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Alexis Kune : le klezmer et la comédie musicale

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Alexis Kune : le klezmer et la comédie musicale

Alex­is Kune, présen­tez-nous cet album.
L’album To tantz or not to tantz se veut une invi­ta­tion au voy­age au cœur de la musique klezmer. Un album au son et au réper­toire résol­u­ment tra­di­tion­nels, puisés aux sources de dif­férents styles de la musique klezmer, nous entraî­nant de l’Ukraine aux Etats-Unis en pas­sant par la Roumanie, la Mol­davie, la Pologne… Pour accentuer cette dimen­sion de trans­mis­sion, un invité excep­tion­nel sur l’album : Haïm Lip­s­ki – sur­vivant de l’orchestre d’Auschwitz qui à 90 ans a réal­isé sur disque son pre­mier enreg­istrement. Haïm chante en yid­dish la chan­son : « Vay­lu d’Itzikh Manger » accom­pa­g­né par les Mentsh. Il joue égale­ment de l’al­to tan­dis qu’Anouk Grin­berg se fait la voix des vers chan­tés par celui-ci en yid­dish. Il donne à enten­dre l’expression de l’un des derniers déportés, à tra­vers une chan­son au des­tin lui aus­si sin­guli­er. C’est Arthur H qui per­met d’en mesur­er toute la portée, quand il inter­prète la chan­son de la comédie musi­cale Mary Pop­pins : « Chem Chem­inée » ; chan­son elle-même large­ment inspirée de « Vay­lu ». Trois généra­tions de musi­ciens se répon­dent, per­pé­tu­ant la tra­di­tion des musiques en dias­po­ra et abat­tant les fron­tières. Une manière de porter au plus haut la vital­ité des cul­tures juives et d’en per­me­t­tre l’appropriation par tous !

Qu’est-ce que le klezmer ?
Le klezmer est la musique tra­di­tion­nelle des Juifs ashkénazes (venus d’Europe cen­trale et de l’Est).
 Ce terme vient de l’association des mots hébreux « Klei » et « Zemer » qui se traduit par instru­ments de musique et désigne à la fois un groupe informel de musi­ciens (appelés aus­si klez­morim) et un style musi­cal.  Quand ils n’exerçaient pas d’autres métiers, les klez­morim étaient prin­ci­pale­ment des musi­ciens itinérants. Ils se déplaçaient de vil­lage en vil­lage jouant de la musique tra­di­tion­nelle pour ani­mer les fêtes et les mariages, des chan­sons et dans­es folk­loriques, des hymnes solen­nels avant la prière. De manière générale, le klezmer puise ses sources aus­si bien dans les chants pro­fanes et les dans­es pop­u­laires que dans la « khaz­anut » (liturgie juive) et les « nigu­nims », ces mélodies sim­ples par lesquelles les « Has­sidim » ten­taient d’approcher D… dans une sorte d’extase com­mu­nau­taire. En somme, le klezmer se nour­rit de toutes les musiques des contrées où s’est trou­vé le peu­ple juif et aux­quelles il a ajouté sa sensibilité.

Quels sont les liens entre le klezmer et la comédie musicale ? 
La langue par­lée des ashké­nazes est le yid­dish. C’est une musique de dias­po­ra.  Lorsque les juifs ont été chas­sés de leur pays d’origine par les pogroms (per­sé­cu­tions) qu’ils subis­saient beau­coup d’eux ont émi­gré aux Etats-Unis. Le rôle que les artistes juifs émi­grés ou fils d’immigrants ont joué dans la comédie musi­cale améri­caine est con­sid­érable. Il suf­fit de citer les nom de Joseph Rumshin­sky, Sholem Segun­da (qui a écrit la célèbre chan­son : « Bay mir bis­tu sheyn ») par­mi les pre­miers ; Irv­ing Berlin, George Gersh­win et Léonard Bern­stein par­mi les sec­onds. Après que deux mil­lions et demi de Juifs d’Europe ori­en­tale eurent émi­gré vers les Etats-Unis, l’Immigration Act Reed-John­son de 1924 met un terme à cet afflux. Les immi­grants avaient apporté une cul­ture qui com­pre­nait sa pro­pre langue, le Yid­dish ain­si que sa musique et des tra­di­tions théâ­trales fort anci­ennes tels que les jeux de Pourim (Purimsh­piel).

