Les « revivals »
Il s’agit de comédies musicales dont la première création remonte à quelques années et qui sont remontées avec une nouvelle mise en scène. Actuellement, il y a de nombreux revivals à l’affiche : Cabaret dans une production ébouriffante avec participation du public, Chicago qui surfe sur le succès du film (à noter que Mélanie Griffith, Mme Banderas, rejoindra la troupe dans le rôle de Roxie à partir du 10 juillet), Man of la Mancha (que Jacques Brel avait créé en France), 42nd Street (un grand classique de Broadway avec de fabuleux tableaux d’ensemble). Trois autres ont ouvert plus récemment : Nine, Gypsy et La Bohème (bien que ce soit un opéra).
Nine
Voilà une très belle production intellectuelle et raffinée qui force le respect. Ce revival de la première comédie musicale de Maury Yeston, inspirée du film 8 ½ de Fellini, vingt ans après sa création, est un événement. La mise en scène de David Leveaux, sobre, sophistiquée, où chaque geste et chaque déplacement ont leur importance, joue beaucoup sur la symbolique. On ne se lasse pas de la musique de Maury Yeston si subtile et agréable qui colle tellement bien à l’histoire. Dans un ravissant décor bien étudié mêlant design très moderne et aspects plus anciens évolue un cast de rêve. Nous avons particulièrement remarqué Jane Krakowski (Elaine dans Ally Mc Beal) terriblement sexy et aguicheuse dans son rôle de Carla et évidemment Chita Rivera, plus diva que jamais, épatante et irrésistible en Liliane La Fleur. Quant au seul homme du spectacle, Antonio Banderas, il compose un Guido parfait : séducteur, baratineur, fragile, perturbé et immature, il dégage beaucoup d’émotion et de sensibilité, il en est très touchant et quel charisme ! Evidemment il s’agit d’un spectacle exigeant, tout en retenue, qui demande une très grande attention.
Gypsy
Le revival de ce célèbre musical, créé il y a presque cinquante ans, vient d’ouvrir sur Broadway avec une affiche prometteuse: Sam Mendes (oscarisé pour American Beauty) à la mise en scène et la grande Bernadette Peters dans le rôle principal. C’est un beau spectacle qui offre quelques moments irrésistibles. La mise en scène fonctionne bien mais elle reste très classique, on aurait pu s’attendre à plus d’audace et d’innovation de la part de Sam Mendes. S’il réussit à donner une nouvelle vie à Gypsy, il ne va pas assez loin et on ne peut s’empêcher de trouver cette production un peu datée. Bernadette Peters interprète Rose avec beaucoup de détermination et d’énergie mais la voix ne suit pas toujours. A trop attendre d’elle, on reste un peu sur sa fin, mais tout est relatif, c’est une grande artiste. Et puis il reste toujours la force du très bon livret de Arthur Laurents, les inoubliables lyrics de Sondheim et la partition très aboutie et brillante de Jule Styne.
La Bohème
Après avoir réalisé pour le cinéma Roméo+Juliet et Moulin Rouge, films à la théâtralité et à l’esthétique remarquées, Baz Luhrmann met en scène le célèbre opéra de Puccini. Il s’agit bien de l’opéra et non pas d’une adaptation en comédie musicale. On retrouve incontestablement la patte de ce génie de la mise en scène. Les somptueux décors noir et blanc, sépia, avec quelques touches de couleur rappellent les scènes du vieux Paris de Moulin Rouge. Baz Lurhmann gère la scène comme un plateau de cinéma. Entre chaque acte les structures des décors sont déplacées manuellement mais ça prend du temps et c’est préjudiciable à la fluidité du spectacle dont le rythme est déjà assez lent. Il ne se passe pas grand chose finalement. Il faut aimer l’opéra, et celui-là en particulier, sinon c’est assez soporifique, heureusement, il y a de très belles voix et une scénographie hors du commun.
Les productions à grand spectacle
Dans cette catégorie, depuis la fermeture après 17 ans de succès des Misérables, c’est The Phantom of the Opera, le grand et très beau classique de Lloyd Webber, qui fait figure de doyen. Deux spectacles plus récents tous deux adaptés d’un film et dotés d’un humour décapant (ce n’est pas si courant dans les musicals) remportent un immense succès bien mérité : The Producers et Hairspray.
