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Arnaud Cazet — De Regard en Coulisse à Stage Entertainment France

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Arnaud Cazet ©DR
Arnaud Cazet ©DR

Par­lez-nous de la créa­tion de Regard en Coulisse.
Je tra­vail­lais pour Dis­ney Vidéo en 1998. La seule activ­ité qui n’ex­is­tait pas encore dans ce groupe à Paris, c’é­tait le théâtre musi­cal, genre qui me plai­sait. J’avais vu pas mal de spec­ta­cles sur Paris. Je n’y con­nais­sais toute­fois pas grand-chose. Pour par­faire ma cul­ture, je suis allé à Lon­dres et à New York. Un spec­ta­cle m’a par­ti­c­ulière­ment mar­qué. C’é­tait dans le West End, un lun­di soir en avril, lors d’un voy­age de presse pour Dis­ney… Je me suis assis dans un superbe théâtre, la pre­mière par­tie du spec­ta­cle m’a boulever­sé. Lorsque je suis revenu après l’en­tracte, j’ai passé les dernières vingt min­utes de la sec­onde par­tie à pleur­er telle­ment j’é­tais sub­jugué par ce qui se pas­sait sur scène. Les Mis­érables aura été ma pre­mière grande émo­tion de théâtre musi­cal. Tous les gens autour de moi sem­blaient dans le même état. Qua­torze ans après sa créa­tion, le spec­ta­cle était tou­jours au top, avec des artistes aux voix superbes, une troupe au taquet… Tout était par­fait. Devant le théâtre, j’ap­pelle mon ami Sébastien Durand pour lui par­ler de cette émo­tion et du désir que j’ai de tra­vailler dans ce méti­er. Dès mon retour, nous avons envis­agé les choses très prag­ma­tique­ment. Pour se faire con­naître des gens du théâtre musi­cal, Sébastien a pro­posé de créer un jour­nal. Et le sup­port le plus facile — nous n’avions pas un sou — était Inter­net. Nous avons donc créé con­join­te­ment Regard en Coulisse. Le temps de tra­vailler sur le con­cept, de ren­con­tr­er les gens, de com­pren­dre com­ment lancer tech­nique­ment un site : tout cela nous a pris un an et le site a été lancé en mars 1999.

Le lance­ment du site cor­re­spond à l’ap­pari­tion sur scène du phénomène Notre Dame de Paris ?
Tout à fait. Nous avons prof­ité du boom extra­or­di­naire de Notre Dame de Paris pour expli­quer aux lecteurs que d’autres formes exis­taient, y com­pris à Paris, et d’amen­er les gens vers autre chose. C’est pour cela que nous avons dévelop­pé un aspect péd­a­gogique dans le mag­a­zine avec les rubriques « grands créa­teurs », « grandes oeu­vres », pour attis­er tou­jours la curiosité des lecteurs. Le site a très vite recueil­li les suf­frages de la pro­fes­sion. L’équipe s’est étof­fée, et aujour­d’hui le site est devenu une référence en la matière. Pour vous citer un exem­ple, les pre­mières démarch­es de Stage Enter­tain­ment pour s’im­planter ou pas en France ont été faites via Regard en Coulisse…

Dans quelle mesure ?
Sébastien Durand, alors rédac­teur en chef, avait été con­tac­té par un cab­i­net qui enquê­tait sur le marché du théâtre français. Il rédi­geait chaque mois, pen­dant deux ans, une let­tre pro­fes­sion­nelle sur tout ce qui se pas­sait. A par­tir de ce matériel, Stage Enter­tain­ment, jeune société hol­landaise, a appréhendé la façon de s’im­planter dans notre pays, atyp­ique s’il en est en com­para­i­son des marchés nord-européens, davan­tage anglo-sax­ons dans leur manière d’abor­der le musical.