L’Ukrainien Abra­ham Gold­faden (1840–1908) avait réu­ni dans un genre nou­veau, le théâtre musi­cal yid­dish, qu’il avait dévelop­pé durant plusieurs décen­nies en Ukraine, Roumanie, Pologne et en Russie. Cer­taines de ses œuvres proches de l’opéra, s’inspiraient de thèmes bibliques comme Les Dix Com­man­de­ments. Après la Pre­mière Guerre Mon­di­ale, la vogue de chan­sons yid­dish et des airs klezmer con­nut de nou­velles méta­mor­phoses grâce notam­ment à Irv­ing Berlin (1888–1989), le huitième enfant d’un can­tor de Biélorussie. Irv­ing Berlin a com­posé plus de 700 mélodies par­mi lesquelles : « God Bless amer­i­ca », « White Christ­mas » et « East­er Parade » qui font par­tie du réper­toire améri­cain d’inspiration chré­ti­enne. Il a été le com­pos­i­teur de chan­sons pop­u­laires les plus pro­lifique des Etats-Unis col­lab­o­rant avec les Marx Broth­ers, Fred Astaire ou encore Bing Cros­by. L’apport à la vie musi­cale améri­caine de beau­coup d’autres musi­ciens juifs orig­i­naire de Pologne ou d’Europe cen­trale était surtout ori­en­té surtout vers la chan­son pop­u­laire, le théâtre et la comédie musicale.

Sur des sujets voisins du klezmer et de la comédie musi­cale, nous pou­vons rap­pel­er que le Chanteur de jazz, pre­mier film de ciné­ma par­lant sor­ti en 1927 retrace l’histoire du fils d’un chantre de syn­a­gogue qui devient chanteur de jazz dans un night club avant d’être propul­sé sur les scènes de Broad­way. Le lien entre la cul­ture juive et ce film musi­cal sont évi­dents.  De plus, la musique klezmer a beau­coup puisé ses sources dans la tra­di­tion can­to­ri­ale que les musi­ciens entendaient à la syn­a­gogue, ces mêmes chants que nous enten­dons dans le Chanteur de Jazz. Dans un passé plus récent, nous pou­vons aus­si bien-sûr par­ler du lien évi­dent entre la chan­son « Chem Chem­inée » de Mary Pop­pins (1964) dont la mélodie com­posée par les frères Sher­man est très large­ment inspirée de « Vay­lu », une chan­son yid­dish com­posée sur un poème d’Itzhik Manger.

Sur notre album To tantz or not to Tantz , nous avons tenu à met­tre ce lien en évi­dence pour mon­tr­er la manière dont la comédie musi­cale puise sou­vent ses sources dans les musiques tra­di­tion­nelles.  Tout cet aspect est mis en musique dans un tryp­tique que nous avons mon­té entre Anouk Grin­berg et Haïm Lip­s­ki qui chantent « Vay­lu » pour la par­tie tra­di­tion­nelle yid­dish et Arthur H qui répond immé­di­ate­ment avec « Chem Chem­inée » pour l’aspect comédie musicale.

Quel est votre regard de musi­cien sur le monde de la comédie musicale ?
Nous sommes avant tout musi­ciens, c’est vrai, mais cha­cun de nos con­certs nous les vivons comme des spec­ta­cles mêlant musique, danse, his­toire de notre cul­ture, humour. Nous deman­dons beau­coup de par­tic­i­pa­tion du pub­lic pour créer une inter­ac­tion et que le con­cert soit une sym­biose avec nos spec­ta­teurs. Nous cher­chons avant tout à racon­ter une his­toire. Pour créer cela, nous nous inspirons par­fois des comédies musi­cales où tous les arts de la scène sont présents. Nous aimons voir dans la comédie musi­cale com­ment le théâtre, la musique et la danse se ren­con­trent et se mêlent dans des décors qui nous trans­portent et créent un ailleurs. Nous préférons en général les comédies musi­cales dont le sujet se passe à New York comme West Side Sto­ry ou On The Town dont la musique a été écrite par Léonard Bern­stein. Nous avons un lien par­ti­c­uli­er avec Un Vio­lon sur le toit que nous avions mon­té aux Etats-Unis il y a cinq ans dans un lycée de l’Etat de Wash­ing­ton. Ce fut une expéri­ence de melt­ing pot  inou­bli­able. Les mem­bres de la troupe étaient Viet­namiens, Chi­nois, Noirs…. Ils venaient de partout et ça a super bien fonc­tion­né. Nous étions là comme  musi­ciens et con­sul­tants cul­turels spé­cial­isés dans la cul­ture yid­dish. On a beau­coup tra­vail­lé et on s’est aus­si beau­coup amusé dans ce projet.

