Best of Broadway 2003

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Antonio Banderas dans Nine ©DR
Anto­nio Ban­deras dans Nine ©DR
Si vous avez la chance de pass­er quelques jours à New York, vous voudrez cer­taine­ment en prof­iter pour voir quelques musi­cals. Tous ont au moins un point com­mun : la qual­ité, après c’est une ques­tion de goût. Devant tant de choix, vous trou­verez cer­taine­ment votre bonheur.

Les « revivals » 
Il s’ag­it de comédies musi­cales dont la pre­mière créa­tion remonte à quelques années et qui sont remon­tées avec une nou­velle mise en scène. Actuelle­ment, il y a de nom­breux revivals à l’af­fiche : Cabaret dans une pro­duc­tion ébou­rif­fante avec par­tic­i­pa­tion du pub­lic, Chica­go qui surfe sur le suc­cès du film (à not­er que Mélanie Grif­fith, Mme Ban­deras, rejoin­dra la troupe dans le rôle de Rox­ie à par­tir du 10 juil­let), Man of la Man­cha (que Jacques Brel avait créé en France), 42nd Street (un grand clas­sique de Broad­way avec de fab­uleux tableaux d’ensem­ble). Trois autres ont ouvert plus récem­ment : Nine, Gyp­sy et La Bohème (bien que ce soit un opéra).

Nine
Voilà une très belle pro­duc­tion intel­lectuelle et raf­finée qui force le respect. Ce revival de la pre­mière comédie musi­cale de Mau­ry Yeston, inspirée du film 8 ½ de Felli­ni, vingt ans après sa créa­tion, est un événe­ment. La mise en scène de David Lev­eaux, sobre, sophis­tiquée, où chaque geste et chaque déplace­ment ont leur impor­tance, joue beau­coup sur la sym­bol­ique. On ne se lasse pas de la musique de Mau­ry Yeston si sub­tile et agréable qui colle telle­ment bien à l’his­toire. Dans un ravis­sant décor bien étudié mêlant design très mod­erne et aspects plus anciens évolue un cast de rêve. Nous avons par­ti­c­ulière­ment remar­qué Jane Krakows­ki (Elaine dans Ally Mc Beal) ter­ri­ble­ment sexy et aguicheuse dans son rôle de Car­la et évidem­ment Chi­ta Rivera, plus diva que jamais, épatante et irré­sistible en Lil­iane La Fleur. Quant au seul homme du spec­ta­cle, Anto­nio Ban­deras, il com­pose un Gui­do par­fait : séduc­teur, baratineur, frag­ile, per­tur­bé et imma­ture, il dégage beau­coup d’é­mo­tion et de sen­si­bil­ité, il en est très touchant et quel charisme ! Evidem­ment il s’ag­it d’un spec­ta­cle exigeant, tout en retenue, qui demande une très grande attention.

Gyp­sy
Le revival de ce célèbre musi­cal, créé il y a presque cinquante ans, vient d’ou­vrir sur Broad­way avec une affiche promet­teuse: Sam Mendes (oscarisé pour Amer­i­can Beau­ty) à la mise en scène et la grande Bernadette Peters dans le rôle prin­ci­pal. C’est un beau spec­ta­cle qui offre quelques moments irré­sistibles. La mise en scène fonc­tionne bien mais elle reste très clas­sique, on aurait pu s’at­ten­dre à plus d’au­dace et d’in­no­va­tion de la part de Sam Mendes. S’il réus­sit à don­ner une nou­velle vie à Gyp­sy, il ne va pas assez loin et on ne peut s’empêcher de trou­ver cette pro­duc­tion un peu datée. Bernadette Peters inter­prète Rose avec beau­coup de déter­mi­na­tion et d’én­ergie mais la voix ne suit pas tou­jours. A trop atten­dre d’elle, on reste un peu sur sa fin, mais tout est relatif, c’est une grande artiste. Et puis il reste tou­jours la force du très bon livret de Arthur Lau­rents, les inou­bli­ables lyrics de Sond­heim et la par­ti­tion très aboutie et bril­lante de Jule Styne.

