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Annie Cordy — Sa vie est une comédie musicale !

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Annie Cordy — Sa vie est une comédie musicale !
Annie Cordy ©DR
Annie Cordy ©DR

Elle arrive hilare à notre ren­dez-vous. Elle s’est en effet d’abord trompé d’é­tage et a tam­bour­iné à la mau­vaise porte. L’in­con­nu qui a fini par lui ouvrir n’en est pas revenu d’avoir en face de lui Annie Cordy : « Il croy­ait que c’é­tait pour une caméra cachée, rit-elle encore, et il en a au moins pour une semaine à avaler ça ». Depuis presque 50 ans qu’elle a passé les Ardennes pour devenir la plus française des Belges et inverse­ment, son entrain est légendaire dans la pro­fes­sion. Toute petite déjà, pen­dant la guerre, Léonie Coore­man distrayait par ses chan­sons les sol­dats belges en gar­ni­son. De gala de bien­fai­sance en radio-cro­chet, celle qui se rebap­tise Annie Cordy fait mon­tre de toute l’é­ten­due de son tal­ent. Elle devient meneuse de revue, chanteuse, comé­di­enne, bref, une véri­ta­ble show-woman : « J’au­rais bien aimé tra­vailler aux Etats-Unis parce que j’ai cette dis­ci­pline de fer que j’ai apprise à une époque où arriv­er cinq min­utes en retard, c’é­tait per­dre un quart de son cachet. On fai­sait onze spec­ta­cles par semaine alors ! Les musi­ciens me dis­ent tou­jours ‘Annie, tra­vailler avec toi, c’est pas du nougat’ mais je sais qu’après moi, ils peu­vent aller avec n’im­porte qui parce que je suis ter­ri­ble », confesse-t-elle.

Elle con­naît en effet le sens du mot exi­gence. « Je suis une dingue du tim­ing et de l’esthé­tique. Si je vois un comé­di­en entr­er en pli­ant les genoux, il faut qu’il ait un tal­ent mon­stre pour réus­sir à m’avoir » ! Pour le spec­ta­cle qu’elle a créé à l’Olympia l’au­tomne dernier et avec lequel elle tourne en ce moment, elle a ain­si beau­coup tra­vail­lé sur le con­cept et la mise en place « Ca a été un vrai casse-tête. Si on fait se suiv­re deux numéros comiques par exem­ple, une chan­son risque de manger l’autre. Et puis, je voulais un début, de bonnes tran­si­tions et une fin comme savent le faire les Améri­cains. Quand je suis assise sur un fau­teuil au théâtre, je veux avoir l’oeil aus­si occupé que l’or­eille. C’est la même chose que je veux don­ner à mon pub­lic ».

Il était logique que celle qui a chan­té « Ma vie est une comédie musi­cale » se con­fie à Regard en Coulisse sur sa car­rière sur les planch­es même si « ma pre­mière dis­ci­pline, mon enfant chéri, ça reste le tour de chant. Etre seule en scène avec mes musi­ciens, c’est for­mi­da­ble, c’est le bon­heur total ».

Elle a quand même neuf grandes comédies musi­cales à son act­if. « Opérette, comédie musi­cale : appelez ça comme vous voudrez, on ne va pas faire de racisme ! Les ingré­di­ents sont plus ou moins les mêmes. Bon, c’est vrai que dans les opérettes de la grande époque, le fil rouge était plutôt mince alors que dans la comédie musi­cale améri­caine, les his­toires tien­nent debout sans la musique ». Et de rap­pel­er que West Side Sto­ry sans la musique, c’est Roméo et Juli­ette… « Et si vous ajoutez des chan­sons à La marieuse, ça devient Hel­lo, Dolly ! ».

