Sur les planches de Paris… et du West End
Bernard Alane est un comédien heureux qui alterne depuis trente ans pièces du répertoire (La mouette de Tchékhov l’an dernier) et comédies musicales façon Broadway (La cage aux folles). « Dans ce métier, on a trop tendance à sectoriser les gens. Du coup, beaucoup de gens ne savent pas dans quelle boîte me mettre. Mais justement, c’est passer d’un genre à l’autre qui est rigolo ». Comédien formé au Conservatoire, il a commencé par chanter d’instinct (dans La vie parisienne quand même !) avant de prendre des leçons quand il est parti travailler en Angleterre. « Là, le niveau d’exigence est si élevé qu’il a bien fallu que j’apprenne. Grâce à mon accent, j’ai pu chanter des rôles de Français dans Can-Can et Bless The Bride ainsi que South Pacific en tournée australienne et thaïlandaise ». Il ne tarit pas d’éloges sur le professionnalisme de ces productions. « C’est merveilleux, on répète pendant deux mois, vous avez un emploi du temps complètement rempli et au bout du compte, vous avez 60 personnes sur scène parfaitement réglées. En France, on prend son temps, c’est souvent plus amateur et on manque cruellement de moyens. Et ici, le mot ‘comédie musicale’ fait encore peur à moins que ça ne fasse référence aux opéras-rock actuels ».
Et pourtant, la comédie musicale, Bernard Alane l’a beaucoup pratiquée en France aussi, en particulier sous la direction d’Alain Marcel : il a ainsi été Capitaine Crochet dans Peter Pan (Fabienne Guyon avait le rôle-titre), Fred Graham dans Kiss Me Kate et Henry Higgins dans My Fair Lady avant de jouer dans La cage aux folles. L’échec de ce dernier spectacle l’a bien sûr affecté « Mais c’était plus un sentiment de colère que de déprime : c’est plus tonique ! Nous [les artistes] ne sommes pas en cause. Il y a eu de gros problèmes de production, et comme toujours en France quand il n’y a pas de stars dans un spectacle, les médias ne nous ont pas soutenus. Vous savez, quand on ne passe pas au 20 heures, on n’existe pas ! On était heureux pendant les représentations mais avant et après, c’était dur ». Quand le show s’est arrêté, il n’avait rien de prévu pour le reste de la saison. « Heureusement, comme tous les gens qui ne font pas de projets, je suis toujours très occupé : justement, c’est à ce moment là qu’Alain Sachs m’a appelé pour me proposer Le sire de Vergy ».
« J’ai trouvé son message sur mon répondeur un vendredi, j’ai lu le texte de la pièce le samedi et le dimanche, je rappelais pour dire : oui. Le texte est tellement fou avec des répliques sublimes, quasiment dadaïstes, et très osées pour l’époque. Et Coucy, c’est un rôle en or que je ne pouvais pas refuser ». D’autant qu’il y a un plaisir jubilatoire pour les membres de la troupe à jouer et chanter sans micro (l’acoustique des Bouffes-Parisiens le permettant). « C’est plus fatigant mais en même temps, c’est plus théâtral ! ».
A Little Sondheim Music
Fidèle à sa philosophie un peu hédoniste de l’existence (« Je laisse venir : la vie me fait un ou deux cadeaux par an, et à chaque fois, il y a de belles choses »), Bernard Alane ne sait pas encore ce qu’il fera après l’arrêt du Sire de Vergy le 3 août. « J’aimerais bien qu’on le reprenne ultérieurement, au moment des fêtes par exemple car c’est confortable de se donner du temps pour entrer dans son personnage. Sinon, je vais commencer à rencontrer des gens pour la rentrée. Mais c’est vrai que j’aimerais bien faire une autre grande comédie musicale ».
Pourtant, face au déferlement des nouveaux projets très médiatisés, il reste assez froid. « Ce n’est pas de la comédie musicale et cela ne m’intéresse pas. D’ailleurs, je ne pense pas que ces productions s’intéressent à moi non plus ! Je pense que le public qui va voir ses spectacles pourrait aimer quelque chose de plus humain, plus théâtral et moins axé show biz. Mais c’est la tendance, même Stephen Sondheim a récemment déclaré que Broadway, c’était fini ! ». Lui se voit bien dans un musical de ce géant de Broadway : « Dans tout ce qu’il a écrit, il y a des rôles pour moi. Hélas, ce n’est pas un compositeur de tubes alors, qui irait produire ça en France aujourd’hui ? Même Lambert Wilson qui en rêve également n’y parvient pas… Quant à moi, j’espère que ma voix tiendra encore le temps qu’il faut pour que je puisse chanter un Sondheim sur scène ! ».
En attendant, Bernard Alane s’offre le luxe de ne travailler que sur les projets qui lui plaisent. Il fait du doublage et a par exemple été la voix du narrateur dans Aladdin (« Nuits d’Arabie ») et de Clopin dans Le bossu de Notre-Dame de Disney. « Je fais de beaux films et cela m’assure un fond de roulement. Ensuite, cela me permet de refuser sur scène tout ce qui ne me ferait pas plaisir. Mon luxe à moi, ce n’est pas la maison de campagne, la piscine ou la grosse voiture, c’est de faire uniquement ce dont j’ai envie ». Avant de conclure : « Voilà, c’est une petite tranche de vie. Vous croyez que ça intéressera vos lecteurs ? ».