Je suis d’abord et avant tout comédien de formation. Je suis issu du Conservatoire d’Art Dramatique de Québec, et je fête d’ailleurs, avec My Fair Lady, mes vingt ans de métier. Pendant onze ans, j’ai travaillé à Québec, où j’ai fondé avec des camarades de classe, quand j’étais encore au Conservatoire, une compagnie de théâtre du nom de « Théâtre Niveau Parking ». Nous avons fait beaucoup de créations avec cette compagnie. J’ai joué aussi dans différents théâtres de Québec au même moment. Pendant ces onze années, je n’ai fait que du théâtre. A Québec, il n’y a pas d’autres sphères d’activité, pour les comédiens, comparativement à Montréal où on peut faire de la télé, du cinéma, du doublage, toutes sortes de choses. Ensuite, j’ai déménagé à Montréal pour faire de la télé et du cinéma.
Comment en êtes-vous arrivé à jouer dans une comédie musicale ?
J’avais fait du théâtre musical en 1987, au Théâtre de Quat’sous. Robert Lepage avait monté Pour en finir une fois pour toutes avec Carmen qui était une parodie de l’opéra Carmen. C’est Sylvie Tremblay qui interprétait le rôle titre, et tous les autres membres de la troupe du Théâtre Niveau Parking se chargeaient des autres personnages. J’étais le Dencaire. Ce fut ma seule expérience de théâtre chanté d’un bout à l’autre de la pièce. Ça n’avait pas été concluant pour les expériences à venir : il aurait fallu que je fasse de la comédie musicale et ce n’était pas une période faste pour le genre. Même si, lors des mes auditions à Montréal, on me demandait parfois d’en passer pour des comédies musicales, je refusais car je ne suis pas chanteur de formation. Quand Denise (Filiatrault) m’a appelé pour me demander de jouer Henry Higgins, j’ai répondu exactement ce que Rex Harrison a répondu quand on lui a demandé de participer à la création de My Fair Lady à Broadway : « Je ne suis pas un chanteur ». Rex Harrison a longtemps hésité avant d’accepter ce rôle. Alors, il avait été envisagé qu’Henry Higgins puisse parler sur ses mélodies, qu’il soit plus un « diseur » qu’un véritables chanteur, et il a accepté. C’est le même phénomène chez moi. J’avais en tête toutes les performances des chanteurs des comédies musicales qu’on voit depuis quelques années et c’est impossible pour moi de soutenir ou d’égaler ce niveau de performance.
Denise m’a fait comprendre que je n’avais pas besoin de chanter, qu’il suffirait que je parle sur la mélodie et que j’aie le rythme pour être capable de le faire. J’ai décidé d’accepter car j’avais envie de relever ce défi. Je me découvre, si ce n’est un talent — je ne voudrais pas être trop présomptueux — un vrai bonheur à chanter. Je le fais avec tellement de joie et d’investissement que, finalement, je suis très heureux. J’ai relevé le défi.
Connaissiez-vous l’oeuvre de George Bernard Shaw avant d’accepter ce rôle ?
Je connaissais Pygmalion pour l’avoir lu et vu au théâtre. Je savais que My Fair Lady était adapté de cette oeuvre. Je trouve que c’est une belle pièce. George B. Shaw est un auteur d’une grande intelligence. Ses dialogues sont savoureux. C’est quelqu’un qui a un regard très pertinent sur la société de son époque. Il a dressé un vrai tableau des écarts entre les pauvres et les riches, les hommes et les femmes. J’ai toujours trouvé que ses textes exprimaient un regard juste et teinté de quelque chose de très moderne. En fait, en présentant cette pièce en 2006, on y retrouve une similitude incroyable avec notre société actuelle.
Quelle perception avez-vous d’Henry Higgins ?
En lisant le texte, on se fait une idée du personnage, mais mon impression générale du film et de l’interprétation de Rex Harrison m’avaient fortement marqué. Je le trouvais extraordinaire mais, en même temps, je me disais que ce personnage avait une véritable vulnérabilité à explorer. Pour moi, c’est un égocentrique, un passionné, un tempérament bouillonnant mais qui peut être aussi très enjoué. Au lieu de tomber dans la tyrannie pure du misogyne et du professeur impitoyable, je le considère comme un être aveugle face à toute émotion. Disons que les sentiments humains, ce n’est pas quelque chose qu’il connait de l’intérieur. Ce que je trouve intéressant, c’est que, confronté à Eliza Doolittle, qui a une grande intelligence du coeur, il est un peu ébranlé et commence à s’ouvrir.
Parlez-nous de votre collaboration avec Denise Filiatrault ?
C’est ma première collaboration avec Denise et, bien sûr, j’avais entendu toutes sortes de choses. Denise a la réputation d’être quelqu’un qui « niaise pas avec la puck », comme on dit en bon québécois (NDLR : « qui aime que les choses bougent rapidement »). Quand elle voit les choses, elle peut aussitôt travailler dessus. Si l’artiste se responsabilise un minimum dans le travail et qu’il propose des choses, qu’il essaie d’atteindre ce qu’elle veut, cela fonctionne très bien. Parfois, ça peut être troublant car elle maîtrise toutes les facettes de la production et tout s’enchaîne très rapidement avec elle. Au bout d’une semaine ou deux, on est prêt pour le spectacle. On ne fait pas toujours nécessairement du travail de détail, scène à scène, mais nous avons la chance de filer le spectacle et de l’assimiler rapidement. Denise a un instinct incroyable, c’est une femme de scène, de spectacle. Elle connaît parfaitement le fonctionnement. Elle est en symbiose avec le public. Je me suis fié à son instinct même si cette façon de faire peut être déstabilisante. Denise, c’est une dynamo, une locomotive ; elle a une énergie incroyable. Si tu lui fais confiance, les choses se passent d’une façon extraordinaire.
Quels sont vos projets après My Fair Lady ?
Je serai très occupé avec My Fair Lady cet été, puis j’ai un projet de film. Il ne reste qu’à voir s’il n’y a pas problème de planning entre la pièce et le film. Si l’on m’offrait la possibilité de passer une audition pour une autre comédie musicale, j’essaierais à nouveau car les derniers commentaires que j’ai eus sont à l’opposé de mes appréhensions. Je pensais que les gens ne verraient en moi qu’un acteur et non un chanteur. Catherine Sénart (Eliza) a une voix extraordinaire, ainsi que Dominic Lorange (Freddy) qui a une formation de chanteur classique. Je ne peux pas me comparer à eux techniquement mais le plaisir que je prends en jouant et en chantant me conforte dans l’idée que, malgré tout, je peux très bien me débrouiller. Si des propositions arrivent, je les considérerai beaucoup plus sérieusement puisque j’ai maintenant l’expérience de ce genre de production.
Le site du spectacle
Du 16 mai au 17 juin (Théâtre du Rideau Vert)
Du 27 juin au 8 juillet (Salle Pierre-Mercure)
Et en tournée au Québec dès le 2 septembre 2006