Ah, Dol­ly ! Cette comédie reste sans doute son plus grand tri­om­phe sur scène. Un mer­veilleux sou­venir qui a pour­tant bien fail­li ne jamais devenir réal­ité. Michael Stew­art, l’au­teur du livret, est venu la voir à Paris pour la con­va­in­cre de créer le rôle en France. « Je ne con­nais­sais pas la pièce mais après l’avoir lue, j’ai dit non. Vous com­prenez, à l’époque, j’avais l’habi­tude qu’on écrive pour moi, alors ça ne m’in­téres­sait pas de jouer une pièce écrite pour une autre. Comme on est bête quand on est jeune ! », dit-elle dans un nou­v­el éclat de rire. Heureuse­ment, ses amis insis­tent, elle finit par fléchir… et elle ne l’a jamais regret­té depuis. « Michael m’a dit de ne surtout pas regarder le film Hel­lo, Dol­ly ! avec Bar­bra Streisand, que ce n’é­tait pas du tout comme ça qu’il fal­lait envis­ager le rôle. Je lui ai obéi toutes ces années. Vous croyez que je peux enfin le voir, main­tenant ? ». Jouer Dol­ly Levi, cette femme qui con­sacre sa vie à faire le bon­heur nup­tial des autres avant de s’in­téress­er au sien, a été un vrai bon­heur. « Pensez donc ! C’é­tait la pre­mière comédie musi­cale améri­caine à Mogador, un tem­ple de l’opérette vien­noise. On a tenu huit mois avant de com­mencer la pre­mière de trois tournées. Ca a été mon­té divine­ment à chaque fois. C’é­tait vrai­ment for­mi­da­ble ».

Un autre rôle musi­cal qui lui colle à la peau, c’est bien sûr celui de l’héroïne de Nini la Chance. « C’é­tait le titre d’un arti­cle qu’une jour­nal­iste de France Soir, Jacque­line Carti­er, avait fait sur moi. Quand Jacques Mareuil (le libret­tiste et paroli­er) a com­mencé à tra­vailler sur cette his­toire de jeune femme amoureuse pen­dant la 2e Guerre Mon­di­ale, il lui a demandé si elle voulait bien nous céder son titre… ce qu’elle a fait parce qu’elle est adorable ». Elle regrette que cette comédie musi­cale française ne soit pas mon­tée plus sou­vent : « Moi, je n’ai plus l’âge mais per­son­ne ne veut plus le faire parce qu’on pense que le rôle me colle telle­ment à la peau ». Pour autant, le per­son­nage de Nini n’est pas le dou­ble d’An­nie… « Elle sait tou­jours ce qu’elle veut, et pas moi. Ma chance dans l’ex­is­tence, c’est d’avoir tou­jours été entourée de gens qui m’ont poussé à faire des choses. Je ne suis pas car­riériste du tout ».

Nini la Chance lui aura en tout cas per­mis de créer sa chan­son emblé­ma­tique, « Ca ira mieux demain ». « C’est une bouf­fée d’e­spoir. Que peut-on dire de mieux quand on a des prob­lèmes ? Quand j’at­taque cette chan­son, je ne parviens jamais à la finir toute seule ! Le pub­lic la reprend en choeur… C’est comme un hymne à l’e­spoir qui tra­versera le temps. On le chantera encore quand je ne serai plus là ».

Elle chas­se d’un geste impa­tient (Annie ne con­naît pas les ver­tus de la patience) cette bouf­fée de nos­tal­gie pour pré­cis­er qu’elle aime toutes ses chan­sons même celles qui appar­ti­en­nent à une veine moins sérieuse : « Cho Ka Ka O », « Tata Yoyo » et bien sûr le cultissime « La bonne du curé ». Un titre qu’il lui a pour­tant fal­lu batailler pour impos­er : « Per­son­ne n’y croy­ait. Heureuse­ment, le directeur de Sony France avait l’habi­tude de dire à Bruno, mon mari, ‘Annie fait ce qu’elle veut dans la mai­son’… » Résul­tat : près de deux mil­lions de dis­ques à une époque où les chiffres de vente n’at­teignaient pas les som­mets actuels. « D’habi­tude, les gens con­nais­sent les refrains de mes chan­sons mais là, ils chantent par coeur tout au long de ‘La bonne du curé’ ! Je dis tou­jours à mes musi­ciens de baiss­er le vol­ume pour que j’en­tende chanter le pub­lic. Ca me fait plaisir quand des grands gail­lards de 30 ans vien­nent me trou­ver pour me dire qu’ils ont gran­di avec moi. C’est un régal d’en­ten­dre ça ! »

Sa vis com­i­ca est donc intacte après tout ce temps et elle en est fière. « Je ne com­prends pas ces gens qui renient les chan­sons qui ont fait leur suc­cès. Moi, si je n’avais pas chan­té ‘La bonne du curé’, je ne serais pas là ! ». Elle assume.