Par­lez-nous de votre parcours.
Je suis resté plus de deux ans à Regard en Coulisse, mais comme je souhaitais trans­former l’es­sai, je me suis totale­ment con­sacré à mon futur méti­er en débu­tant par une for­ma­tion d’ad­min­is­tra­teur de théâtre et de spec­ta­cle. J’ai dévelop­pé mon réseau, ren­con­tré des gens, vécu des expéri­ences divers­es, plus ou moins heureuses. A un moment, j’ai calmé le jeu et suis retourné à la com­mu­ni­ca­tion pour des médias, chez AOL. J’y ai ren­con­tré ma future boss de Stage qui était là en mis­sion pour deux mois. Elle était déjà engagée par Stage et cher­chait à for­mer une équipe. On lui a par­lé de moi comme con­nais­seur de comédie musi­cale anglo-sax­onne. Nous avons échangé, sans que je sache qu’elle fai­sait par­tie de Stage, qui avait déjà racheté Mogador à Jack-Hen­ri Soumère. Le courant est tout de suite passé. Ensuite, quelques semaines se sont écoulées et j’ai passé un entre­tien avec l’équipe hol­landaise de cette entreprise.

Lors de l’en­tre­tien, on m’a posé des ques­tions sur les spec­ta­cles de Lon­dres. J’avais juste­ment passé quelques jours dans le West End pour voir les dernières pro­duc­tions. Je leur ai donc don­né mon avis. Il y avait surtout une ques­tion impor­tante pour eux : com­ment dénom­mer en France une pièce musi­cale ? C’é­tait une ques­tion à laque­lle nous avions longue­ment réfléchi avec Sébastien et que nous avions évo­quée avec l’équipe de Regard en Coulisse, pour tomber d’ac­cord sur le terme « musi­cal » (en le prononçant à la française et pas à l’anglaise). Je l’ai imposé dans toutes les cam­pagnes français­es pour les spec­ta­cles de Stage. Pour nous, c’est syn­onyme d’un style — un orchestre live, un véri­ta­ble livret, des artistes mul­ti tal­entueux — qui doit se jouer dans un vrai théâtre pour dévelop­per une émo­tion, un partage avec le public.

Com­ment se sont passés vos pre­miers moments au sein de Stage ?
Mi-sep­tem­bre 2005, j’in­tè­gre donc l’équipe, je suis le troisième recruté. Nous avons tra­vail­lé d’ar­rache-pied pour lancer Cabaret. Je n’ai jamais vécu, en qua­tre ans, autant de choses pro­fes­sion­nelle­ment que depuis que je suis là. J’adore ça. C’est d’une den­sité incroy­able, tout est basé sur les ren­con­tres humaines. C’est une chance fab­uleuse, d’au­tant que mon poste implique que je sois en rela­tion avec tous les départe­ments, en trans­ver­sal. La richesse du boulot, jamais démen­tie depuis, est de trou­ver sans arrêt de nou­velles choses pour pro­mou­voir un spec­ta­cle. On pour­rait penser que, depuis trois ans et demi que je tra­vaille sur Le Roi Lion, je finis par m’en­nuy­er ? Pas du tout : c’est un défi per­ma­nent, très exci­tant. J’ai gag­né en assur­ance, main­tenant je suis blindé !

Je dois avouer égale­ment qu’il est impor­tant d’être à Mogador, d’avoir la pos­si­bil­ité de voir les gens entr­er dans la salle, chiper un bout de spec­ta­cle de ci, de là… C’est une source d’in­spi­ra­tion. D’ailleurs, quand on a lancé le spec­ta­cle, durant les dix pre­mières dates de « pre­views », on tra­vail­lait de huit heures à minu­it. Pour nous ressourcer, il nous suff­i­sait d’aller dans la salle et enten­dre « Le cer­cle de la vie » pour nous don­ner de l’én­ergie. Je pense que ce numéro pro­duit un effet incroy­able, qua­si mag­ique ! J’aime la forme très pop­u­laire de ce spec­ta­cle, mais qui ne se réduit pas à un pur diver­tisse­ment. Le Roi Lion dis­tille un mes­sage philosophique, la sym­bol­ique est très forte et, qu’on en ait con­science ou pas, tout cela touche le pub­lic directe­ment. Le tra­vail de Julie Tay­mor est vrai­ment extra­or­di­naire. Un grand patron d’Alle­magne de Stage m’avait dit : « chaque soir, les artistes sur scène don­nent leur max­i­mum, alors nous, dans les bureaux, nous devons en faire autant, on ne peut pas être en deçà du niveau des artistes et des tech­ni­ciens qui n’ont pas droit à l’er­reur. »

