Une des réussites essentielles de cette manifestation fut la centralisation des spectacles et des rencontres dans le site de la Villette: entre la Cité de la musique et le Conservatoire national, le théâtre Paris-Villette et le Cabaret sauvage, en passant par quelques cafés… On regrettera juste que Le jardin des délices de la Péniche-Opéra n’y ait pas trouvé sa place. Mais c’était une surprise agréable de croiser sur ces pelouses, amateurs d’opéra et de rock se rendant au Zénith !
Une situation française contrastée
Quatre des neufs compagnies présentes durant cette semaine étaient françaises: signe de bonne santé du lyrique en France, ou hommage rendu au pays organisateur de cet évènement ? Etonnant, lorsque l’on pense à la multitude de troupes existantes en Europe, comparée à la dizaine seulement se trouvant dans notre pays…
C’est à la plus médiatisée, l’incontournable compagnie Opéra-Eclaté d’Olivier Desbordes, que fut confié l’honneur d’ouvrir les festivités, avec une nouvelle version des Noces de Figaro de Mozart. Une re-création en quelque sorte, car Olivier Desbordes, assisté de S. Ottin, avait pris soin de remplacer les récitatifs italiens par des extraits de la pièce de Beaumarchais, comme à la création de cet ouvrage en France en 1793. Jolie soirée pour cette ouverture, dans un cadre rare, celui du Cabaret sauvage, un cirque en bois, où les spectateurs attablés, prenaient le temps de siroter un demi, en grapillant du raisin, envahis par la musique magnifique de Mozart. Dans une mise en scène sobre, sans surprise, on put apprécier les voix des solistes, tout en reprochant à certains, le manque de souplesse, voir plus, d’imagination dans leur jeu : quel dommage en effet, qu’un Figaro ou une Comtesse ne s’emparent pas davantage de leurs rôles, si admirablement écrits ! La direction musicale, nette et vigoureuse, quant à elle fut un régal.
Cependant on était loin de la soirée magique et enchanteresse qu’allait nous proposer Mireille Larroche, avec son Jardin des Délices, le lendemain à la Manufacture des Oeillets d’Ivry. La Péniche-Opéra accomplit ainsi depuis plusieurs années un travail remarquable : autant de création que de re-découvertes de styles musicaux.
Alternative Lyrique allait nous permettre de découvrir également des créations, sans doute plus audacieuses, et par la même occasion plus ambitieuses, de par leur modernité et leur parti pris. Ce fut le cas avec The Glass Menagerie de l’italien Antonio Bibalo, présenté par Opera West, une compagnie norvégienne, au théâtre Paris-Villette. Cette oeuvre adaptée de la pièce de Tenessee Williams (La ménagerie de verre), pour quatre personnages et vingt musiciens, ne brille pas spécialement par ses qualités musicales, souvent confuses et où les quelques envolées s’effacent très vite devant les harmonies difficiles, qui rebutent aisément le mélomane novice. On retiendra pourtant l’extraordinaire mise en scène de Hilde Andersen, sensible, émouvante et ô combien pudique, servie par l’interprétation de quatre chanteurs habités et si simplement humains, illustrant parfaitement ce cruel drame familial.
Mais ce sont nos voisins britanniques, dont la folie, l’absolutisme, et l’engagement scénique allaient susciter notre plus grand enthousiasme. Punch & Judy, opéra en un acte de Harrison Birtwistle, date de 1967: et déjà quelle modernité, quelle innovation! L’orchestre est remarquable, la distribution est brillante; cette histoire de marionnettes issue du folklore anglais, devient un véritable rituel morbide et sanglant. Ironique, voire cynique à souhait, les comédiens chanteurs se donnent sans compter. La musique, contemporaine certes, mais moins hostile, nous enveloppe dans un manteau de sonorités étouffant: on rit, on s’interroge, on s’éveille à ce style avec plaisir. Bravo à toute cette équipe, aux qualités vocales évidentes, et à l’énergie farouche de défendre cette création du Music Theatre Wales.
Dans un genre plus sobre, et nettement moins abouti, l’ARCAL, et le metteur en scène Christian Gangneron, présentaient Le pauvre matelot de Darius Milhaud : une complainte en trois actes datant de 1926, sur un livret de Jean Cocteau. L’originalité du spectacle, et bien la seule, fut de se dérouler dans un café, tout comme l’action de cet ouvrage, plusieurs soirs de suite. Que dire de la mise en scène sans intérêt, et de l’interprétation lisse et sans vie ? le bémol de ce festival, sans aucun doute.
Après un tel spectacle, on est en droit de se demander d’où vient cette énergie et cet investissement scénique dont font preuve les artistes étrangers en comparaison de certains artistes français ? Est-ce leur formation qui autorise ces excès, ces fantaisies, cette liberté, cette façon si généreuse de nous transmettre leur passion et leur foi en leur travail — souvent osé et risqué — ?. On aimerait voit éclore d’autres structures, en France, qui feraient preuve, non pas d’imagination, car elles en ont déjà beaucoup, mais tout simplement d’enthousiasme, et quelque part de volonté d’atteindre un idéal…
Ces Alternatives Lyriques ont été une occasion rare de s’enrichir, en faisant preuve de curiosité. Des rencontres avec les compagnies étaient organisées, qui (et c’est sans doute normal pour une première édition) suscitèrent peu d’engouement de la part du public. Mais en tous les cas on peut féliciter l’équipe à l’origine de cet événement des choix d’une programmation souvent passionnante qui nous fait espérer beaucoup de la prochaine édition… en 2001 !