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Bilan de la saison 99–00 à Paris — Les gagnants et les perdants

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Notre Une de la deuxième quinzaine d'octobre 1999 ©DR
Notre Une de la deux­ième quin­zaine d’oc­to­bre 1999 ©DR
Mogador et les Folies Bergère boivent la tasse 
Tout le monde se sou­vient du duo Poiret-Ser­rault dans La cage aux folles mais rares sont ceux qui savent que Jer­ry Her­man (Hel­lo Dol­ly!, Mame) en a tiré un musi­cal améri­cain à grand spec­ta­cle au début des années 80. Cou­tu­mi­er du genre, Alain Mar­cel a par­faite­ment réus­si son adap­ta­tion et nous déclarait à la veille du spec­ta­cle « Après Peter Pan et Kiss Me, Kate, je rêve enfin d’un vrai suc­cès à Paris ». Espoir déçu donc mal­gré le tal­ent de Bernard Alane et Patrick Roc­ca, excel­lents dans les rôles prin­ci­paux. Les décors et les cos­tumes n’ont certes pas aidé ce spec­ta­cle mal porté par sa pro­duc­trice. Les Cagettes n’ont pas été les seules à y laiss­er des plumes : Mogador a été mis en fail­lite après seule­ment 30 représen­ta­tions. Le théâtre a depuis été repris par le directeur de l’Opéra de Massy qui l’a remis à flot avec quelques « bouées de sec­ours » comme Arturo Bra­chet­ti (L’homme aux mille vis­ages). Une nou­velle grosse pro­duc­tion est dit-on envis­agée pour les fêtes de fin d’année.

Les Folies Bergère ont un moment songé con­cur­rencer La cage avec Victor/Victoria et on ne peut que regret­ter qu’ils n’aient pas suivi cette voie « gay-friend­ly » plutôt que de choisir finale­ment Sept filles pour sept garçons, un musi­cal basé sur un film… com­plète­ment oublié ! La mise en scène et les choré­gra­phies intel­li­gentes ain­si que le cast­ing impec­ca­ble n’ont pas suf­fi pour faire venir un pub­lic débous­solé par l’as­so­ci­a­tion Folies Bergère-Lio. Elle était pour­tant touchante la brune qui compte pas pour des prunes dans son rôle de com­po­si­tion, celui d’une oie blanche ! Après trois semaines seule­ment, Roger Louret et ses Années Twist (dans ce qui était sem­ble-t-il leur dernière incar­na­tion) ont été appelés à la rescousse, de quoi tenir jusqu’à Noël. Le rideau est ensuite tombé le temps de pré­par­er une enième revue des stan­dards d’Of­fen­bach, French Can­can. C’est ryth­mé, enlevé, agréable… juste un peu déjà vu !

La nou­velle donne 
Du côté des spec­ta­cles en tournée, aux côtés des Stomp et des « cel­ter­ies » divers­es (River­dance, Lord of the Dance) un peu à la lisière du théâtre musi­cal, Wolf­gang Bocksch jouait quant à lui sur du velours. Grease, show famil­ial idéal pour la péri­ode des fêtes, n’a pour­tant pas répété le suc­cès de West Side Sto­ry l’an­née précé­dente. Le pro­duc­teur alle­mand reste quand même l’un de ces rares étrangers à croire au marché français et il nous con­fi­ait alors : « Nos spec­ta­cles ont con­tribué à fidélis­er un large pub­lic qui ne cesse de s’é­ten­dre. Nous avons ouvert la porte aux jeunes qui vien­nent main­tenant en nom­bres ».

C’est une leçon qu’il faudrait méditer. Il est facile d’ex­pli­quer que le pub­lic a boudé La cage et Sept filles à cause de la fatal­ité (« les Français n’aimeront décidé­ment jamais la comédie musi­cale ») ou à cause du manque de sou­tien des médias (Regard en Coulisse excep­té of course !), il n’en demeure pas moins que ces spec­ta­cles ont en réal­ité souf­fert d’être mon­tés « à l’an­ci­enne ». Le théâtre musi­cal vit en effet à l’heure actuelle un boule­verse­ment généra­tionnel. Les directeurs de salles qui n’ont pas inté­gré cette don­née et qui méprisent les spec­ta­teurs de Notre Dame de Paris courent à leur perte. La généra­tion Inter­net peut s’ou­vrir à d’autres formes de spec­ta­cles… pour peu qu’on fasse des efforts pour l’attirer.

