Opéra en deux actes.
Musique de John Adams.
Livret et adaptation de John Adams et Peter Sellars.
Adapté d’un conte indien traduit par A. K. Ramanujan.
Direction musicale : Jean-Yves Ossonce.
Mise en scène : Vishal Bhardwaj.
Scénographie et chorégraphie : Sudesh Adhana.
Avec Paulina Pfeiffer (Kumudha), David Curry (Le Prince), Franco Pomponi (Le Narrateur), Ella Fiskum (alter ego de Kumudha), Sudesh Adhana (alter ego du Prince).
Orchestre symphonique région Centre Tours.
Chœur du Châtelet.
Inspirée d’un conte populaire d’Inde du Sud, l’histoire d’un jeune couple soumis à divers rituels et épreuves destinés à démontrer le pouvoir de transfiguration que possède l’amour. Toute ressemblance avec une certaine Flûte enchantée… ne saurait être fortuite. A Flowering Tree traite du thème de la rédemption à travers la transformation individuelle et de « l’émergence d’une conscience morale », selon les mots du compositeur qui a livré ici une partition très riche explorant de nouvelles complexités harmoniques.
Notre avis :
Depuis plusieurs années et à l’initiative de son directeur Jean-Luc Choplin, en plus de faire de sa spécialité les comédies musicales américaines dites de divertissement (Kern, Rodgers, Bernstein, Sondheim, Loewe), le Châtelet affirme sa volonté de présenter dans les meilleures conditions des œuvres également issues du répertoire américain mais que l’on qualifie habituellement de plus sérieuses parce qu’elles sont des opéras ou qu’elles s’en rapprochent (Street Scene, Nixon in China, Magdalena, Einstein on the Beach…). Ainsi A Flowering Tree, composé en 2006, connaît-il sa première version scénique française, après une création en concert à la Cité de la Musique en 2010.
Comme un clin d’œil à La Flûte enchantée, le conte indien choisi par Peter Sellars prend la forme d’un parcours initiatique qui culmine en une apothéose triomphante de l’amour et de la conscience. Kumudha, une jeune fille, pauvre et belle, a le pouvoir de se métamorphoser en arbre en fleurs. Un prince, séduit par sa beauté, découvre son secret, et l’épouse. Mais, dès la nuit de noces, le prince devient maussade et, au bout de plusieurs nuits seulement, finit par lui avouer ce qu’il attend d’elle : qu’elle se transforme pour lui. Résistante au début, elle finit par y consentir. La sœur du prince, jalouse et cruelle, exige de Kumudha qu’elle se métamorphose pour divertir ses amis. Mais la négligence de ceux-ci à l’égard du cérémonial empêche Kumudha de redevenir totalement humaine. Mi-femme mi-arbre, elle est alors condamnée à une vie de monstre. Le prince, sans nouvelle de son épouse dont il ignore la condition, décide, désespéré, de mener une existence d’ascèse et d’errance. Les deux époux finiront par se retrouver, se reconnaître et s’accepter.
La linéarité narrative et les symboles véhiculés donnent une force immédiate et universelle au conte, que le mystère de la magie amplifie. John Adams, nourri par nombre d’influences classiques et contemporaines, offre ici une partition expressive et riche en harmonies complexes mais accessibles, d’un style assez comparable à celle de El Niño, évocatrice des événements qui surviennent, enveloppante et aérienne lors des métamorphoses, ou tribale, voire violente, lorsque la cruauté se manifeste.
Les trois chanteurs, tous issus du monde de l’opéra, n’appellent aucune réserve. Franco Pomponi (déjà Nixon et Sweeney Todd au Châtelet) dégage beaucoup de présence en narrateur, malgré un turban un peu envahissant. David Curry (déjà prince il y a quelques semaines dans Into the Woods) irradie, aussi crédible dans la félicité que dans la déréliction. Paulina Pfeiffer incarne avec beaucoup de vérité le rôle-titre, de la jeune fille rayonnante à l’épouse délaissée, jusqu’au monstre rampant à terre. Et aucun des deux époux, David Curry en tête, n’hésite à donner de sa personne lors des passages dansés, même si leurs alter ego prennent le relais pour les mouvements plus complexes. Si la chorégraphie est effectivement très présente (mais pas tout à fait dans le style Bollywood), la mise en scène, confiée à une équipe indienne, repose essentiellement sur de jolis tableaux soignés et la réutilisation d’accessoires à caractère symbolique (des amphores, des gerbes de blé, une statue de Shiva). Les personnages secondaires, muets, apparaissent sous les traits de marionnettes et de masques, soulignant ainsi une lecture un peu naïve du conte. Et c’est sans doute le reproche que l’on peut faire à cette production : d’être restée un peu sage à la surface des mots et des images, sans basculer vers plus de magie, ou, à l’opposé, sans en donner une interprétation plus réaliste.
Une œuvre musicale puissante interprétée avec force et conviction, à découvrir absolument.