Comment avez-vous rencontré Jérôme Savary ?
Ma rencontre avec Savary, c’est une histoire dont je suis assez fier. Je prenais des cours de chant avec Christiane Legrand. A l’époque, c’était un peu ma bonne fée. Elle essayait de me faire rencontrer des gens, de me faire avancer. Elle était prof à Chaillot et elle allait jouer dans le spectacle. C’est comme ça qu’elle m’a obtenu un rendez vous avec Savary. Il s’agissait vraiment d’auditions privées. Je suis donc allé au rendez-vous au bureau de Savary et tout de suite il me dit: « je suis désolé mais il ne me reste plus qu’un rôle de G.I américain, alors ça ne va pas être possible ». Moi, immédiatement, je lui dit avec l’accent: « mais je suis Américain ! ». J’ai quasiment forcé la porte de son bureau, j’ai poussé les meubles et je me suis mis à chanter et danser un truc que j’avais préparé. J’avais vraiment la rage. J’ai joué la comédie pendant un long moment, en faisant semblant de ne pas trouver mes mots en français. Mon numéro lui a plu. Il a fait venir son équipe. Quand il a compris que c’était du bluff, ça lui a encore plus plu. Il n’y avait plus de place dans le spectacle mais il m’en a trouvé une. Ce qui est drôle, c’est que pendant des mois, l’attaché de presse de Chaillot a continué à me parler en anglais. Aujourd’hui, je n’oserais plus faire un truc pareil.
Quel souvenir gardez vous de la première mouture de Zazou, treize ans après ?
Un super souvenir ! C’est marrant parce que s’il y a un spectacle que je rêvais de refaire, finalement, c’était bien celui-là. Pendant un an, je n’ai jamais vécu une si bonne entente. Il y avait des gens que j’adorais, et que j’adore toujours comme Michel Dussarat ou Ariane Pirie. C’était une ambiance de famille, ce qui est très rare. Et puis je trouve que c’est un spectacle qui a une vraie valeur. C’est joyeux et enlevé mais il y a quelque chose dedans. Il s’agit d’une fresque sur des faits réels avec un fond politique et qui gratte là où ça fait mal. Je suis toujours content quand on peut mêler le théâtre avec la musique et le chant, quand on peut aller plus loin que le divertissement pur.
Aviez-vous retravaillé avec Savary avant cette reprise ?
Non, jamais. Il se trouve qu’il a eu envie de remonter le spectacle. Il m’a donc recontacté pour voir si j’avais changé ou pas. A la toute première audition, il m’avait déjà dit qu’il me verrait bien dans le rôle principal. C’est un autre comédien qui devait jouer le rôle. Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé mais, finalement, le comédien est parti et j’ai pris sa place.
Vous étiez presque débutant lors du premier Zazou. Aujourd’hui vous êtes un véritable pilier du théâtre musical parisien. Vos rapports avec l’équipe ont-ils changé ?
Non, pas spécialement. Les choses se sont faites naturellement. Disons qu’à l’époque, j’avais tendance à regarder les gens très en dessous, à établir un rapport un peu enfantin avec eux. Aujourd’hui, je pense plus à défendre quelque chose et moins à plaire.
La dernière fois que nous vous avions rencontré, vous démarriez l’aventure Sept filles pour sept garçons.
Ca aussi, c’est un super souvenir! Ca faisait plaisir de travailler avec une équipe aussi professionnelle. Le metteur en scène faisait vraiment les choses en harmonie avec le chorégraphe, le costumier, le directeur musical. Il y avait, de nouveau, une très bonne ambiance. Mais ça n’a pas marché.
Parlez-nous de L’air de Paris que vous avez joué aux côtés de Patrick Dupont.