Quels sont, à ce jour, vos meilleurs souvenirs ?
Dans mon par­cours, me restent en mémoire la pre­mière de Cabaret avec la venue de Liza Min­nel­li, la présence for­mi­da­ble de Sam Mendes pour la 100e, alors qu’il ne s’é­tait jamais déplacé dans aucun autre pays. Il faut dire que la presse était dithyra­m­bique. Toute­fois, ma plus grande émo­tion sur Cabaret c’é­tait lors d’un filage en stu­dio, avant les répéti­tions aux Folies Bergère, avec les artistes qui ont inter­prété l’oeu­vre dans son inté­gral­ité, avec quelques acces­soires. Nous étions très peu, je con­nais­sais l’oeu­vre par coeur et avais un regard un peu froid. Au bout de quelques min­utes, j’é­tais cueil­li, j’é­tais en larmes à la fin du pre­mier acte et c’est à ce moment que je me suis dit que, avec tous ces tal­ents con­jugués au ser­vice d’une oeu­vre, certes améri­caine, mais qui puise ses racines dans l’his­toire européenne, cela ne pou­vait être qu’un suc­cès. J’é­tais rede­venu un spec­ta­teur, ressen­tant un plaisir personnel.

Voyez-vous beau­coup de spec­ta­cles en France ?
La pre­mière année d’ac­tiv­ité, nous étions moins de dix au sein du groupe. Je n’avais pas le temps d’aller voir d’autres spec­ta­cles. Désor­mais, nous sommes bien plus nom­breux et j’ai la pos­si­bil­ité de voir d’autres choses. J’ai eu un coup de foudre pour Lady In The Dark, un bon­heur inté­gral. J’ai hâte de décou­vrir de nou­velles choses. J’ai eu la chance de beau­coup voy­ager et de voir de nom­breux spec­ta­cles à Lon­dres, New York. Mon dernier coup de coeur fut Spring Awak­en­ing. Je suis ravi qu’une pro­duc­tion se monte à Lon­dres : je vais pou­voir y retourn­er facile­ment. C’est du vrai théâtre, une his­toire très puis­sante, une forme qui séduit la jeunesse. J’aigu­ise ma cul­ture et, avec l’âge, je m’aperçois que je suis de plus en plus exigeant.

Et dans vos projets ?
Nous avons présen­té un show case autour de Zor­ro, que vous pour­rez décou­vrir aux Folies Bergère à la ren­trée. Bien enten­du, même si mes acquis sont là, c’est le début d’une nou­velle aven­ture. Il va fal­loir trou­ver de nou­velles idées, de nou­velles formes pour pro­mou­voir et lancer ce spec­ta­cle grand pub­lic, très diver­tis­sant. Un nou­veau défi à relever, c’est tou­jours très motivant.

Quel est votre sen­ti­ment sur Regard en Coulisse aujourd’hui ?
Ce qui est for­mi­da­ble vis-à-vis de Regard en Coulisse, c’est que je ne ressens pas de sen­ti­ment de « pater­nité ». Ce qui nous impor­tait avec Sébastien, c’é­tait que le site vive avec ou sans nous. Je reprends volon­tiers l’im­age de l’en­fant qui doit se débrouiller seul. Alors, à cer­tains moments on se dit qu’il fait des choses que l’on n’au­rait pas faites, à d’autres qu’il invente des choses sur­prenantes aux­quelles nous n’au­ri­ons pas pen­sé… Et puis, je suis ravi de con­stater que l’équipe s’étoffe de jeunes per­son­nes. Votre dernière recrue a 21 ans. Elle avait 11 ans lorsque nous avons créé le site ! En tout cas, le musi­cal est un genre vivant, qui évolue, et c’est le cas de Regard en Coulisse. Avoir tou­jours l’oeil qui frise, rester curieux… Finale­ment, ce qui me plaît, c’est que Regard en Coulisse n’ait pas d’âge !