’hu­mour anglo-sax­on. Dans chaque tribu de rats se trou­ve un roi, qui est là de manière hérédi­taire, on trou­ve aus­si un goû­teur. Le rat pos­sède un sys­tème diges­tif par­ti­c­uli­er qui lui per­met de digér­er en trente min­utes. Un rat teste les ali­ments que la com­pag­nie mangera s’il ne décède pas ! Quand ils vieil­lis­sent, ils devi­en­nent can­ni­bales et sont exclus de la tribu. En revanche, les rats junkies, c’est une inven­tion ! Le rat est une sorte de hyène urbaine : il ne choisit pas sa nour­ri­t­ure mais se con­tente de ce que lui laisse l’homme.

Quelle est l’intrigue ?
Avant de mourir, le roi déclare son goû­teur comme son légataire uni­versel. Ce rat peu doué pour le pou­voir, incar­né par Sacha Bour­do, arrive donc sur le trône. Dans le même temps, un rat apporte une ter­ri­ble nou­velle : l’homme a dis­paru, ses sacs de poubelle bleus aus­si, autant dire la base de la nour­ri­t­ure. Les rats n’ont donc plus rien à se met­tre sous la dent et doivent s’or­gan­is­er. C’est pour cela qu’ils déci­dent de kid­nap­per le roi des rats des champs, mais sa nour­ri­t­ure à base de céréale et sa musique coun­try les ennuie !

A quelques jours de la pre­mière, com­ment vous sentez-vous ?
C’est une expéri­ence par­ti­c­ulière, nous présen­tons le spec­ta­cle seule­ment pen­dant cinq jours. J’e­spère qu’il pour­ra vivre ensuite. Nous avons égale­ment écrit une ver­sion anglaise. L’hu­mour british pren­dra-t-il sur Paris ? Mys­tère. J’ai tou­jours eu un prob­lème avec Descartes… Un homme qui déclare : « il faut sépar­er l’é­tude du corps de l’é­tude de l’e­sprit » ne peut pas m’être sym­pa­thique ! Le non-sens, l’ab­surde fait par­tie de ma cul­ture. Ici, c’est presque con­sid­éré comme intel­lo. Il est vrai que j’au­rais aimé être plus accom­pa­g­né par des pro­duc­teurs sur ce pro­jet, mais cette comédie musi­cale effraie les pro­duc­teurs tra­di­tion­nels. Cela me rap­pelle mes débuts avec Bashung : nous avons ren­con­tré la même frilosité. En tout cas, c’est fait et j’en suis fier ! Si je fais référence à mes émo­tions d’en­fance, j’aimerais que les gens, en sor­tant de la salle, soient meilleurs que lorsqu’ils y sont ren­trés. Cela m’est arrivé gosse quand on sort d’un film de Capra, je cours après ce sen­ti­ment. Dans le même temps, je souhaite don­ner au max­i­mum l’oc­ca­sion au pub­lic de se mar­rer, de taper du pieds et de hocher la tête !