La Bohème
Après avoir réal­isé pour le ciné­ma Roméo+Juliet et Moulin Rouge, films à la théâ­tral­ité et à l’esthé­tique remar­quées, Baz Luhrmann met en scène le célèbre opéra de Puc­ci­ni. Il s’ag­it bien de l’opéra et non pas d’une adap­ta­tion en comédie musi­cale. On retrou­ve incon­testable­ment la pat­te de ce génie de la mise en scène. Les somptueux décors noir et blanc, sépia, avec quelques touch­es de couleur rap­pel­lent les scènes du vieux Paris de Moulin Rouge. Baz Lurhmann gère la scène comme un plateau de ciné­ma. Entre chaque acte les struc­tures des décors sont déplacées manuelle­ment mais ça prend du temps et c’est préju­di­cia­ble à la flu­id­ité du spec­ta­cle dont le rythme est déjà assez lent. Il ne se passe pas grand chose finale­ment. Il faut aimer l’opéra, et celui-là en par­ti­c­uli­er, sinon c’est assez sopori­fique, heureuse­ment, il y a de très belles voix et une scéno­gra­phie hors du commun.

Les pro­duc­tions à grand spectacle 
Dans cette caté­gorie, depuis la fer­me­ture après 17 ans de suc­cès des Mis­érables, c’est The Phan­tom of the Opera, le grand et très beau clas­sique de Lloyd Web­ber, qui fait fig­ure de doyen. Deux spec­ta­cles plus récents tous deux adap­tés d’un film et dotés d’un humour déca­pant (ce n’est pas si courant dans les musi­cals) rem­por­tent un immense suc­cès bien mérité : The Pro­duc­ers et Hair­spray.

The Pro­duc­ers
Un seul mot pour qual­i­fi­er ce spec­ta­cle: génial ! On com­prend pourquoi il a rem­porté 12 Tony Awards, un record. Il s’ag­it de l’adap­ta­tion à la scène de son film par Mel Brooks lui-même qui a égale­ment com­posé la musique par­ti­c­ulière­ment bril­lante. C’est l’his­toire de deux pro­duc­teurs escrocs qui se démè­nent pour mon­ter la comédie musi­cale la plus nulle pos­si­ble (« Spring­time for Hitler » !). Ils espèrent ain­si qu’elle fer­mera dès la pre­mière représen­ta­tion et qu’ils pour­ront s’en­fuir avec tout l’ar­gent col­lec­té auprès de vieilles dames rich­es pour la pro­duire. Manque de chance, c’est un tri­om­phe ! C’est du très grand Mel Brooks poli­tique­ment incor­rect, déli­rant et satirique. On admire autant la mise en scène épatante et pétil­lante de Susan Stro­man que les sub­limes décors et cos­tumes. Un grand spec­ta­cle servi par une dis­tri­b­u­tion au top.

Hair­spray
Spec­ta­cle jubi­la­toire avec une pêche d’en­fer ! Cette adap­ta­tion du film de John Waters fait salle comble depuis juil­let et pour­rait bien devenir culte. C’est rock­’n roll et « kitsch’n drôle » à souhait. L’his­toire de cette jeune fille grosse et de milieu mod­este qui arrive à séduire le garçon le plus con­voité de la ville et rem­porte un con­cours de danse télévisé est un hymne rafraîchissant à la tolérance et à l’ac­cep­ta­tion d’autrui. Les décors, cos­tumes et coif­fures rivalisent dans l’ex­trav­a­gance, la démesure et le flashy, on se croirait dans un dessin ani­mé. Tous les per­son­nages exces­sifs et déli­rants sont impec­ca­ble­ment inter­prétés par des comé­di­ens à l’én­ergie con­tagieuse. Coup de cha­peau par­ti­c­uli­er aux deux rôles prin­ci­paux : Maris­sa Jaret Winokur à la fois drôle et touchante et l’hi­la­rant Har­vey Fier­stein qui réalise une incroy­able per­for­mance en jouant la mère de l’héroïne ! On a rarement vu un final qui donne autant envie de con­tin­uer à faire la fête dans le théâtre après la représentation.