Alors là, franchement, c’est un mauvais souvenir. Je crois que c’est par Sept filles pour sept garçons que je suis arrivé sur ce spectacle parce que le metteur en scène et le producteur m’avaient vu là-dedans, de même qu’Olivier Bénard. En fait ce n’était pas ce à quoi je m’attendais. C’étaient des chansons qui me plaisaient mais je pensais qu’il allait y avoir un travail théâtral différent. Là, c’était très « revue » et je ne me sentais vraiment pas au mieux de ce que je pouvais faire. J’ai l’impression que je n’étais pas la bonne personne. J’ai eu beau faire des efforts, je n’ai jamais été très heureux sur ce spectacle.
Vous avez ensuite intégré la troupe de Vincianne Regattieri, votre ancienne collègue de Hair à Mogador, pour La Tempête de Shakespeare.
C’était pratiquement en même temps. Je répétais La Tempête la journée et je jouais L’Air de Paris le soir. C’est une très belle expérience de travailler avec quelqu’un qui a la passion et l’énergie de Vincianne. Tout à coup, on était emmené dans cette énergie qu’elle dégageait. Je pensais que répéter la journée en jouant le soir ça allait être éprouvant. Au contraire, ça a été régénérant. Mais l’expérience a aussi été difficile parce qu’on s’est retrouvé avec un décor qu’on n’a pas pu utiliser dans des conditions optimales. C’était une sorte de grand bateau. Il aurait fallu qu’on ait le public autour de nous. La plupart du temps, on était dans un vrai théâtre, comme au Sylvia Monfort, où les gens étaient très loin. Ca m’a demandé beaucoup d’efforts mais c’était encore une super équipe ! Travailler de nouveau avec eux, je ne demande que ça !
Votre parcours est essentiellement jalonné d’oeuvres musicales. La Tempête, même si l’approche en était également très musicale, est une vraie « pièce de théâtre » classique. C’était nouveau pour vous ?
En fait, j’ai commencé par le théâtre. J?étais élève au Conservatoire d’Art Dramatique de Lausanne. Il y avait des cours de chant. Par plaisir, j’ai commencé à en faire et puis ça m’a vraiment accroché. Je suis ensuite venu à Paris pour faire du théâtre mais je pense que j’avais besoin de plus de maturité comme comédien et je ne trouvais pas le cours qui me convenait. Là, j’ai repris le chant puis je me suis mis à la danse et l’acrobatie. Mon premier spectacle, Cats, était une comédie musicale mais Zazou a été ma première expérience avec un texte. Je ne serai jamais complètement danseur et acrobate mais j’adore jouer et chanter en utilisant tout ce que j’ai appris.
Mais dans Cats, vous étiez un vrai danseur !
J’étais une grosse arnaque ! J’avais juste deux ans de formation derrière moi. Alors je trichais. Dès qu’il y avait un truc très difficile à faire, je faisais semblant d’avoir un problème avec ma chaussure ou quelque chose comme ça. Quand on s’est retrouvé à la première vraie répétition, la dance captain m’a regardé avec des yeux écarquillés en me demandant « qu’est-ce que c’est que ça ? ». J’étais loin d’avoir le niveau technique des autres. Ca l’a fait quand même parce que je chantais et puis il y avait des choses plus acrobatiques que vraiment dansées alors je m’en sortais bien comme ça. De toute façon, je n’étais que doublure.
Vous avez fait partie de deux énormes productions montées précisément sur le modèle anglo-saxon, Cats et Les Misérables. Ces deux spectacles sont d’autant plus cultes et légendaires qu’il n’y a pas eu, depuis, de productions de cette envergure à Paris. Quel regard portez-vous là-dessus aujourd’hui ?
Les productions étaient différentes. Cats c’était mi-américain, mi-hollandais. Ca n’était pas vraiment monté par les créateurs du spectacle à Londres. Il y avait Gillian Lynne, la chorégraphe originale mais on n’a vu ni Trevor Nunn, le metteur en scène, ni Andrew Lloyd Webber, le compositeur, ni Cameron Mackintosh, le producteur original.
