
Tout le monde se souvient du duo Poiret-Serrault dans La cage aux folles mais rares sont ceux qui savent que Jerry Herman (Hello Dolly!, Mame) en a tiré un musical américain à grand spectacle au début des années 80. Coutumier du genre, Alain Marcel a parfaitement réussi son adaptation et nous déclarait à la veille du spectacle « Après Peter Pan et Kiss Me, Kate, je rêve enfin d’un vrai succès à Paris ». Espoir déçu donc malgré le talent de Bernard Alane et Patrick Rocca, excellents dans les rôles principaux. Les décors et les costumes n’ont certes pas aidé ce spectacle mal porté par sa productrice. Les Cagettes n’ont pas été les seules à y laisser des plumes : Mogador a été mis en faillite après seulement 30 représentations. Le théâtre a depuis été repris par le directeur de l’Opéra de Massy qui l’a remis à flot avec quelques « bouées de secours » comme Arturo Brachetti (L’homme aux mille visages). Une nouvelle grosse production est dit-on envisagée pour les fêtes de fin d’année.
Les Folies Bergère ont un moment songé concurrencer La cage avec Victor/Victoria et on ne peut que regretter qu’ils n’aient pas suivi cette voie « gay-friendly » plutôt que de choisir finalement Sept filles pour sept garçons, un musical basé sur un film… complètement oublié ! La mise en scène et les chorégraphies intelligentes ainsi que le casting impeccable n’ont pas suffi pour faire venir un public déboussolé par l’association Folies Bergère-Lio. Elle était pourtant touchante la brune qui compte pas pour des prunes dans son rôle de composition, celui d’une oie blanche ! Après trois semaines seulement, Roger Louret et ses Années Twist (dans ce qui était semble-t-il leur dernière incarnation) ont été appelés à la rescousse, de quoi tenir jusqu’à Noël. Le rideau est ensuite tombé le temps de préparer une enième revue des standards d’Offenbach, French Cancan. C’est rythmé, enlevé, agréable… juste un peu déjà vu !
La nouvelle donne
Du côté des spectacles en tournée, aux côtés des Stomp et des « celteries » diverses (Riverdance, Lord of the Dance) un peu à la lisière du théâtre musical, Wolfgang Bocksch jouait quant à lui sur du velours. Grease, show familial idéal pour la période des fêtes, n’a pourtant pas répété le succès de West Side Story l’année précédente. Le producteur allemand reste quand même l’un de ces rares étrangers à croire au marché français et il nous confiait alors : « Nos spectacles ont contribué à fidéliser un large public qui ne cesse de s’étendre. Nous avons ouvert la porte aux jeunes qui viennent maintenant en nombres ».
C’est une leçon qu’il faudrait méditer. Il est facile d’expliquer que le public a boudé La cage et Sept filles à cause de la fatalité (« les Français n’aimeront décidément jamais la comédie musicale ») ou à cause du manque de soutien des médias (Regard en Coulisse excepté of course !), il n’en demeure pas moins que ces spectacles ont en réalité souffert d’être montés « à l’ancienne ». Le théâtre musical vit en effet à l’heure actuelle un bouleversement générationnel. Les directeurs de salles qui n’ont pas intégré cette donnée et qui méprisent les spectateurs de Notre Dame de Paris courent à leur perte. La génération Internet peut s’ouvrir à d’autres formes de spectacles… pour peu qu’on fasse des efforts pour l’attirer.