Des efforts, les pro­duc­teurs de Star­ma­nia devraient peut-être en faire, même après tout ce temps (21 ans !). Pour la pre­mière fois depuis longtemps, le spec­ta­cle ne revien­dra en effet pas à Paris pour la prochaine sai­son. N’ayant pas anticipé la marche tri­om­phale de Notre Dame, l’opéra-rock de Berg­er-Pla­m­on­don a pris un coup de vieux. Qua­si­mo­do et Esméral­da n’en sont pas encore là qui ont con­tin­ué toute cette sai­son à jouer à guichets fer­més partout en France et dans les pays fran­coph­o­nes. Au con­traire même, pour la pre­mière fois depuis Irma la douce (1956) et Les Mis­érables (1980), un musi­cal français est en passe de devenir un suc­cès mon­di­al : depuis jan­vi­er, il se joue à Las Vegas (ce qui n’est pas très sig­ni­fi­catif) et depuis mai, à Lon­dres (ce qui l’est beau­coup plus). Si le pub­lic du West End s’embrase pour la jolie bohémi­enne, alors les portes de Broad­way, le Saint-Graal du théâtre musi­cal, s’ou­vriront aus­si. A suivre…

Ce n’est pas pour­tant parce qu’on con­naît les ingré­di­ents d’une recette qu’on devient un grand chef ! Nous ver­rons donc si tous les spec­ta­cles qui s’en­gouf­frent dans la brèche ouverte par Notre Dame con­naîtront le même suc­cès. Tous ont en tout cas une tonal­ité très pop, ont sor­ti un ou plusieurs sin­gles et albums plusieurs mois avant le spec­ta­cle et ont sur­mé­di­atisé (?) leurs com­pos­i­teurs ou inter­prètes. On a beau vouloir dress­er ici le bilan de la sai­son écoulée, les radios et les télés ont déjà fait des héros des Mille et une vies d’Ali Baba, des Dix Com­man­de­ments et de Roméo et Juli­ette ? de la Haine à l’Amour de Pres­gur­vic nos com­pagnons quo­ti­di­ens alors même que les shows ne com­men­cent pas avant plusieurs mois.

Pour tous les goûts 
Au sein de la Rédac­tion de Regard en Coulisse, nous nous réjouis­sons de ce nou­v­el intérêt du pub­lic. Mais nous sommes avant tout très heureux quand des pro­duc­tions moins médi­a­tiques ren­con­trent le suc­cès qu’elles méri­tent. Les ama­teurs de Souingue appré­cient ain­si tout par­ti­c­ulière­ment le tra­vail effec­tué par Patrick-Lau­rent Mar­tel (Le tri­an­gle des bermu­das) ou celui, remar­quable, de Lau­rent Pel­ly et toute sa troupe. Après Et Vian ! En avant la Zique !, déli­cieux col­lage de chan­sons de Boris Vian présen­té à la grande Halle de la Vil­lette à l’au­tomne 1999, cette fine équipe s’est attelée à l’écri­t­ure d’une comédie musi­cale orig­i­nale, C’est pas la vie, qui sera créée dans sa forme défini­tive (après une année de « work in progress ») cet été en Avi­gnon. Et la place nous manque pour lis­ter l’ensem­ble de ces troupes de pas­sion­nés, par­fois de semi-pro­fes­sion­nels (mais jamais de semi-pas­sion­nés !) qui, à l’in­star de Patrick-Lau­rent Mar­tel déjà cité (Mayflower) ou Méli-Mélodie (Coups de feu sur Chica­go) ont porté haut les couleurs du théâtre musi­cal cette année encore. Il y a en ce moment un très bon opéra-bouffe au Bouffes Parisiens, Le sire de Ver­gy : qui s’en soucie ? Il faut pour­tant aller voir ces spec­ta­cles, ce sont eux qui renou­vel­lent le genre !

Dans les mois qui vien­nent, d’autres spec­ta­cles s’ex­primeront aus­si en dehors du moule de Notre Dame : Paris, je t’aime, Ver­di un des­tin, une pas­sion etc. Regard en Coulisse sera là pour en parler !

Impos­si­ble de ter­min­er ce bilan sans dress­er celui de Jérôme Savary à Chail­lot… et sans se réjouir qu’il vienne sec­ouer les meubles de Favart. Sa Péri­c­hole et son Irma la douce ont été plébisc­itées par le pub­lic. Dans le pre­mier cas, il ne courait guère de risques : même avec des rythmes sal­sa, Offen­bach c’est tou­jours du pre­mier choix (cf. les Folies Bergère !). Dans le sec­ond, le pari était plus risqué : faire ses adieux à Chail­lot avec cette opérette de Mar­guerite Monn­od tombée dans l’ou­bli… On retien­dra la somme de tal­ents, comme si tous avaient voulu ce dernier signe avant une sai­son qui s’an­nonce tout aus­si intéres­sante à l’Opéra-Comique : La Péri­c­hole (encore), Mist­inguett et La mas­cotte.

Enfin, bien sûr, de même que les grands dis­trib­u­teurs n’hési­tent plus à sor­tir des films pen­dant l’été, Paris aura aus­si cette année son grand musi­cal esti­val : Da Vin­ci. Il est évidem­ment trop tôt pour prédire ici le sort qui l’at­tend : après tout, aujour­d’hui comme hier, les règles qui assurent le suc­cès — ou non — d’un musi­cal restent tou­jours aus­si mys­térieuses que le sourire de Mona Lisa !