Aujour­d’hui, après quelques années en demi-teinte où elle a dû réap­pren­dre à vivre sans son mari, Bruno, son grand amour dont elle par­le tou­jours avec un vibra­to dans la voix, elle est à nou­veau très active. Elle vient de pub­li­er ses mémoires, a enreg­istré un disque de chan­sons de Broad­way, et emmène son spec­ta­cle en tournée. Mais on aimerait bien la revoir dans une comédie musi­cale. « Nous tra­vail­lons sur ce pro­jet de Madame Rosa, con­firme-t-elle. Gilbert Bécaud a écrit de très belles musiques, Claude Lemesle a fait les lyrics et Didi­er van Cauwe­laert a mer­veilleuse­ment adap­té le roman d’A­jar. C’est un si beau rôle, à la fois très poignant et dro­la­tique, comme la vie quoi ! ». Mais elle ne sait pas pour le moment quand cela abouti­ra. « Je ne suis pas pressée, ça se fera quand ça se fera, je suis assez fatal­iste ». De toute façon, ce pro­jet lourd néces­sit­era une copro­duc­tion avec un ou plusieurs théâtres de province. Elle a l’habi­tude des tournées et cela ne lui fait pas peur. « Ce n’est pas juste que les provin­ci­aux doivent tou­jours venir à Paris pour voir des spec­ta­cles. Nous devons aller vers eux. C’est tou­jours une ren­con­tre for­mi­da­ble ».

Il est vrai que son pub­lic, ses « Cordistes », appré­cie sa grande acces­si­bil­ité. « Mais c’est nor­mal, je n’ai pas besoin de gardes du corps quand même. J’ai tou­jours été comme ça, je ne vais pas chang­er aujour­d’hui. Dans la rue, les gens me dis­ent ‘Bon­jour Annie’ et je leur réponds ‘Bon­jour, ça va?’. Mes amis me deman­dent si je les con­nais. Bien sûr que non mais puisqu’ils me dis­ent bon­jour, je ne vais pas leur répon­dre d’aller se faire voir. Non mais ! ».

Annie Cordy a eu une belle vie, faite, comme toute les vies, de grands et de petits bon­heurs et de quelques moments moins agréables. Et si elle avait une leçon à trans­met­tre, ce serait celle ci : « Il faut faire ce méti­er sérieuse­ment mais sans jamais se pren­dre au sérieux. Quand je tra­vaille, il n’y a pas plus pro­fes­sion­nelle que moi. Qu’on n’aille pas penser que je suis tou­jours la rigolote de ser­vice ! Mais en même temps, je sais quelles sont les vraies pri­or­ités et ma vie privée a tou­jours été plus impor­tante que tout le reste. Mais mes ‘Cordistes’, ça fait 50 ans que je les traîne et ça fait 50 ans que j’ai de la veine… Alors, s’ils n’é­taient pas là, je n’y serais pas non plus ».

Si d’aven­ture, on sonne un jour à votre porte sans s’an­non­cer, ouvrez : c’est peut-être la recette de la bonne humeur et de la gen­til­lesse qui se trou­ve sur le palier !

9 opérettes et comédies musicales
La route fleurie (1952) de Ray­mond Vin­ci et Fran­cis Lopez, avec Georges Gué­tary et Bourvil.
Tête de linotte (1957) de Ray­mond Vin­ci et Fran­cis Lopez, avec Jean Richard.
Visa pour l’amour (1961) de Ray­mond Von­ci et Fran­cis Lopez, avec Luis Mariano.
Ouah ! Ouah ! (1965) de Michel André, Max François, Eti­enne Lorin et Gaby Wagenheim.
Pic et pioche (1967) de Ray­mond Vin­cy, Jacques Mareuil et Dar­ry Cowl.
Indi­en vaut mieux que deux tu l’auras (1970) de Jacques Mareuil, Jean le Poulain, Jean Marsan, Armand Can­fo­ra et Joss Baselli.
Hel­lo, Dol­ly ! (1972) de Jer­ry Her­man et Michael Stew­art, adap­ta­tion française de Marc Cab, Jacques Col­lard et André Hornez.
Nini la Chance (1976) de Jacques Mareuil et Georges Liferman.
Envoyez la musique (1982) de Jacques Mareuil et Gérard Gustin.