Voici, pour les lecteurs de Regard en Coulisse, mon regard sur les coulisses du Théâtre Musical d’Irkoutsk (Sibérie Orientale), où je monte Bonnie & Clyde en comédie musicale (il ne s’agit pas de la version de Raphaël Bancou qui s’est jouée à Avignon et à l’Alhambra, mais d’un spectacle inédit de Bernard Poli) avec la troupe russe du théâtre.
Dans le dernier épisode je vous parlais des nombreux postes à responsabilités spécifiques dans le théâtre (responsables accessoires, chefs de chœurs, répétiteurs, etc). Cet impressionnant déploiement de moyens humains cache une redoutable et sombre réalité : une absence de moyens techniques …
Le théâtre possède de beaux ateliers de costumes et de décor, avec toute la main d’œuvre compétente qui va avec, mais dès qu’il s’agit d’acheter quelque chose, ça coince… Le budget « achat » est très limité, ce qui se ressent par exemple dans le choix des tissus utilisés pour les costumes, ou dès lors qu’on a besoin d’une nouvelle paire de chaussures ou d’une perruque pour une comédienne. A chaque fois il faut passer par la hiérarchie, et quand la chef costumière me parle de ce qu’elle n’a pas pu obtenir, je prends un rendez vous avec le directeur du théâtre, et je négocie avec lui. Pour l’instant il a accepté mes (modestes) demandes, mais c’est sans compter avec un terrrrrrible perturbateur : La Chine !
Je m’explique… Comme la Chine est à côté, et qu’elle défie tout concurrence en matière de coûts, tout est importé de là bas. C’est un peu un problème pour la qualité des tissus, mais ça devient grave quand on apprend que les micros HF commandés pour le spectacle (j’ai dû parlementer ferme pour que tout ne soit pas chanté avec des « micros mains ») ne seront pas livrés à temps, parce que le Nouvel An chinois a entraîné un retard d’un mois.
Même chose pour le nouveau matériel de lumière. Les directeurs techniques me lancent des « tout va bien se passer » quand je leur exprime mon inquiétude, mais je crois voir dans leurs regards fébriles qu’ils ne sont pas tout à fait zen… Marjolaine de l’Alliance Française d’Irkoutsk me dit qu’ici, on a l’art de faire des merveilles au dernier moment ! A propos de dernier moment, je n’ai pas encore vu le décor (on est à une semaine de la première). Il est en construction hors du théâtre et je ne vais pouvoir le découvrir que 5 jours avant la première, lors du montage. Je prie donc pour qu’on aie un décor qui évoque le Middle West américain des années 30 comme nous en sommes convenus avec le scénographe, et non pas un univers post moderniste comme il me l’avait proposé à mon arrivée à Irkoutsk…
Par contre j’ai découvert il y a deux jours les arrangement de l’orchestre. Et là aussi je me fais un peu de souci… Je trouve que ça manque de nuances et de dynamisme… Il y a des très beaux moments, mais ça ne soutient pas tellement la tension dramatique. L’embêtant c’est que je ne suis pas musicien, et que chacune de mes remarques au directeur musical rencontre le même soupir épuisé que m’avait lâché le scénographe quand je lui avais dit que je n’étais pas totalement fan du post modernisme pour illustrer la Grande Dépression de 1930.
Heureusement il y a le groupe de rock « Extrovert » !! Ce sont cinq hard rockers gentils comme tout, qui jouent en complément de l’orchestre mais qui sont indépendants et placés en coulisses. Ils sont plein d’énergie et de bonnes volonté, et ils m’aident à trouver des solutions pour donner du relief là où on en a besoin. Avec tout ça, je suis un peu fatigué… Et je ne suis pas le seul ! Un des comédiens qui joue « Hamer » a fait une crise cardiaque (il va bien maintenant), l’autre boite, plusieurs chanteurs sont aphones, et même Anna, mon interprète, qui vient travailler malgré la grippe, me lance parfois les mêmes soupirs exténués que le chef d’orchestre, quand je ne comprends pas ce qu’elle me dit.
Et puis il y a un truc qui me stresse particulièrement, surtout parce que ça ne dépend que de moi… C’est que je dois choisir la distribution qui va jouer à la première, et attendre les tous derniers jours pour l’annoncer aux comédiens, car c’est paraît-il un motif de baisse de motivation dans le travail du deuxième cast si je l’annonce trop tôt. J’ai évidemment souvent mes préférences, mais pas toujours, et puis il y a ceux dont j’aurais envie de récompenser la somme d’engagement et de travail, ceux que je préfère humainement, ceux qui sont excellents mais qui vont moins bien avec tel partenaire, ceux qui sont plus lyriques ou plus rock, ceux qui sont connus et qui vont m’envoyer la mafia si je choisi un « petit débutant »…
Il va falloir que je joue à Ariane Mnouchkine… Et je n’aime pas ça !… Voilà ! A part tout ça, il fait froid… Et je suis toujours aussi content de vivre cette aventure ! L’approche de la première me fait accentuer les obstacles plus que les avancées, mais c’est que justement je crois au potentiel du spectacle et de la troupe. Comme dirait Agnès Boury « Tout peut encore bien se passer » ! (à suivre)