Quelles ont été les sources d’inspiration pour Créatures ? Est-ce autobiographique ?
Ces histoires de monstres sont nées d’improvisations avec le compositeur Lee Maddeford au piano, dans l’optique d’écrire quelques chansons. Curieusement, les trois premières chansons qui en sont ressorties avaient un rapport avec l’introspection et les angoisses psychologiques. On a alors eu envie de faire tout un spectacle autour de démons intérieurs personnifiés. La seule chose d’autobiographique là-dedans est le besoin, comme tout le monde, de dédramatiser les choses qui nous dépassent, nos fantasmes. Donner à la Mort des problèmes d’élocution, lui retirer son autorité, c’est une petite revanche personnelle et une bonne occasion de rire. Représenter Dieu comme un aristocrate sans scrupule, indifférent au sort du genre humain, c’est une manière de toucher à ce qui est supposé être aussi parfait qu’inaccessible. Donc oui, certainement, il y a un peu de moi, mais j’espère bien que tout le monde s’y reconnaîtra également.
Comment le spectacle a‑t-il évolué ces dernières années ?
Au fur et à mesure qu’on l’a joué depuis sa réécriture en français en 2003, on n’a pas arrêté de changer plein de choses, chansons et mise en scène, y compris pendant les dates de tournée ou lors du festival Diva de l’an dernier. Je suis du genre à remettre l’ouvrage sur le métier tant que j’ai des idées d’amélioration, donc ce n’est certainement pas fini. On a la chance d’avoir avec nous Agnès Boury, metteuse en scène, qui nous suit depuis la première production française au Vingtième Théâtre et qui a le même désir d’optimiser ce qui ce passe sur scène. Notre nouveau producteur, Bernard Bourdeux, n’est pas plus conservateur puisque c’est lui qui a proposé d’ajouter deux musiciens et de réaliser une nouvelle version des décors.
Avec ces nouveaux moyens et le Casino de Paris, le spectacle peut-il garder l’âme de ses débuts à off-off-Broadway ?
Pour bien fonctionner, Créatures doit rester un spectacle plutôt intimiste. On ne cherche pas du tout à faire une « grosse production ». Par exemple, j’évoquais de nouveaux décors, mais ce budget n’est pas si élevé que cela. La créativité de l’équipe, la mise en scène, les costumes et la mise en lumière conduisent à l’illusion de décors bien plus riches qu’ils ne le sont réellement. C’est le jeu des personnages qui remplit la scène et, en cela, on ne trahit pas l’esprit originel du spectacle. Concernant la salle, le Casino de Paris et ses 1 500 places, c’est plutôt une opportunité improbable et immanquable qu’un choix délibéré. On profite du désistement d’un artiste et de relations de notre producteur. Pour nous, c’est comme un cadeau, une façon de faire connaître le spectacle et décrocher une tournée en France… ou à l’étranger puisque le spectacle a été créé en anglais et que la troupe l’a déjà joué dans cette langue. Quoiqu’il en soit, on fait notre maximum pour remplir le large espace du Casino de Paris d’une atmosphère de cabaret et entraîner tous les spectateurs dans notre univers. D’après les gens qui l’ont vu à la première représentation, ça fonctionne pas mal.
Une oeuvre abordant aussi librement les thèmes du sexe et de la religion peut-elle conquérir un large public ?
Disons que les parties génitales baladeuses et le personnage de Dieu désacralisé étaient déjà présents dans la création originale à New York. Dès lors, il n’y avait pas de raison d’être plus politically correct en Europe ! Je ne cherche ni à choquer, ni à provoquer. Il s’agit d’une représentation des démons intérieurs d’un homme, ses névroses et ses fantasmes, donc il y a forcément des choses qui sont un peu trash, iconoclastes. De manière générale, je ne chercherai jamais à aseptiser mon théâtre à l’eau de rose comme peut l’être parfois la comédie musicale, quitte à heurter certains, mais sans volonté de le faire.
Pouvez-vous nous parler un peu de vos camarades de troupe ?
Je les connais depuis fort longtemps comme artistes et surtout comme amis. J’ai rencontré Ariane Pirie dans Zazou de Savary, elle était déjà présente à New York dans le rôle de la femme araignée, et Sinan Bertrand et Liza Michael dans Hair. J’ai écrit un rôle sur mesure pour Liza, car je la voulais absolument dans le spectacle. Je connais Patrick Laviosa de nos années Piano Zinc [NDLR : ancien cabaret dans le Marais]. Enfin, c’est en allant voir un concert de Christophe Bonzom que j’ai trouvé le diable, la Mort et le vampire que je cherchais, comme une évidence. Et puis il y a Médéric Bourgue, le batteur violoncelliste, que j’ai rencontré sur Sol en Cirque, et Jérôme Lifszyc, pianiste, guitariste et bassiste, que j’ai connu… lors d’une fête. Il y a aussi Pascale Bordet et Ildiko Horwath aux costumes, Philippe Quillet et Christine Mame aux lumières, et Virgile Hilaire au son. Au-delà de leur talent, je leur suis très reconnaissant de la façon dont ils se sont investis dans le spectacle. J’ai rarement vécu cela.
Dans votre dernier entretien avec Regard en Coulisse, vous évoquiez une nouvelle création…
Il est juste temps d’en dire un peu plus car nous venons de signer pour le Vingtième Théâtre en septembre-octobre 2009. Ma nouvelle comédie musicale s’intitule Chienne, une oeuvre à 3 interprètes et 2 « musichiens ». Isabelle Ferron, seule artiste annoncée à ce stade, tiendra le rôle de Perle, un caniche royal qui attend son maître et, se croyant abandonnée, passe sa vie en revue pour comprendre ce qu’elle a fait pour en arriver là. C’est une parabole sur l’attachement, la fidélité, sur fond humoristique évidemment.
En attendant, on vous souhaite une fin d’année mémorable au Casino de Paris.
Puisque vous évoquez le sujet, je précise que ceux qui le souhaitent peuvent venir célébrer la nouvelle année avec nous au Casino de Paris lors de la deuxième représentation du 31 décembre (commençant vers 22h). L’ambiance promet d’être tout à fait spéciale. On attend tout le monde en déguisements. Une autre façon d’apprécier Créatures en étant un peu plus partie prenante. Venez nombreux !