

Du lyrique en passant par la comédie musicale, de l’écriture à l’adaptation, le parcours d’Alain Marcel est éclectique mais sa carrière forme un tout cohérent. « Je me sens un peu comme les spectateurs du 19ème siècle ou de l’avant-guerre, qui allaient à l’opéra, qui allaient au ballet, qui allaient voir Offenbach, qui allaient au caf’ conc’. Je me sens très proche de ça. Je ne me sens pas du tout comme un ‘professionnel de la profession’ comme disait Godard. Dès que je monte une comédie musicale, j’ai envie de monter une pièce, dès que je monte une pièce, j’ai envie d’écrire un scénario et de jouer dans un film, dès que je joue deux mois, j’ai envie de refaire de la mise en scène. J’ai envie de continuer à toucher à tout en assumant bien la part péjorative qu’a ce mot chez nous, car ‘touche à tout’, c’est ‘touche à rien’. Mais, de ma formation théâtrale, j’ai gardé un goût de la rigueur, du jeu, de la mise en scène précise, du travail profond ».
Pour le public parisien, le nom d’Alain Marcel est surtout lié à la comédie musicale américaine avec La petite boutique des horreurs, Peter Pan et Kiss Me, Kate qu’il adapte et met en scène avec bonheur. Pourtant, sa rencontre avec Broadway s’est faite de façon assez tardive. « Ma première passion, c’est le cinéma mais je n’étais pas attiré à l’époque par la comédie musicale américaine de cinéma. Le théâtre musical est entré dans ma vie par le lyrique. Le grand choc avec Broadway a été tardif. J’ai écrit Les pédalos à 24 ans. Ca m’a emmené par hasard à Montréal et j’ai profité de ce voyage pour aller à New York. J’ai vu 32 comédies musicales en cinq semaines, les incontournables de l’époque, les débuts de Cats, Evita mais aussi Dancin’ de Bob Fosse, The Best Little Whorehouse in Texas, il y avait encore 42nd Street, le Chorus Line de la grande époque. Et c’est là que j’ai commencé à comprendre comment ça fonctionnait sur scène, que ça pouvait toucher à mon métier. Et parallèlement, on me donne mon premier opéra, Le barbier de Séville à Genève avec des moyens colossaux, avec Ruggero Raimondi. Tout est venu en même temps, de tous les côtés. On est soi même le point de concours des choses et on en est le centre de gravité. On est soi-même le message codé de son parcours ».
Le parcours d’Alain Marcel l’amène aujourd’hui à croiser le chemin de Jerry Herman dont il adapte et signe la mise en scène de La cage aux folles. Au premier abord, c’est la brillante structure du spectacle et l’intérêt qu’il pouvait susciter auprès d’un public parisien qui l’ont séduit. « Je trouve que c’est bien construit, le titre est amusant et fait sens. Je me suis dit que c’était peut-être une comédie musicale qui pourrait faire naître une curiosité à Paris. J’ai commencé à en parler autour de moi. Denise Petitdidier [la directrice de Mogador] en a eu vent et a eu envie de le faire. Il m’a semblé que la notoriété du titre pallierait bien l’idée reçue selon laquelle pour monter une comédie musicale à Paris, il faut des noms connus. Si je dois remonter un spectacle musical à Paris, j’essayerais vraiment que ce soit un sur-mesure pour une personnalité. Même si mon but, maintenant, c’est d’écrire ».
Une Cage un peu (dé)culottée !
Cette Cage musicale risque fort de surprendre le public parisien, habitué au film ou à la pièce. Si la comédie musicale élargit le cadre original en entraînant le spectateur dans les coulisses du cabaret, elle délivre aussi un message beaucoup plus affirmé vis-à-vis de l’homosexualité, qui ne figurait pas dans la version originale.
« Je pense qu’il est indéniable que Jerry Herman et Harvey Fierstein soient gays et aient écrit ça avec une vérité gay à l’arrière, ce dont ni Poiret ni Serrault ne s’étaient préoccupés. Au contraire, Fierstein et Herman ont une préoccupation d’un message gay de dignité, de défense et illustration du couple gay sans pour autant verser dans le militantisme ou le prosélytisme. S’ils ont milité, c’est en se disant : « Il faut ne pas choquer d’avance les spectateurs. A la sortie, même s’ils étaient venus pour de mauvaises raisons, ils sortiront dans un état d’écoute, de tolérance et d’ouverture ». Et ça je l’espère ici aussi. Le couple entre Serrault et Poiret était plus comique, plus dur, plus acerbe et tous les gays ne s’y retrouvaient pas obligatoirement, au contraire du grand public ».
Si Herman et Fierstein avaient pris leur liberté par rapport à l’oeuvre de Poiret, Marcel a également fait de même vis-à-vis d’eux. « Mes spectacles ont toujours été profondément ‘mes’ spectacles. J’ai essayé, jusqu’à aujourd’hui, d’amener mon univers. Jerry Herman et Harvey Fierstein n’arrêtent d’ailleurs pas de me dire : ‘Réappropriez vous La cage aux folles’. Pour La cage, j’ai pris des vocalités moins lourdes qu’à Broadway. Mes Cagettes sont plus insolentes, plus ‘cochonnes’. Ce sont des petites filles modèles qui montrent leur culotte, qui jouent à touche-pipi derrière l’église. J’essaye de faire quelque chose de provocant… Ce qui m’amuse dans un spectacle de ‘folles’, c’est d’y mettre aussi mon arrogance homosexuelle à moi et j’espère que ça se verra ».
A quelques jours de la première, Alain Marcel a bien évidemment la tête prise par La cage, mais cela ne l’empêche pas de rêver au futur. « En matière de comédie musicale américaine, j’aimerais beaucoup retravailler dans un grand théâtre subventionné et y faire une grande comédie musicale classique. Dans l’absolu, j’aimerais monter Follies, Sweeney Todd, She Loves Me… Dans un théâtre lyrique subventionné, je ferais avec plaisir une réadaptation de La Mélodie du Bonheur, que j’aime beaucoup. J’aimerais bien faire Carousel, mais avec des vrais moyens comme chez Hugues Gall. Il faut, à Paris, trouver le contexte dans lequel ça se fait ».
De Sondheim à Rodgers, en passant par Herman, l’éclectisme d’Alain Marcel semble finalement converger vers un seul point : un amour évident pour le théâtre musical qui a du sens.