Critique : A Little Night Music

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400000176-diffusionMusique et Lyrics Stephen Sondheim.
Livret de Hugh Wheel­er, d’après le film Sourires d’une nuit d’été d’Ingmar Bergman.
Direc­tion musi­cale : Jonathan Stockhammer.
Orchestre Phi­lar­monique de Radio France.
Mise en scène : Lee Blakeley.
Décors : Rae Smith.
Choré­gra­phie : Andrew George.
Cos­tumes : Jo Van Schuppen.
Lumières : Jen­ny Cane.
Avec David Cur­ry (Hen­rik Egerman), Rebec­ca Bot­tone (Anne Egerman), Lam­bert Wil­son (Fredrik Egerman), Francesca Jack­son (Petra), Gre­ta Scac­chi (Désirée), Nicholas Gar­rett (Comte Carl-Mag­nus Mal­com), Deanne Meek (Comtesse Char­lotte Mal­com), Celeste de Veazey (Fredri­ka Arm­feldt), Leslie Caron (Madame Arm­feldt), Dami­an Thantrey (Mr Lindquist), Kate Valen­tine (Ms Nord­strom), Rachael Lloyd (Mrs. Ander­ssen), James Edwards (Mr Erlan­son), Daph­né Touchais (Ms Segstrom, Leon Lopez (Frid).

Plus de ren­seigne­ments sur le site du Châtelet.

Le pub­lic parisien s’était presque résigné à l’idée que jamais une œuvre de Sond­heim ne se jouerait en France. Si l’on exclut une loin­taine – et tron­quée – pro­duc­tion de A Fun­ny Thing Hap­pened on the Way to the Forum (Théâtre du Palais Roy­al, en 1964 avec Pierre Mondy), aucun spec­ta­cle du maître de la comédie musi­cale améri­caine ne s’était jamais mon­té de ce côté de l’Atlantique.
Fort du suc­cès de sa pro­gram­ma­tion récente de musi­cals de Broad­way (On the Town, West Side Sto­ry, The Sound of Music), le Théâtre du Châtelet, sous la direc­tion de Jean-Luc Choplin, pro­pose aujourd’hui A Lit­tle Night Music, présen­té en anglais sur­titré et pour six représen­ta­tions seulement.

A Lit­tle Night Music, créé à Broad­way en 1973, est prob­a­ble­ment une des œuvres les plus acces­si­bles de Sond­heim tant au niveau de la par­ti­tion (valses déli­cates, mélodies raf­finées), que du livret. Inspiré du film de Bergman, Sourires d’une nuit d’été, ce musi­cal relate les chas­sés-croisés amoureux – et sex­uels – de quelques cou­ples de la société sué­doise du début du vingtième siè­cle. Si de prime abord, l’intrigue sem­ble tir­er vers le vaude­ville, avec son bal­let de maris infidèles et d’amants démasqués, il faut la pro­fondeur et l’intelligence d’un Sond­heim, et de Hugh Wheel­er, son libret­tiste, pour en faire ressor­tir les frus­tra­tions, la douleur et l’amertume qui transparais­sent der­rière ces marivaudages.

Visuelle­ment, le met­teur en scène Lee Blake­ley a choisi une approche rel­a­tive­ment clas­sique et très élé­gante : intérieurs sophis­tiqués, cos­tumes déli­cats, lumières sub­tiles. Dans ce décor évo­quant Klimt (et même par­fois le Seu­rat cher à Sond­heim), les cou­ples se font et se défont au gré des valses, frô­lent par­fois le mari­vaudage mais ne tombent jamais dans la facil­ité du genre. L’ensemble est flu­ide et agréable­ment mené même si le rythme et l’énergie pour­raient être sans doute être plus soutenus.

Du point de vue de la dis­tri­b­u­tion, les (nom­breux) artistes venus du lyrique sont par­faite­ment à l’aise avec cette par­ti­tion, à mi-chemin entre l’opéra et l’opérette.
Rebec­ca Bot­tone (Anne) est une épouse déli­cieuse­ment naïve, con­trastant avec l’humour pince-sans-rire d’une Deanne Meek (Comtesse Char­lotte Mal­com), dont l’ironie mor­dante tente de cacher la pro­fonde souf­france. À cet égard, Meek délivre à mer­veille toutes les nuances de son per­son­nage face à son mari, fier et fan­faron, incar­né par un Nicholas Gar­rett qui ne cède jamais à la ten­ta­tion de la car­i­ca­ture. Ils for­ment un cou­ple improb­a­ble et pour­tant étrange­ment attachant.
Il faut égale­ment citer l’excellent quin­tette qui inter­vient à la manière d’un chœur grec, ponc­tu­ant l’action avec des com­men­taires chan­tés dans le style des lieder.
Dans un reg­istre vocal totale­ment dif­férent, Francesca Jack­son, jeune tal­ent du West End (Oliv­er, Rent Remixed, Into the Woods), incar­ne avec tal­ent la ter­ri­enne Petra et défend avec ses tripes « The Miller’s Son », sans doute un des plus beaux joy­aux de Sondheim.
Du côté du trio prin­ci­pal, incar­né par des acteurs plus habitués au ciné­ma qu’au musi­cal, Lam­bert Wil­son sem­ble s’é­panouir dans cet univers qu’il affec­tionne particulièrement.
A ses côtés, Gre­ta Scac­chi incar­ne une Désirée tout à fait crédi­ble, mais on regrette néan­moins ses lim­ites vocales qui ternissent quelque peu sa performance.
Enfin, Leslie Caron, doyenne de la troupe, fig­ure emblé­ma­tique des comédies musi­cales des années 50, incar­ne une Mrs Arm­feldt, à la fois sèche et touchante, même si la mémoire lui joue par­fois des tours. On pour­ra tou­jours dire que cela fait par­tie du personnage.

Cette pro­duc­tion du Châtelet est une occa­sion idéale de décou­vrir l’œuvre de Sond­heim à Paris, de la voir dans une mise en scène de qual­ité et surtout d’entendre la par­ti­tion avec les arrange­ments orig­i­nale­ment envis­agés, inter­prétée ici par l’Orchestre phil­har­monique de Radio France. Cette oppor­tu­nité est presque dev­enue un luxe ces dernières années où crise économique et con­cepts de mise en scène font que les par­ti­tions de Sond­heim se joue avec un nom­bre assez lim­ité d’instruments (huit musi­ciens seule­ment pour la pro­duc­tion de A Lit­tle Night Music actuelle­ment à Broad­way avec Cather­ine Zeta-Jones et Angela Lansbury).

Du Sond­heim en France, c’est donc pos­si­ble… Sond­heim lui-même était présent pour la pre­mière, accep­tant avec émo­tion la stand­ing ova­tion que lui réser­vait le pub­lic parisien. On espère que cette pre­mière pro­duc­tion n’est que le début d’une longue série et que les prochaines saisons per­me­t­tront de (re)découvrir dans notre cap­i­tale les mul­ti­ples facettes d’un génie du théâtre musical.