1998 : Les cloches de Notre Dame sonnent pour le théâtre musical
Avant 1998, le théâtre musical vivotait entre coups d’éclats (Starmania en 1978) et échecs retentissants (Les Misérables en 1991–92, Nine en 1997). Les aficionados du genre, nourris de séjours à Londres ou New York, désespéraient de retrouver à Paris les sensations éprouvées à West End et Broadway. Pourtant le 16 septembre 1998, le parolier Luc Plamondon casse la baraque presque vingt ans après Starmania. Son association avec Richard Cocciante et un casting habile de jeunes voix plaisantes (Patrick Fiori, Hélène Ségara, Garou) propulsent Notre Dame de Paris (NDP) au rang de phénomène de société. En plus des billets pour le spectacle, le public s’arrache les CD puis la vidéo. Sans nier la contribution musicale de Richard Cocciante, Luc Plamondon apparaît comme le grand messie du théâtre musical à la française. Il a maintenu à flot les prestations scéniques de Starmania depuis la création, en rajeunissant constamment la distribution et la mise en scène (avec Lewis Furey notamment). On ne soulignera jamais assez qu’il a révélé en France les nombreuses voix québécoises entendues à la radio et à la télé et qui sont passées par l’étape Starmania. Il passe aujourd’hui pour l’homme qui transforme en or ce qu’il touche dont on attend impatiemment le prochain spectacle.
Lorsque Plamondon élabore avec Michel Berger le fameux Starmania dans le courant des années 70, les créateurs avaient parié que la musique dite « de variétés » pouvait elle aussi raconter des histoires, ce que la musique populaire ne faisait plus depuis la fin de l’opérette. L’immense succès a confirmé leur pari. Malgré l’échec de leur collaboration suivante La Légende de Jimmy (1990) et la disparition prématurée de Michel Berger en 1992, Starmania aura défini les ingrédients nécessaires (mais pas suffisants) au spectacle musical à la française : des mélodies amples issues de la variété, peu de texte parlé sur scène car tout est raconté en chansons, un CD édité avant les représentations pour familiariser le public avec la partition, et enfin un battage médiatique omniprésent. Pour les détracteurs, il y a des défauts : la primauté de la mélodie amoindrit la densité dramatique, et l’orchestre est remplacé par une bande enregistrée froide à l’oreille. Tout compte fait, bien peu de choses aux yeux et aux oreilles du public qui adopte la formule.
Pour l’anecdote, mentionnons pour la même saison 98–99 l’exhumation d’un autre musical issu de la variété : Mégalopolis de Herbert Pagani avec Francis Lalanne qui est vite retourné dans l’oubli.
1999 : Broadway sur Seine joue et perd
Pour répondre à l’appétit émergent pour le spectacle musical, l’appel au répertoire anglo-saxon s’avère tentant. C’est le programme de la rentrée 1999 avec La Cage aux Folles et Sept Filles pour Sept Garçons. Le premier a remporté des Tony Awards en 1984 (l’équivalent américain des Molières). La musique est signée Jerry Herman (Hello Dolly !). Le texte est adapté en français par Alain Marcel, grande figure de passeur entre Broadway et Paris. Le second spectacle est tiré d’un film enjoué de Stanley Donen en 1954. Mais il faut bien avouer que ces titres sont maintenant en marge du répertoire de Broadway. La sanction tombe hélas immédiatement : malgré la notoriété de la pièce d’origine de Jean Poiret ou la présence de Lio au générique, les deux spectacles ferment tristement quelques semaines après leur ouverture. Le constat est accablant : le label Broadway laisse les parisiens indifférents. Tout comme le fabuleux Les Misérables (1991) venu de Londres et qui a fermé au bout de quelques mois en 1992, ces spectacles passent pour des ovnis. Ils ne parviennent pas à atteindre une audience plus large que celle du public assidu. La faute à un plan média mal orchestré ? Vraisemblablement, car la presse et la télévision sont devenus incontournables pour accroître leur identification. Ceci n’améliore pas le volet financier de ces spectacles déjà très coûteux à monter. Les amateurs du genre craignent à ce moment que l’engouement pour Notre Dame ne demeure un feu de paille sans lendemain.
Un « import » de Grease se joue quelques semaines au Palais des Sports de Paris. Il ne suffit pas à consoler des déboires immérités de La Cage aux Folles et Sept Filles pour Sept Garçons. L’espoir renaît cependant début 2000. En effet, d’autres grosses pointures de la variété annoncent qu’elles emboîtent le pas de Plamondon et Cocciante et entrent en lice pour la rentrée 2000. Peu avant l’été, le public prend connaissance des CD qui rencontrent un vif succès. Il y a bien un trublion qui essaie de s’immiscer parmi les grosses affiches, mais le médiocre Da Vinci passe telle une météorite durant l’été 2000. Fausse alerte, nous devions attendre pour voir ce que nous allions voir.