Par­lez-nous de Haïm Lip­s­ki : qui est-il ?

Né en 1922 à Lodz, Haïm Lip­s­ki est attiré par la musique dès son enfance. Rapi­de­ment, il com­mence l’étude du vio­lon et assiste avec avid­ité à divers con­certs comme ceux d’Arthur Rubin­stein. Il pro­gresse rapi­de­ment mais la guerre et la per­sé­cu­tion des Juifs polon­ais vont subite­ment chang­er la donne. Dès 1940, il intè­gre l’orchestre du ghet­to de Lodz alors qu’il a à peine dix sept ans. Deux ans plus tard, alors qu’il est pris­on­nier à Auschwitz, il est audi­tion­né et sélec­tion­né pour faire par­tie de l’orchestre du camp. C’est encore grâce au vio­lon qu’il va sur­vivre jusqu’en 1945 alors qu’il est envoyé à Dachau. Dans les derniers jours de la « marche de la mort », il parvient à s’échapper  et trou­ve refuge dans une petite ville bavaroise. Il y reste quelques années avant de par­tir s’installer en Israël. Aujourd’hui, Haïm Lip­s­ki a 90 ans et la plu­part des mem­bres de sa famille (enfants et petits-enfants) sont musi­ciens pro­fes­sion­nels que cela soit en France, Israël, aux Etats-Unis ou encore en Bel­gique. Récem­ment, le spec­ta­cle : Haïm, à la lumière d’un vio­lon lui a été con­sacré. Ce spec­ta­cle est joué entre autres par le vio­loniste Naa­man Sluchin (petit-fils de Haïm Lip­s­ki) et par le duo Mentsh et sera repris à la salle Gaveau à par­tir de décem­bre 2012.

Avez-vous des pro­jets de spec­ta­cle autour de cette musique ?

Les pro­jets de spec­ta­cle ne man­quent pas. Nous don­nons habituelle­ment une soix­an­taine de con­certs par an. Ces con­certs-ren­con­tres comme on les appelle sont un moyen de faire décou­vrir la musique klezmer au pub­lic. Nous expliquons notre tra­di­tion, d’où vient notre musique… avant de jouer chaque morceau. Ces con­certs sont présen­tés sous forme humoris­tique. Nous faisons par­ticiper le pub­lic en leur mon­trant cer­tains rythmes klezmer de forme très ludique. Nous jouons aus­si bien dans les fes­ti­vals, que dans les salles de spec­ta­cle ou les cafés. Notre but est de partager cette musique avec le pub­lic le plus large possible.
Par ailleurs, nous don­nons des con­férences sur la musique klezmer dans les musées et les uni­ver­sités,  des mas­ter class­es de musique et de danse dans les con­ser­va­toires (Alex­is  est aus­si réputé comme danseur klezmer). Nous ani­mons aus­si des bals. Pour l’instant, notre énergie se focalise sur le spec­ta­cle Haïm, à la lumière d’un vio­lon dont nous avons par­lé plus haut. Après la salle Gaveau à Paris, nous par­tirons en tournée.

Vous pou­vez vous pro­cur­er l’al­bum via ce lien pour la ver­sion physique et aus­si sur les plate­formes numériques.

nb : To tantz or not to tantz est une copro­duc­tion entre le duo Mentsh et le label cten­boite de Lau­rent Jarry