Des efforts, les producteurs de Starmania devraient peut-être en faire, même après tout ce temps (21 ans !). Pour la première fois depuis longtemps, le spectacle ne reviendra en effet pas à Paris pour la prochaine saison. N’ayant pas anticipé la marche triomphale de Notre Dame, l’opéra-rock de Berger-Plamondon a pris un coup de vieux. Quasimodo et Esméralda n’en sont pas encore là qui ont continué toute cette saison à jouer à guichets fermés partout en France et dans les pays francophones. Au contraire même, pour la première fois depuis Irma la douce (1956) et Les Misérables (1980), un musical français est en passe de devenir un succès mondial : depuis janvier, il se joue à Las Vegas (ce qui n’est pas très significatif) et depuis mai, à Londres (ce qui l’est beaucoup plus). Si le public du West End s’embrase pour la jolie bohémienne, alors les portes de Broadway, le Saint-Graal du théâtre musical, s’ouvriront aussi. A suivre…
Ce n’est pas pourtant parce qu’on connaît les ingrédients d’une recette qu’on devient un grand chef ! Nous verrons donc si tous les spectacles qui s’engouffrent dans la brèche ouverte par Notre Dame connaîtront le même succès. Tous ont en tout cas une tonalité très pop, ont sorti un ou plusieurs singles et albums plusieurs mois avant le spectacle et ont surmédiatisé (?) leurs compositeurs ou interprètes. On a beau vouloir dresser ici le bilan de la saison écoulée, les radios et les télés ont déjà fait des héros des Mille et une vies d’Ali Baba, des Dix Commandements et de Roméo et Juliette ? de la Haine à l’Amour de Presgurvic nos compagnons quotidiens alors même que les shows ne commencent pas avant plusieurs mois.
Pour tous les goûts
Au sein de la Rédaction de Regard en Coulisse, nous nous réjouissons de ce nouvel intérêt du public. Mais nous sommes avant tout très heureux quand des productions moins médiatiques rencontrent le succès qu’elles méritent. Les amateurs de Souingue apprécient ainsi tout particulièrement le travail effectué par Patrick-Laurent Martel (Le triangle des bermudas) ou celui, remarquable, de Laurent Pelly et toute sa troupe. Après Et Vian ! En avant la Zique !, délicieux collage de chansons de Boris Vian présenté à la grande Halle de la Villette à l’automne 1999, cette fine équipe s’est attelée à l’écriture d’une comédie musicale originale, C’est pas la vie, qui sera créée dans sa forme définitive (après une année de « work in progress ») cet été en Avignon. Et la place nous manque pour lister l’ensemble de ces troupes de passionnés, parfois de semi-professionnels (mais jamais de semi-passionnés !) qui, à l’instar de Patrick-Laurent Martel déjà cité (Mayflower) ou Méli-Mélodie (Coups de feu sur Chicago) ont porté haut les couleurs du théâtre musical cette année encore. Il y a en ce moment un très bon opéra-bouffe au Bouffes Parisiens, Le sire de Vergy : qui s’en soucie ? Il faut pourtant aller voir ces spectacles, ce sont eux qui renouvellent le genre !
Dans les mois qui viennent, d’autres spectacles s’exprimeront aussi en dehors du moule de Notre Dame : Paris, je t’aime, Verdi un destin, une passion etc. Regard en Coulisse sera là pour en parler !
Impossible de terminer ce bilan sans dresser celui de Jérôme Savary à Chaillot… et sans se réjouir qu’il vienne secouer les meubles de Favart. Sa Périchole et son Irma la douce ont été plébiscitées par le public. Dans le premier cas, il ne courait guère de risques : même avec des rythmes salsa, Offenbach c’est toujours du premier choix (cf. les Folies Bergère !). Dans le second, le pari était plus risqué : faire ses adieux à Chaillot avec cette opérette de Marguerite Monnod tombée dans l’oubli… On retiendra la somme de talents, comme si tous avaient voulu ce dernier signe avant une saison qui s’annonce tout aussi intéressante à l’Opéra-Comique : La Périchole (encore), Mistinguett et La mascotte.
Enfin, bien sûr, de même que les grands distributeurs n’hésitent plus à sortir des films pendant l’été, Paris aura aussi cette année son grand musical estival : Da Vinci. Il est évidemment trop tôt pour prédire ici le sort qui l’attend : après tout, aujourd’hui comme hier, les règles qui assurent le succès — ou non — d’un musical restent toujours aussi mystérieuses que le sourire de Mona Lisa !