
Voici, pour les lecteurs de Regard en Coulisse, mon regard sur les coulisses du Théâtre Musical d’Irkoutsk (Sibérie Orientale), où je monte Bonnie & Clyde en comédie musicale (il ne s’agit pas de la version de Raphaël Bancou qui s’est jouée à Avignon et à l’Alhambra, mais d’un spectacle inédit de Bernard Poli) avec la troupe russe du théâtre.
Dans le dernier épisode, je vous ai laissé sur une note de pessimisme… et à quatre jours de la première, ça n’était plus une note, c’était une symphonie !
Jacques Verzier est arrivé en découvrant que les tissus achetés pour les costumes ne correspondaient souvent pas à ceux qu’il avait demandés, et que seulement un tiers des (+ de 100) costumes avaient été réalisés.
Les chaussures achetées à Paris et envoyés par Colissimo quelques semaines auparavant n’arrivaient pas (elles ne sont pas encore arrivées…).
Le nombre de micros (empruntés à un autre théâtre) était insuffisant pour le nombre de solistes.
La Ford V8 de Bonnie et Clyde était « bleu électrique »… et les lumières évoquaient plus « Holiday On Ice » que l’ambiance Hitchcock que j’avais demandée.
L’orchestre ne jouait pas dans le même tempo que le groupe rock (placé en coulisses, et uniquement en contact avec le chef d’orchestre par moniteur vidéo), ce qui créait une soupe cacophonique que ni les chanteurs ni les danseurs ne pouvaient suivre.
La mise en place sur scène devait se faire en trois jours, à raison de deux services de trois heures, avec un filage par distribution par jour, et aucun temps prévu pour faire des raccords ou la mise en place de scènes que je n’avais pas pu monter sans le décor.
Et impossible de répéter au delà de 21h à cause du manque de transports publics pour les artistes…
En plus je désespérais de voir les choristes s’investir émotionnellement en chantant …

Et tout à coup, les Dieux du Grand Nord sont intervenus ! enfin, pas qu’eux…
D’abord, l’investissement des choristes a complètement changé après que l’une des chanteuses m’a expliqué que pour parler de misère, il valait mieux que je me réfère à la Sibérie qu’à l’Amérique (symbole de richesse), puisque ici la crise économique , c’était une constante.
Et puis Jacques a fait des miracles, et les couturières de même !
Dès qu’elles ont compris ce qu’il voulait et adhéré à son (bon) goût, elles se sont démenées et ont tout réalisé en deux jours. Et ça a de la gueule !
Pour les micros, on a mis en place des choristes en coulisses (avec micros à main) pour soutenir ceux qui sont sur scène, et du coup on s’en sort.
Grâce à sa bonne volonté, deux heures de travail avec l’éclairagiste ont suffi pour changer la plupart des effets, et le scénographe a fini par faire repeindre la voiture en noir l’après-midi de la première.
Bernard Poli (l’auteur compositeur du spectacle) est arrivé le 4 mars de Thaïlande (environ 60° de différence avec Irkoutsk) et a réussi à retravailler le dynamisme des orchestrations avec le chef d’orchestre et les faire jouer ensemble avec le groupe rock (en fait il remarquait que les musiciens rock, grisés par leurs riffs, ne regardaient pas du tout le moniteur !…)
En bref, tout s’est mis en place au dernier moment !
Et… la première s’est super bien passée ! (même s’il a manqué un bruitage de coup de feu, et qu’un des personnages n’a pas été tué, et qu’il a fait un peu de « danse contemporaine » en attendant que sa poursuite le lâche).

Avec Bernard et Jacques, on a finalement assisté à un spectacle tel qu’on le rêvait, et on est bien fiers !
La direction du théâtre est contente, et l’Alliance Française, qui a porté le projet, aussi.
Et puis les soixante artistes (première et seconde distribution) ont l’air d’être heureux de défendre le spectacle et se donnent à fond.
Alors maintenant on fête ça !

Moi qui n’avais bu qu’une bière en deux mois, j’ai dû boire plus d’un litre de vodka hier, entre une ballade au lac Baïkal (où on buvait pour se réchauffer) et une fête de « deuxième » où on a passé notre temps s’embrasser et à se faire des déclarations solennelles.
J’ai hâte de retrouver Paris ! Mais ça va être bien dur de partir !

Photos : Jacques Verzier