2000 : Le triomphe du spectacle musical à la française
La rentrée 2000–2001 a lieu au son des roulements de tambours. Les grandes affiches Les 1001 vies d’Ali Baba, Les 10 Commandements et Roméo et Juliette, de la haine à l’amour se déploient sous les néons. Les CD tournent depuis longtemps en boucle, les chanteurs apparaissent à la télévision (surtout pour les deux derniers spectacles). La communication va crescendo jusqu’aux dates de création, générant une énorme attente du public. On se croirait revenu à l’époque de Notre Dame de Paris. Ali Baba trébuche malgré une partition protéiforme très attachante dans un Zénith dix fois trop grand. Mais Les 10 Commandements puis Roméo et Juliette triomphent. Avec des décors fastueux, des plateaux énormes accueillant des distributions fournies, le public adhère. Le spectacle musical devient réellement une alternative viable pour le monde de la variété qui a l’avantage de maîtriser la communication auprès du grand public, sa cible naturelle. En émules de Luc Plamondon, les fringants Pascal Obispo et Gérard Presgurvic peuvent se réjouir et promettent de revenir.
Dans le sillage des grosses machines susnommées, il est d’autres succès significatifs. Mentionnons le sympathique succès de L’Air de Paris. Ce spectacle est bâti sur des grands airs du music-hall francais (globalement 1900–1950). Avec la présence médiatisée de la star de la danse « classique » Patrick Dupont et la vive Marion Landowsky, il remet au goût du jour un répertoire négligé et même un peu déconsidéré car réputé ringard. Or le troisième âge réserve un accueil très chaleureux à « son » spectacle, puis fait un triomphe à Mistinguett qui ouvre en mars 2001. En réalité, il existe encore un vaste public pour qui les noms de Maurice Chevalier ou Mistinguett comptent énormément. Ces spectacles s’avèrent des plus agréables même pour les non-initiés. Le répertoire s’avère riche et peu exploité. Il a pourtant tout d’une mine d’or lorsque des artistes jeunes et vifs s’y adonnent intelligemment. En lui retirant sa poussière, le théâtre musical ajoute une nouvelle corde à son arc. Et il retrouve ses racines.
Broadway reste en lice, quoique discrètement et avec des fortunes diverses. Chantons sous la pluie, l’adaptation du célèbre film Singin’ in the Rain, a bénéficié d’un très bon bouche-à-oreille et s’est vu attribué le Molière du meilleur spectacle musical. En parallèle La Petite Boutique des Horreurs, dans l’adaptation française qu’avait réalisée Alain Marcel de Little Shop of Horrors, a gravi lentement les échelons qui l’ont mené de la banlieue parisienne à une pleine visibilité dans Paris. Hélas, les détenteurs des droits sont intervenus pour stopper la production. Selon eux le cahier des charges n’était pas respecté. En se rappelant qu’en décembre 1999, une adaptation française de Chicago avait été arrêtée pour les motifs identiques, on mesure l’obstacle pour approcher de façon originale le répertoire de Broadway.
Enfin mentionnons que la riche saison 2000–2001 se termine avec Chance, une sympathique comédie musicale qui reviendra durant la saison suivante.
Dossier à suivre le mois prochain.
Liste des oeuvres citées
Starmania (1978), Opéra-rock de Michel Berger et Luc Plamondon.
Notre Dame de Paris (1998), spectacle musical Richard Cocciante (musique) et Luc Plamandon (textes).
Megalopolis (1999), spectacle musical de Herbert Pagani (chansons).
Sept Filles pour Sept Garçons (1999 version française), spectacle musical tiré du film Seven Brides for Seven Brothers de Stanley Donen en 1954, adaptation de Lawrence Kasha et David Landay, musique : Gene De Paul, paroles originales : Johnny Mercer, chansons additionnelles : Al Kasha et Joel Hirschhorn, adaptation française : Laurence Crayssac et Georges Menegazzo.
La Cage Aux Folles (1984), musical de Jerry Herman (chanson) et Harvey Fierstein (livret).
Grease (1972), musical de Jim Jacobs et Warren Casey (chansons et livret).
Da Vinci (2000), comédie musicale de Christian Schittenhelm (chansons et livret).
Les 1001 vies d’Ali Baba (2000), spectacle musical de Fabrice Aboulker (compositeur), Thibaut Chatel (auteur), Frédéric Doll (auteur) et Alain Lanty (compositeur).
Les 10 Commandements (2000), spectacle musical de Pascal Obispo (musique), Lionel Florence (auteur) et Patrice Guirao (auteur).
Roméo et Juliette, de la haine à l’amour (2001), spectacle musical de Gérard Presgurvic (chansons et livret) d’après William Shakespeare.
L’Air de Paris (2000), spectacle musical de Jacques Pessis tiré du répertoire du music-hall.
Chantons sous la Pluie, comédie musicale de basé sur le film MGM de 1952 (chorégraphie originale de Gene Kelly et Stanley Donen), scénario et adaptation de Betty Comden et Adolph Green, chansons de Nacio Herb Brown et Arthur Freed. Lyrics en anglais, adaptation française du texte de Jean-Louis Grinda.
La Petite Boutique des Horreurs (1982) musical de Alan Menken (musique) et Howard Ashman (textes et livret). Adaptation d’Alain Marcel.
Chance (2001), comédie musicale de Hervé Devolder (Livret, musique et paroles).