The Producers
Un seul mot pour qualifier ce spectacle: génial ! On comprend pourquoi il a remporté 12 Tony Awards, un record. Il s’agit de l’adaptation à la scène de son film par Mel Brooks lui-même qui a également composé la musique particulièrement brillante. C’est l’histoire de deux producteurs escrocs qui se démènent pour monter la comédie musicale la plus nulle possible (« Springtime for Hitler » !). Ils espèrent ainsi qu’elle fermera dès la première représentation et qu’ils pourront s’enfuir avec tout l’argent collecté auprès de vieilles dames riches pour la produire. Manque de chance, c’est un triomphe ! C’est du très grand Mel Brooks politiquement incorrect, délirant et satirique. On admire autant la mise en scène épatante et pétillante de Susan Stroman que les sublimes décors et costumes. Un grand spectacle servi par une distribution au top.
Hairspray
Spectacle jubilatoire avec une pêche d’enfer ! Cette adaptation du film de John Waters fait salle comble depuis juillet et pourrait bien devenir culte. C’est rock’n roll et « kitsch’n drôle » à souhait. L’histoire de cette jeune fille grosse et de milieu modeste qui arrive à séduire le garçon le plus convoité de la ville et remporte un concours de danse télévisé est un hymne rafraîchissant à la tolérance et à l’acceptation d’autrui. Les décors, costumes et coiffures rivalisent dans l’extravagance, la démesure et le flashy, on se croirait dans un dessin animé. Tous les personnages excessifs et délirants sont impeccablement interprétés par des comédiens à l’énergie contagieuse. Coup de chapeau particulier aux deux rôles principaux : Marissa Jaret Winokur à la fois drôle et touchante et l’hilarant Harvey Fierstein qui réalise une incroyable performance en jouant la mère de l’héroïne ! On a rarement vu un final qui donne autant envie de continuer à faire la fête dans le théâtre après la représentation.
Toujours dans cette catégorie, on trouve les trois superbes productions Disney : Beauty and the Beast (dans une scénographie très proche du film d’animation), The Lion King (l’un des plus beaux spectacles à voir actuellement, un must) et la petite dernière et non moins réussie: Aïda.
Aïda
Cette adaptation en comédie musicale de l’histoire poignante rendue célèbre par l’opéra de Verdi nous offre un grand moment d’émotion et de beauté. Tout contribue au ravissement : les décors magiques avec de nombreux changements fluides et astucieux, les costumes somptueux, heureux mariage entre les tenues d’époque et le « modern fashion », le tout éclairé par de superbes lumières. Un excellent cast évolue dans une mise en scène vive et intelligente. Quant à la musique pop rock d’Elton John, si elle ne recèle pas autant d’airs inoubliables que dans The Lion King, elle n’en reste pas moins très efficace et nous réserve aussi de jolies ballades.
Le renouveau et les nouvelles tendances de Broadway
Depuis quelques années, Broadway se renouvelle et s’ouvre à un nouveau public. Déjà bien présents dans le off-Broadway moins grand public et beaucoup plus innovant, des musicals plus contemporains et moins conventionnels commencent à trouver leur place au milieu des grands shows de Broadway. Rent, avec sa musique rock, ses thèmes abordés (drogue, sida, jeunesse désespérée), la rusticité du théâtre et les musiciens sur une scène dépouillée, reste le symbole de ce renouveau. Dans le même esprit mais dans un autre style, Urinetown bouscule l’ordre établi et fait un bien fou.
Urinetown
Un musical burlesque qui ne se prend au sérieux tout en dénonçant l’excès de pouvoir tant politique qu’économique et l’asservissement des plus faibles. Imaginez une ville sordide où, en raison d’une pénurie d’eau, les habitants n’ont plus le droit d’utiliser leur WC et sont obligés d’aller se soulager dans un seul et unique urinoir géré par une entreprise privée qui pratique des tarifs prohibitifs. Les plus démunis qui ne peuvent pas payer sont punis et envoyés de force dans la mystérieuse Urinetown (ville de l’urine) d’où personne ne revient… Pastiche, parodies, gags, situations hilarantes sont au rendez-vous dans une mise en scène « cartoonesque », délirante et pleine de trouvailles. Musique enlevée, jazz, swing, gospel. On apprécie d’autant plus la qualité des acteurs qu’ils sont très proches du public, tous de sacrés caractères qui nous offrent une vraie cure de bonne humeur.
Autre tendance dans ce renouveau de Broadway : les pop-musicals basés sur les chansons d’un groupe ou d’un chanteur célèbre. Mamma Mia ! (spectacle très fun et sans prétention avec des chansons d’ABBA) connaît le même succès qu’à Londres. Ouvert plus récemment, Movin’Out (composés de chansons de Billy Joël) s’apparente plus à une revue rock et semble rencontrer un public de plus en plus nombreux.