Donc c’est surtout avec Les Misérables que j’ai connu ce véritable exemple de professionnalisme à l’extrême qui peut, parfois, nous manquer ici. Il y a d’abord un vrai respect de la production pour les artistes. Au cours des auditions, par exemple, Mackintosh vient s’excuser auprès du candidat quand il doit sortir téléphoner. J’ai jamais vu ça en France où les producteurs, avec leur gros cigares, entrent et sortent sans arrêt pendant qu’on chante. Sinon, le truc super c’est de s’être offert le luxe, pendant une semaine, de travailler juste sur les motivations pour former un groupe, et pas sur le spectacle lui même. Ce n’était pas une création, mais le travail de mise en scène était quand même tout en finesse.
Le désavantage de ce genre de production, c’est que c’est une immense machine. On sent qu’on n’en est qu’un rouage facilement remplaçable. En France, il y a un culte de l’individualité qui a plein de défauts mais qui me plaît quand même. Là, il fallait rentrer dans un moule. Il y avait plusieurs doublures par personnage et, souvent, on nous demandait de reproduire quelque chose.
La production parisienne des Misérables à Mogador possédait pourtant un vrai supplément d’âme par rapport à la version londonienne, déjà magnifique.
C’est vrai que quand je pense aux membres de la troupe, par exemple à Louise Pitre (Fantine) ou Stéphanie Martin (Eponine), ce qu’elles faisaient de leur personnage dépassait vraiment le cadre de la copie. La première fois qu’on a fait la scène des barricades, tout le monde pleurait ! C’était encore le cas à la dernière. Nous avons joué une saison. A Londres, ça se joue depuis des années. La distribution change mais je crois que c’est difficile de rester investi plus de deux ans dans un spectacle en gardant toujours la même niaque. En tant que comédien, on est quand même fait pour explorer. Dès que ce métier devient trop synonyme de sécurité, j’imagine qu’on s’amollit.
Venons-en à votre prochain projet : Créatures.
Ca fait des années que je prépare ce spectacle. On a écrit Créatures en 1998. Puis, on l’a joué à New York et à Dublin, en 199. C’est de retour de Dublin que j’ai commencé à bosser sur la version française. Il a fallu tout ce temps là pour la faire puis pour organiser des showcases. La recherche du théâtre à Paris nous a pris un an.
Pouvez-vous définir le spectacle en quelques mots ?
C’est l’histoire d’une bande de monstres échappés du cerveau d’un homme et qui profitent d’être sur scène pour faire leur show, pour chanter leurs problèmes et dévoiler leurs propres démons. C’est donc une galerie de monstres qui se donnent en spectacle de manière délirante et politiquement incorrecte. A la base, j’étais happé par cet univers de trucs un peu monstrueux et macabres. Avec le compositeur, on a juste cherché à faire des chansons. On en a fait deux dans ce sens là et je me suis dit autant faire carrément un spectacle. Pour moi, l’intérêt, c’était de faire le lien entre les créatures mythiques de l’horreur et leur résonance en nous, de chercher d’où vient notre fascination pour les vampires ou pour les loups-garous.
Il y a cinq comédiens. Patrick Laviosa et Ariane Pirie étaient déjà sur le spectacle à New York. A Dublin, j’ai écrit un rôle pour Liza Michäel. Par contre, Ariane n’a pas fait Dublin parce qu’elle jouait avec Alfredo Arias. Sur Paris, le nouveau c’est Christophe Bonzom que j’avais vu chanter au Théâtre de la Ville. Quand je l’ai vu, j’étais sous le charme mais c’est plus tard, quand je cherchais le personnage, qu’on m’a reparlé de lui et il a bien voulu le faire.
De quoi rêvez-vous pour Créatures ? Mogador ? Broadway ?
C’est un spectacle que j’ai voulu intimiste. Je suis plus amateur, en réalité, des shows off Broadway que ceux de Broadway. J’aime bien ce côté un peu underground. J’aime aussi le familial mais pour ce spectacle, j’ai envie de quelque chose de plus petit. Mon but suprême, ce serait donc de jouer off Broadway. Mais après, pas de soucis ! On fera volontiers un film qui gagnera autant d’Oscars que Chicago !