
Comment vous est-venue l’idée d’adapter La dame au petit chien ?
Depuis l’âge de douze ans, La dame au petit chien est mon livre de chevet. Tchekhov écrit dans une langue extrêmement simple et quand on a douze ans, on peut avoir l’illusion qu’on comprend tout !
Au fur et à mesure des années, cette nouvelle m’a poursuivi. Après La nuit du rat [NDLR : comédie musicale écrite par Boris Bergman, jouée au Théâtre Déjazet en 2006], j’ai eu envie de faire une comédie musicale minimaliste avec très peu de personnages. J’ai pensé à cette nouvelle de Tchekhov dans laquelle on ne voit que deux personnes. Pour garder le regard extérieur d’un troisième protagoniste, j’ai imaginé quelqu’un qui n’existe pas dans la nouvelle, Smerhov, le propriétaire du Pavillon Verney, le lieu où se rencontrent la dame et Gourov, son amant. Et de toutes les histoires dont Smerhov a été témoin, il se souvient de cette rencontre. Tout va se passer dans la mémoire de ce petit bonhomme et, comme dans la nouvelle, l’histoire ne se termine pas.
J’avais envie de faire un spectacle acoustique, et nous voilà dans un petit théâtre en bois tellement magnifique que c’est un décor en soi. On a une violoniste qui jouera trois instruments (violon, alto et violon trompette).
Comment définiriez-vous le style de ce spectacle ?
Musicalement, je ne voulais pas d’un vrai compositeur russe pour ne pas tomber dans les clichés. Je voulais qu’on soit néanmoins dans une sensibilité cousine et je me suis rappelé que la meilleure version de L’Idiot de Dostoïevski a été faite par un japonais. Toutes les grandes chansons russes ont été traduites en japonais avec une grande sensibilité, il y a un cousinage dans le rythme. Donc, Makoto Carteron, compositrice, a écrit une musique assez orientale, slave. Musicalement, on est plutôt dans le lyrique.
De mon côté, je vais essayer, avec ce que j’ai, d’apporter le cinéma au théâtre, car c’est ma formation même si, comme tout enfant élevé en Grande-Bretagne, on m’a emmené voir toutes les comédies musicales du monde, de La mélodie du bonheur à My Fair Lady…
J’aimerais renouer avec le romantisme… Et puis, je ne sais pas si c’est à cause de l’âge, mais on m’a tellement reproché, depuis mes débuts, il y a quelques décennies, mes jeux de mots, mon 27e degré, que là, j’ai mis un point d’honneur à faire simple. Pour les textes, je ne peux pas faire plus simple !
Simplicité et sincérité en même temps ?
Oui, Smerhov est consciemment ou inconsciemment inspiré de gens que j’ai vraiment connus : il est un peu mon grand-père, mon père… et un peu moi. Et une de mes tantes, quand elle avait une vingtaine d’années, a sans doute ressemblé à la dame au petit chien.
J’ai toujours dit que j’avais de la nostalgie avant d’avoir des souvenirs. Il y a un dicton qui dit que le Russe se penche vers le passé, il n’aime pas aujourd’hui et a peur de demain.
J’ai réalisé très vite que les personnages qui étaient autour de moi quand j’étais plus jeune n’existeraient plus : ces émigrants qui sont partis en Finlande, en France, aux Etats-Unis, ou à Shanghai, dans la colonie judéo-russe, dans tous ces endroits où on acceptait les gens sans visa… C’est formidable pour moi de les faire revivre.
Comment abordez-vous votre mise en scène ? Est-ce la première fois pour vous ?
J’ai mis en scène quelques concerts. En vérité, je me sers de ma petite expérience de réalisateur de courts-métrages. J’essaie de fonctionner au théâtre comme si j’étais au cinéma. Pour le ton des voix, j’essaie de faire en sorte que les comédiens ne parlent pas trop fort, et je pense aux films de Jacques Tourneur. Et puis, j’ai vu tellement de comédies musicales que j’essaie d’en garder les bonnes références.
Justement, d’où vient votre amour de la comédie musicale ?
Déjà, je pense que ce goût vient du théâtre yiddish, du cabaret, des émigrés russes ou polonais qui arrivent en Allemagne. Hollander, qui a écrit pour Dietrich [NDLR : la chanson « Falling In Love Again »], a commencé comme ça.
Mon grand-père écoutait donc beaucoup de 78 tours de théâtre yiddish, et il y avait beaucoup de chansons.
Et très tôt, comme j’ai grandi à Londres, je suis allé voir beaucoup de comédies musicales. J’aime des choses aussi variées que The Producers, Un Violon sur le toit, West Side Story, Wicked ou Rose-Marie.
Et puis, c’est vrai que j’ai un grand faible pour Sondheim. J’ai eu la chance de voir la version originale anglaise de A Little Night Music avec Jean Simmons et la grande Hermione Gingold.
Régulièrement, je vais à Londres voir des comédies musicales.
Que pensez-vous du paysage actuel en ce qui concerne le théâtre musical français ?
Je regrette que ce qu’on appelle ici « comédies musicales » soient en fait des « revues musicales », des suites de chansons sans dialogues. Personnellement, j’aime le passage du dialogue à la musique, je trouve ça jouissif.
Pour moi, une comédie musicale, c’est déjà une histoire, et puis une alternance de chansons et de dialogues, avec des thèmes qui reviennent.
Et la comédie musicale, c’est un univers que vous avez envie de continuer à explorer ?
Oui, j’ai déjà commencé autre chose avec le pianiste Pascal Amoyel. Et puis, en comédie musicale, je peux toucher à tout : les costumes, les décors, la mise en scène. C’est formidable ! On peut aussi explorer des styles musicaux différents. J’espère qu’il y aura une suite et que je pourrai faire d’autres spectacles.