Tou­jours dans cette caté­gorie, on trou­ve les trois superbes pro­duc­tions Dis­ney : Beau­ty and the Beast (dans une scéno­gra­phie très proche du film d’an­i­ma­tion), The Lion King (l’un des plus beaux spec­ta­cles à voir actuelle­ment, un must) et la petite dernière et non moins réussie: Aïda.

Aïda
Cette adap­ta­tion en comédie musi­cale de l’his­toire poignante ren­due célèbre par l’opéra de Ver­di nous offre un grand moment d’é­mo­tion et de beauté. Tout con­tribue au ravisse­ment : les décors mag­iques avec de nom­breux change­ments flu­ides et astu­cieux, les cos­tumes somptueux, heureux mariage entre les tenues d’époque et le « mod­ern fash­ion », le tout éclairé par de superbes lumières. Un excel­lent cast évolue dans une mise en scène vive et intel­li­gente. Quant à la musique pop rock d’El­ton John, si elle ne recèle pas autant d’airs inou­bli­ables que dans The Lion King, elle n’en reste pas moins très effi­cace et nous réserve aus­si de jolies ballades.

Le renou­veau et les nou­velles ten­dances de Broadway 
Depuis quelques années, Broad­way se renou­velle et s’ou­vre à un nou­veau pub­lic. Déjà bien présents dans le off-Broad­way moins grand pub­lic et beau­coup plus inno­vant, des musi­cals plus con­tem­po­rains et moins con­ven­tion­nels com­men­cent à trou­ver leur place au milieu des grands shows de Broad­way. Rent, avec sa musique rock, ses thèmes abor­dés (drogue, sida, jeunesse dés­espérée), la rus­tic­ité du théâtre et les musi­ciens sur une scène dépouil­lée, reste le sym­bole de ce renou­veau. Dans le même esprit mais dans un autre style, Urine­town bous­cule l’or­dre établi et fait un bien fou.

Urine­town
Un musi­cal bur­lesque qui ne se prend au sérieux tout en dénonçant l’ex­cès de pou­voir tant poli­tique qu’é­conomique et l’asservisse­ment des plus faibles. Imag­inez une ville sor­dide où, en rai­son d’une pénurie d’eau, les habi­tants n’ont plus le droit d’u­tilis­er leur WC et sont oblig­és d’aller se soulager dans un seul et unique uri­noir géré par une entre­prise privée qui pra­tique des tar­ifs pro­hibitifs. Les plus dému­nis qui ne peu­vent pas pay­er sont punis et envoyés de force dans la mys­térieuse Urine­town (ville de l’urine) d’où per­son­ne ne revient… Pas­tiche, par­o­dies, gags, sit­u­a­tions hila­rantes sont au ren­dez-vous dans une mise en scène « car­toonesque », déli­rante et pleine de trou­vailles. Musique enlevée, jazz, swing, gospel. On appré­cie d’au­tant plus la qual­ité des acteurs qu’ils sont très proches du pub­lic, tous de sacrés car­ac­tères qui nous offrent une vraie cure de bonne humeur.

Autre ten­dance dans ce renou­veau de Broad­way : les pop-musi­cals basés sur les chan­sons d’un groupe ou d’un chanteur célèbre. Mam­ma Mia ! (spec­ta­cle très fun et sans pré­ten­tion avec des chan­sons d’AB­BA) con­naît le même suc­cès qu’à Lon­dres. Ouvert plus récem­ment, Mov­in’Out (com­posés de chan­sons de Bil­ly Joël) s’ap­par­ente plus à une revue rock et sem­ble ren­con­tr­er un pub­lic de plus en plus nombreux.